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Un soir où il y avait beaucoup de monde, un homme entra: il portait l'uniforme bleu et la casquette à visière de la police du charbon et du fer. C'était une unité spéciale qui avait été levée par les dirigeants des chemins de fer et des houillères pour seconder les efforts de la police civile ordinaire, laquelle se trouvait parfaitement impuissante en face du banditisme organisé qui contrôlait la région. Quand il pénétra dans le bar, un silence général s'établit; il fut la cible de tous les regards; mais, aux États-Unis, les relations entre policiers et criminels ne sont pas comme ailleurs. McGinty, qui se tenait derrière le comptoir, ne témoigna d'aucune surprise quand l'inspecteur s'installa au milieu des habitués.

– Un whisky sec, car la nuit est fraîche! commanda l'officier de police. Je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontrés, conseiller?

– C'est vous, le nouveau capitaine? interrogea McGinty.

– C'est moi. Nous faisons appel à vous, conseiller, ainsi qu'aux autres citoyens éminents, pour nous aider à maintenir la loi et l'ordre dans cette ville. Je m'appelle Marvin. Le capitaine Marvin, du charbon et du fer.

– Nous nous débrouillerions mieux sans vous, capitaine Marvin! répondit froidement McGinty. Car nous avons notre propre police communale, et nous n'avons pas besoin de produits d'importation. Vous n'êtes que l'instrument appointé du capital, payé par les capitalistes pour matraquer ou abattre vos concitoyens plus pauvres.

– Bah! Nous ne discuterons pas là-dessus! dit en souriant l'officier de police. Nous accomplissons notre devoir comme nous l'entendons, mais tout le monde peut ne pas être du même avis…

Il avait vidé son verre, et il allait sortir quand son regard tomba sur McMurdo qui ricanait à côté de lui.

– … Hello! s'écria-t-il en le toisant de haut en bas. Voici une vieille connaissance!

McMurdo s'écarta.

– Je n'ai jamais été votre ami ni l'ami d'un flic quelconque! dit-il.

– Une connaissance n'est pas forcément un ami, fit le capitaine Marvin en souriant de toutes ses dents. Vous êtes Jack McMurdo, de Chicago, et vous ne pouvez pas le nier.

McMurdo haussa les épaules.

– Je ne le nie pas, dit-il. Croyez-vous que j'aie honte de mon nom?

– Vous n'auriez pas tort d'en rougir, cependant!

– Voulez-vous me dire tout de suite ce que vous entendez par-là? rugit McMurdo, qui serra les poings.

– Non, Jack. Inutile de jouer au matamore avec moi! J'étais fonctionnaire à Chicago avant d'atterrir ici, et quand je vois un malfaiteur de Chicago, je le reconnais encore.

McMurdo parut décomposé.

– Vous n'êtes tout de même pas le Marvin de l'administration centrale de Chicago! s'exclama-t-il.

– Je suis toujours le même vieux Teddy Marvin à votre service. Nous n'avons pas encore oublié la façon dont a été tué Jonas Pinto.

– Je ne l'ai pas tué.

– Vraiment? C'est curieux! Sa mort vous a bien arrangé néanmoins, car vous étiez près de passer à la casserole avec son témoignage! Enfin, ne parlons plus du passé car je vous le dis entre nous et je vais peut-être plus loin que je ne le devrais professionnellement parlant, l'affaire n'était pas absolument claire à votre sujet. Demain vous pourriez rentrer à Chicago; vous ne seriez pas inquiété.

– Je me trouve très bien où je suis.

– Ma foi, je vous ai donné le tuyau: vous auriez pu avoir un mot de remerciement!

– En supposant que vous vouliez me faire plaisir, je vous remercie, répondit McMurdo sans enthousiasme.

– Tant que je vous verrai sur le bon chemin, je me tairai, dit le capitaine. Mais si vous faites encore une fois l'idiot, ce sera une autre histoire! Bonsoir. Bonsoir, conseiller!

Il quitta le cabaret, mais il avait créé un héros local. Le bruit s’étant répandu que McMurdo avait fait des siennes à Chicago. Quand on l'avait interrogé, il avait éludé la question avec le sourire de quelqu'un qui ne souhaitait pas qu'on en fit grand cas. Mais la chose venait de se trouver officiellement confirmée. Les habitués l'entourèrent et lui serrèrent affectueusement la main. Désormais, il eut une place de choix dans la communauté. Il était capable de boire sec sans le laisser paraître; mais ce soir-là, si son camarade Scanlan ne s'était pas trouvé chez McGinty pour le faire rentrer, le nouveau héros aurait sûrement terminé sa nuit sous le comptoir.

Un certain samedi soir, McMurdo fut présenté à la loge. Comme il avait été initié à Chicago, il croyait qu'il n'y aurait pas de cérémonie pour son admission. Mais Vermissa s'enorgueillissait de rites spéciaux, et tout postulant devait s'y soumettre. La réunion eut lieu dans une grande salle réservée à cet effet dans la maison syndicale. Une soixantaine de membres étaient présents: ils ne représentaient qu'une faible partie de l'organisation, car plusieurs autres loges fonctionnaient dans la vallée ainsi que sur l'autre versant des montagnes; elles échangeaient leurs adhérents entre elles quand une affaire sérieuse était montée, si bien qu'un crime pouvait être commis par des étrangers à la localité. Ils n'étaient pas moins de cinq cents affiliés dans tout le district du charbon.

Les assistants étaient réunis autour d'une longue table; la salle était dépourvue de tout ornement. Sur un côté, une autre table était dressée; elle était chargée de bouteilles et de verres; déjà quelques frères louchaient dans sa direction. McGinty s'assit au haut bout de la grande table; il était coiffé d'une toque plate de velours noir, et une sorte d'étole pourpre recouvrait ses épaules: il avait l'air d'un prêtre officiant pour une messe noire. Les plus hauts dignitaires de la loge l'entouraient, et parmi eux Ted Baldwin; chacun arborait une écharpe ou une médaille qui symbolisait sa fonction et son titre. Pour la plupart, c'étaient des hommes d'âge mûr; mais le reste de l'assistance se composait de jeunes gens qui avaient entre dix-huit et vingt-cinq ans et qui servaient d'exécutants à leurs aînés. Sur les visages de la plupart de ceux-ci, on devinait une âme féroce et indomptable; mais quand on regardait les jeunes, on avait peine à croire que ces garçons ardents et sincères constituaient vraiment une bande dangereuse de criminels. Hélas! Leurs esprits avaient succombé à une perversité morale si complète qu'ils mettaient un horrible amour-propre à être «efficaces», et qu'ils vouaient le plus profond respect à celui qui avait la réputation de réussir «un coup sans bavures». Radicalement corrompus, ils estimaient qu'il y avait de la chevalerie et du courage à se porter volontaires pour régler le compte de quelqu'un qui ne leur avait jamais nui et que, neuf fois sur dix, ils n'avaient jamais vu. Une fois le crime consommé, ils se querellaient pour savoir lequel avait assené le coup fatal, et ils s'amusaient à décrire les supplications et les spasmes de l'agonie de leur victime. Au début, ils avaient observé le secret sur leurs agissements, mais à l'époque où se situe ce récit, ils ne se gênaient plus pour en parler, car les échecs répétés de la loi leur avaient prouvé deux choses: d'abord que personne n'oserait témoigner contre eux, ensuite qu'ils disposaient d'un nombre illimité de faux témoins auxquels ils pouvaient faire appel, ainsi que d'un trésor bien garni où ils n'avaient qu'à puiser pour se faire défendre par les plus éminents avocats des États-Unis. Au cours de dix longues années, aucun d'entre eux n'avait subi la moindre condamnation; le seul danger qui menaçait les Éclaireurs résidait flans la victime elle-même qui, bien que débordée par le nombre et l’effet de surprise, risquait de laisser un souvenir (ce qui se produisait quelquefois) à ses agresseurs.