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– Alors vous l'exécuterez?

– Bien sûr!

– Quand?

– Eh bien! accordez-moi une nuit ou deux, afin que je repère la maison et que je dresse mon plan. Et puis…

– Très bien, déclara McGinty en lui serrant la main. Je m'en remets à vous. Ce sera un grand jour, celui où vous nous rapporterez la nouvelle. Ce dernier coup les mettra tous à genoux devant nous.

McMurdo réfléchit à la mission qui venait de lui être confiée inopinément. La maison isolée qu'habitait Chester Wilcox était située à une douzaine de kilomètres dans une vallée adjacente. La nuit même il partit seul pour préparer sa tentative. Il faisait grand jour quand il revint de sa reconnaissance. Le lendemain, il s'entretint avec ses deux subordonnés, Manders et Reilly, jeunes garçons sans pitié, qui se montrèrent aussi enchantés que s'il s'agissait de chasser le sanglier. Le surlendemain, ils se réunirent hors de la ville; ils étaient armés tous les trois; l'un d'eux portait un sac bourré de poudre utilisée dans les carrières. Il était deux heures du matin quand ils arrivèrent devant la maison. Il faisait grand vent; les nuages glissaient rapidement sous une lune qui en était à son troisième quartier. Ils avaient été prévenus d'avoir à se méfier des chiens de garde; aussi avancèrent-ils prudemment, revolver au poing. Mais il n'y eut d'autre bruit que le gémissement du vent et le bruissement des branches. McMurdo colla l'oreille contre la porte; personne ne bougeait à l'intérieur. Alors il cala le sac de poudre, le troua avec son couteau et y attacha la mèche. Quand il l'eut allumée, lui et ses deux camarades s'enfuirent à toutes jambes; ils étaient parvenus à une certaine distance et ils venaient de se coucher dans un fossé, quand l'explosion retentit: un sourd grondement précéda l'effondrement de la maison; leur travail était accompli. Jamais succès plus complet n'avait été enregistré dans les annales de la société. Hélas! la minutie des préparatifs, la finesse de la conception et la hardiesse dans l'exécution se révélèrent inutiles: se doutant qu'il était promis à l'anéantissement, Chester Wilcox avait déménagé la veille et il avait emmené sa famille dans un lieu plus sûr et moins connu, que gardait la police. L'explosion n’avait soufflé qu'une maison vide, et le vieux sergent continuait d’inculquer la discipline aux mineurs de Iron Dyke.

– Laissez-le-moi, dit McMurdo. Je m'en charge. Je jure que je l’aurai, même si je dois attendre mon heure pendant une année!

Une motion de remerciements et de confiance fut votée par la loge à l'unanimité, et l'affaire fut mise en sommeil. Quand, quelques semaines plus tard, les journaux annoncèrent que Wilcox avait affronté des coups de feu dans une embuscade, tout le monde comprit que McMurdo tenait à achever le travail commencé.

Telles étaient les méthodes de la Société des hommes libres, tels étaient les actes des Éclaireurs. Ainsi gouvernaient-ils par la peur ce grand district si riche. Pourquoi ces pages seraient-elles souillées par d'autres crimes? N'en ai-je pas assez dit pour situer ces hommes et leurs procédés? Leurs agissements font partie de l'histoire; ils sont consignés dans des dossiers. On y apprendra, par exemple, comment ont été tués les policiers Hunt et Evans parce qu'ils avaient osé arrêter deux membres de la société: ce double assassinat fut préparé dans la loge de Vermissa et perpétré de sang-froid. On lira également le récit des derniers instants de Mme Larbey, assassinée pendant qu'elle soignait son mari, lequel venait d'être battu à mort sur les ordres de McGinty. Le meurtre du vieux Jenkins, les mutilations de James Murdoch, la disparition de la famille Staphouse, la tuerie des Stendal se succédèrent au cours de cet hiver terrible. L'ombre s'obscurcissait sur la vallée de la peur. Le printemps surgit enfin, avec son cortège de ruisselets en cascade et d'arbres en fleurs. Il y avait de l'espoir pour toute la nature maintenue de longs mois sous la rude poigne de l'hiver; mais nulle part ne se levait la moindre espérance pour les hommes et les femmes assujettis à la terreur. Au-dessus de leurs têtes, jamais les nuages ne s'étaient amoncelés si noirs et si menaçants qu'au début de l'été 1875.

CHAPITRE VI Danger

C'était l'apogée du règne de la terreur. McMurdo, qui avait déjà été nommé diacre intérieur et qui avait toutes chances de succéder un jour à McGinty comme chef de corps, s'était tellement rendu indispensable aux réunions de ses camarades que rien ne s'organisait sans son concours et son avis. Mais plus sa popularité gagnait chez les Hommes libres, plus significatifs étaient les regards qu'il affrontait dans les rues de Vermissa. En dépit de leurs frayeurs, les habitants s'efforçaient maintenant de se liguer contre leurs oppresseurs. La loge avait appris que des réunions secrètes se tenaient dans les bureaux du Herald, et que des armes à feu avaient été distribuées aux tenants de la loi. Mais McGinty et ses hommes ne prêtaient qu'une oreille distraite à de telles rumeurs. Ils étaient nombreux, résolus, bien armés. Leurs adversaires étaient dispersés et sans influence; tous leurs efforts se solderaient, comme par le passé, par des parlotes sans effet. C'était du moins l'avis de McGinty, de McMurdo et de tous les esprits forts.

Un samedi soir de mai (la loge se réunissait toujours le samedi soir), McMurdo allait sortir de chez lui pour assister à l'assemblée, quand Morris, le faible de l'ordre, survint. Il avait le front soucieux, les yeux hagards.

– Puis-je vous parler en toute liberté, monsieur McMurdo? demanda-t-il.

– Bien sûr!

– Je n'oublie pas que je vous ai vidé mon cœur l'autre jour, et que vous n'en avez rien dit, même au chef de corps qui était venu vous interroger sur notre entretien.

– Puisque vous vous étiez confié à moi, que pouvais-je faire d'autre? D'ailleurs mon silence ne signifiait nullement une approbation.

– Je le sais. Mais vous êtes le seul à qui je puisse m'adresser en toute sécurité. J'ai un secret ici…

Il posa une main sur sa poitrine.

– … Un secret qui me ronge le cœur. J'aurais voulu qu'il tombe entre les mains de n'importe qui, mais pas entre les miennes. Si je le révèle, un meurtre s'ensuivra, j'en suis certain. Si je ne le révèle pas, il peut sonner notre glas à tous. Que Dieu m'aide! Je n'en peux plus.

McMurdo regarda attentivement son interlocuteur. Morris tremblait de tous ses membres. Il lui versa du whisky dans un verre et lui tendit.

– Voilà le remède pour des gens comme vous, dit-il. Maintenant dites-moi ce qui vous chiffonne.

Morris vida son verre; la couleur revint sur ses joues.

– Je peux vous le dire d'une phrase: il y a un détective sur notre piste.

McMurdo le considéra avec stupéfaction.

– Mais voyons, mon vieux, vous êtes cinglé! s'écria-t-il. Vermissa n'est-il pas bourré de policiers et de détectives; or, quel mal ont-ils jamais fait?

– Non, non! Il ne s'agit pas d'un homme du district. Comme vous l'avez dit, nous les connaissons et ils ne peuvent pas faire grand-chose. Mais avez-vous entendu parler des hommes de Pinkerton?

– Ce nom-là me dit quelque chose.

– Eh bien! vous pouvez m'en croire: une fois sur votre piste, ils ne vous lâchent pas! Ce n'est pas une entreprise du gouvernement, ce ne sont pas des fonctionnaires. C'est une organisation qui veut des résultats et qui fait tout pour les obtenir. Si un homme de Pinkerton est sur notre affaire, nous serons tous anéantis.