– Je ne prétends pas le savoir, dit Cecil Barker, mais j'ai vu cette marque sur Douglas quantité de fois depuis dix ans.
– Moi aussi je l'ai vue, dit le maître d'hôtel. Bien souvent, quand mon maître relevait ses manches, je l'avais remarquée. Et je me demandais ce qu'elle voulait dire.
– Donc elle n'a pas de rapport avec le crime, conclut le sergent. Mais tout de même elle n'est pas ordinaire. Dans cette affaire rien n'est banal. Eh bien! que se passe-t-il maintenant?
Le maître d'hôtel avait poussé une exclamation de surprise, et il montrait la main tendue du mort.
– On lui a pris son alliance! balbutia-t-il.
– Quoi?
– Mais oui! Mon maître portait toujours son alliance d'or au petit doigt de la main gauche, au-dessous de cette bague avec la pépite, tandis qu'il portait au troisième doigt la bague avec le serpent tordu. Voilà la pépite, voilà le serpent, mais l'alliance a disparu.
– Il a raison, dit Barker.
– Vous venez bien de déclarer, répéta le sergent, que l'alliance était au-dessous de l'autre bague?
– Toujours au-dessous!
– Alors le meurtrier, ou qui vous voudrez, a d'abord retiré cette bague à pépite, puis l'alliance, et ensuite il aurait replacé la bague à pépite?
– C'est ainsi.
Le digne policier du comté hocha la tête.
– Plus tôt nous mettrons Londres au courant, mieux cela vaudra, conclut-il. White Mason est un type remarquable: aucune affaire ne l'a jamais embarrassé ici! Il ne va pas tarder maintenant. Mais je suis bien certain que, pour une fois, il demandera du renfort à Londres. En ce qui me concerne, j'avoue sans honte que celle-là est un peu trop compliquée pour mon goût.
CHAPITRE IV Obscurité
À trois heures du matin, le chef détective du Sussex, répondant à l'appel urgent du sergent Wilson de Birlstone, arriva de son quartier général dans une légère charrette anglaise. Par le train de cinq heures quarante, il avait fait partir son message pour Scotland Yard, et il se trouvait à midi à la gare de Birlstone pour nous accueillir. M. White Mason avait un air tranquille et confortable, un visage rougeaud et rasé, un corps bâti en force; il portait un ample costume de tweed et des guêtres; il ressemblait à un petit fermier, à un garde-chasse en retraite, bref, à toute autre chose qu'à un échantillon très honorable de la police criminelle provinciale.
– Une affaire qui va nous donner beaucoup de fil à retordre, monsieur MacDonald! ne cessait-il de répéter. Nous allons voir s'abattre ici tout un essaim de journalistes quand la presse s'apercevra que c'est un vrai mystère. J'espère que nous aurons fait du bon travail avant qu'ils fourrent leur nez dans notre enquête et brouillent toutes les pistes. Il y a des détails qui ne vous déplairont pas, monsieur Holmes. Et à vous non plus, docteur Watson, car les toubibs auront leur mot à dire. Votre appartement est retenu aux Armes-de-Westville. C'est le seul hôtel de l'endroit, mais on m'a assuré qu'il était propre et décent. Le porteur va s'occuper de vos bagages. Par ici, messieurs, s'il vous plaît!
Il était charmant et dynamique, ce détective du Sussex! En dix minutes nous avions trouvé nos chambres. Dix minutes plus tard nous étions assis dans le petit salon de l'auberge et informés des faits tels que le lecteur les a lus dans le chapitre précédent. MacDonald prenait des notes. Holmes avait l'air du botaniste surpris et respectueux qui contemple une fleur rare.
– Remarquable! s'exclama-t-il quand l'histoire lui fut contée. Tout à fait remarquable! Je ne me rappelle guère d'affaire ayant présenté un aspect aussi singulier!
– Je pensais bien qu'elle vous enchanterait, monsieur Holmes! dit White Mason ravi. Nous ne sommes pas en retard sur notre époque, dans le Sussex. Je vous ai exposé la situation telle que je l'ai apprise du sergent Wilson entre trois et quatre heures du matin. Ma parole, ma vieille jument a bien trotté! Mais je n'avais pas besoin de tant me presser, puisque, dans l'immédiat, je ne pouvais rien faire. Le sergent Wilson était en possession de tous les faits. Je les ai vérifiés. J'y ai réfléchi, et j'ai légèrement complété leur collection.
– Vous avez du neuf? interrogea avidement Holmes.
– Voilà. D'abord j'ai examiné le marteau. Le docteur Wood m'y a aidé. Nous n'avons relevé dessus aucune trace de violence. J'espérais que, si M. Douglas s'était défendu avec le marteau, nous aurions pu relever un indice quelconque. Mais le marteau ne présentait aucune tache.
– Cela ne prouve rien du tout, fit remarquer l'inspecteur MacDonald. De nombreux crimes commis à coups de marteau n'ont laissé aucune trace sur le marteau.
– C'est exact. Mais s'il y avait eu des taches, elles nous auraient aidés. Le fait est qu'il n'y en avait pas. Puis j'ai examiné le fusil. Il avait été chargé de chevrotines. D'autre part, ainsi que l'avait remarqué le sergent Wilson, les deux gâchettes avaient été attachées ensemble, de telle sorte qu'en appuyant sur la gâchette postérieure les deux canons se déchargeaient simultanément. L'inventeur de ce procédé était certainement bien résolu à ne pas rater son homme. Le fusil scié n'avait pas plus de soixante-cinq centimètres de long; il était donc facilement transportable sous un manteau. Le nom complet du fabricant n'y figurait pas, mais les lettres «PEN» étaient gravées sur la cannelure entre les deux canons; le reste du nom avait été scié.
– Un P majuscule, avec une enjolivure au-dessus, et un E et un N plus petits? s'enquit Holmes.
– En effet.
– Pennsylvania Small Arm Company, firme américaine bien connue, dit Holmes.
White Mason eut pour mon ami le regard que lance le petit médecin de campagne au spécialiste de Harley Street qui d'un mot résout le problème qui l'embarrassait.
– Voilà un grand pas de fait, monsieur Holmes. Vous avez sûrement raison. Merveilleux! Merveilleux! Gardez-vous dans votre mémoire les noms de tous les fabricants d'armes du monde entier?…
Holmes écarta le sujet d'un geste de la main.
– … Sans aucun doute, c'est un fusil de chasse américain, reprit White Mason. J'ai lu quelque part qu'un fusil de chasse scié était une arme utilisée dans certaines régions de l'Amérique. Il y a donc de fortes présomptions pour que l'individu qui s'est introduit dans le manoir et qui a tué le maître de maison soit un Américain.
MacDonald hocha la tête.
– Mon cher, vous allez trop vite! dit-il. Je n'ai pas encore eu la preuve qu'un étranger s'était effectivement introduit dans le manoir.
– La fenêtre ouverte, le sang sur l'appui de la fenêtre, le carton bizarre, des traces de souliers dans le coin, le fusil…
– Rien là-dedans qui n'ait pu être arrangé d'avance. M. Douglas était Américain, ou du moins il avait longtemps vécu en Amérique. M. Barker également. Vous n'avez pas forcément besoin d'introduire un Américain de l'extérieur pour trouver une explication à ces détails américains.
– Ames, le maître d'hôtel…
– Est-il digne de confiance?
– Il est resté dix ans en place chez sir Charles Chandos: aussi solide qu'un roc. Il est chez les Douglas depuis leur installation au manoir, c'est-à-dire depuis cinq ans. Il n'a jamais vu un fusil pareil dans la maison.