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Comment aurait-elle pu refuser ? Cette femme à la voix douce et persuasive incarnait son salut.

Elles avaient longuement parlé, Alexandra allongée, ses jambes mortes raidies sous les draps, Marie assise au bord du lit.

Marie était ensuite ressortie. Elle était restée un instant plantée derrière la porte ; Alexandra discernait sa silhouette massive au travers du verre cathédrale. Elle parlait à un homme qui venait de la rejoindre. Sans doute un médecin. Un petit homme qui écoutait plutôt qu'il ne parlait. Et qui secouait parfois la tête de droite et de gauche, pris d'un tic irrépressible...

La voix Martin s'impose à nouveau, éloignant ce souvenir :

– De retour au commissariat, nous lancerons un avis de recherche et ferons diffuser son signalement dans les aéroports, les gares, les stations-service...

À quoi tout cela pourra-t-il servir ? se demand'Alexandra. Une intuition lui dit maintenant que cette « Marie » n'existe déjà plus. Elle éprouve un pressentiment morbide qui se présente en fait comme une certitude.

« Qu'était venue chercher chez moi cette intruse ? »

Dialogue nocturne

Nuit de mercredi.

Un léger toussotement réveille Alexandra. Un son familier... Celui que fait souvent Marie pour signifier sa présence quand elle pénètre dans une pièce de la maison.

Marie !

Alexandra est soudain prise de terreur. Marie est dans sa chambre ! Elle a osé revenir...

Alexandra la cherche des yeux, dans l'ombre. Elle distingue sa silhouette massive, debout au pied du lit, la dominant comme une geôlière. Depuis combien de temps la regarde-t-elle ainsi ? Et que lui veut-elle ?

Alexandra désire allumer sa lampe de chevet, mais s'aperçoit alors avec une angoisse qui lui broie la poitrine qu'elle a les bras entravés. Ses poignets sont liés aux montants du lit.

Un nouveau toussotement, immédiatement suivi de ce rire qu'Alexandra aimait tant et qu'elle exècre à présent. Ce rire angélique, limpide comme une eau pure, qui roulait dans la gorge de Marie, est devenu un ricanement guttural et hideux.

« Mon Dieu, elle m'a bernée durant toutes ces années ! Ce démon m'a trahie, me volant mes jambes, ma confiance et mon amitié ! »

– Je t'en prie, Marie, implore la jeune femme qui ne peut retenir ses larmes. Je t'en conjure, qui que tu sois, sors de ma vie et de celle de mon fille !

– Ton fille ? lance une voix hargneuse. Ton fille ?

« Même sa voix a changé ! La bête a ôté son masque et se présente telle qu'elle est en réalité. Une harpie ! »

– Oui, mon fille ! s'écrie Alexandra. C'est moi qui l'ai mis au monde, non ? Il est sorti de mon ventre ! Margot ne t'appartient pas...

– Pauvre petite Alexandra aveugle ! C'est bien la seule chose que tu aies faite pour lui : le pousser hors de toi ! Moi, j'ai fait davantage ! Je l'ai élevé, nourri, rassuré, accompagné... et aimé ! Ne me suis-je pas comportée comme une mère à son égard, tandis que tu le délaissais pour te consacrer à ta carrière ? Oui, Alexandra, tu soignais des enfants, c'est vrai. Mais ce n'étaient pas les tiens ! Quand tu rentrais, le soir, Margot t'embrassait comme il aurait embrassé une grande sœur... Moi, il m'enlaçait ! Moi, il m'écoutait lui raconter des histoires pour l'endormir ! Moi ! Moi... Pas toi, pauvre poupée aux jambes brisées ! Ton fille n'est pas le tien ! Tu l'as perdu le jour de sa naissance !

– C'est donc cela ! s'exclame Alexandra. Tu m'as manipulée pour accaparer Margot. C'était ton plan ? M'immobiliser, me droguer pour m'éloigner de lui ? Dans quel but ? Et pourquoi avoir attendu tout ce temps ?

– Tu ne pourrais pas comprendre... Le jour où je suis entrée dans ta chambre, à la maternité, ce n'était pas pour t'aider. J'avais été envoyée pour Margot ! Pour veiller sur lui. Je te le dis, Alexandra, tout cela te dépasse. Tu n'es qu'un rouage d'une extraordinaire machine. Un minuscule rivet d'une mécanique complexe. Rien d'autre qu'un ventre... dans lequel Margot s'est formé !

Alexandra tire sur ses liens, en vain. Elle tire cependant si fort que les cordes lui cisaillent la peau. Elle est certaine qu'à cette seconde précise elle recouvrerait l'usage de ses jambes si elle parvenait à se désentraver... Elle se jetterait sur cette ignoble créature pour l'étrangler et jouirait de sentir sa vie cesser de battre sous ses doigts.

Et sa véritable existence naîtrait à cet instant. Là, dans la mort de Marie.

« La mort de Marie... »

Elle se répète cette phrase en une sorte de litanie obsédante. « La mort de Marie... » L'écho de sa voix résonne en elle au plus profond de son sommeil. Car elle rêve. Elle s'en assure en rouvrant les yeux, en fouillant d'un regard apaisé la chambre vide, en bougeant ses mains qui ne sont pas encordées, en se hissant sur ses avant-bras pour se redresser et allumer la lampe de chevet.

« Marie est morte », pense-t-elle.

Et elle sourit, s'étonnant à peine d'éprouver une coupable satisfaction.

Quelques mouches

Jeudi, dix heures.

Morgane, la baby-sitter d'Anna et d'Hugo, les enfants de M. et Mme Antier, a décidé d'emmener ses petits protégés visiter le superbe jardin botanique Henri-Gaussen de l'université Paul-Sabatier.

Anna est passionnée par les plantes et par les fleurs ; elle a même commencé la confection d'un herbier, scotchant maladroitement mais très consciencieusement la moindre petite feuille trouvée le long des rues ou dans les squares. Comme elle ne sait pas encore écrire autre chose que son prénom, celui de son frère et ceux de ses parents, toutes ses découvertes sont répertoriées sous les dénominations Anna, Hugo, Jean et Sophie, écrites avec application en lettres bâton.

Hugo, lui, préfère les insectes qu'il traque du matin au soir dans tous les coins et recoins de la maison pourtant impeccablement entretenue. Mais aucune bestiole, si petite soit-elle, ne peut échapper à sa dextérité de chasseur. L'habitude lui a inculqué une infaillible technique ; il parvient désormais à les prendre toutes vivantes pour les emprisonner dans les pots de yaourt qu'il a demandé à sa mère de conserver. Trois étagères de sa chambre accueillent ainsi mouches, moustiques, araignées et autres abeilles que l'enfermement condamne inéluctablement à très court terme, obligeant le jeune entomologiste à repartir à la chasse.

La proposition de Morgane les ravit donc l'un et l'autre, la baby-sitter leur expliquant qu'Anna pourra consulter les herbiers contenant plus de trois cent mille planches, et que ce serait bien le diable si Hugo ne parvenait pas à débusquer là-bas de nouvelles proies !

On embarque donc une provision de pots de yaourt vides, de feuilles de papier et de crayons de couleur, Anna se promettant de dessiner des plantes cranivores...

– Carnivores ! la reprend Morgane.

– C'est vrai qu'elles peuvent manger des gens comme nous ?

– Il faudrait pour cela qu'elles soient géantes, la rassure Morgane en finissant de l'habiller. Celles que nous allons voir ne doivent gober que de minuscules bestioles. Tu pourras t'approcher d'elles sans crainte, ma chérie.

Par les transports en commun, ils atteignent l'université Paul-Sabatier en moins de vingt minutes.

La magnifique collection de conifères, dont on dénombre trois cent cinquante spécimens, laisse les deux enfants indifférents. Épicéas, épinettes blanches ou du Colorado ne sont, pour Anna et Hugo, que de vulgaires arbres alors qu'ils ne rêvent que cactus et plantes carnivores.

Ayant enfin trouvé leur bonheur, ils se lancent dans une observation attentive de cette végétation exotique, permettant à Morgane de s'asseoir sur un banc pour lire les dernières pages d'un vieux James Hadley Chase déniché chez un bouquiniste réputé, rue de Metz.