Je l'ai abandonné au pied de la côte ; la sente que je dois maintenant emprunter est trop caillouteuse.
Je gravis ce raidillon escarpé qui traverse une forêt de sapins figés par la nuit. À chaque pas je m'enfonce dans une ombre de plus en plus épaisse, gorgée d'une fraîche odeur de sève. Mon cœur tape fort dans ma poitrine. Il bat de bonheur.
Car plus je progresse dans cette sapinière ténébreuse, plus j'éprouve un sentiment de liberté. Je me rends vers le passage...
Je les entends enfin ! Toutes ces voix qui m'appellent depuis mon arrivée à Toulouse. Cette présence protéiforme, composée de myriades d'entités... Ces âmes réunies en une seule, unique et immortelle. Ce sont les miens – ma véritable famille –, qui se réjouissent de me voir revenir à eux.
Je sors de la forêt, nimbé par ces créatures amies qui me frôlent, m'effleurent en magnifiques et chaleureuses caresses, me poussent et m'attirent. Il en vient de toutes parts.
Je saisis ce qu'elles me disent dans leur lente et profonde clameur. C'est un chant superbe qui me donne envie de pleurer de joie, tant il me transporte.
Voici la grotte. Celle où Estelle Sormand a trouvé la mort. Voici le ventre de terre et de roc dans lequel je vais retourner à la vie. Ma vie !
Je n'ai nul besoin de lumière pour me diriger, trouver l'endroit où je dois me placer pour quitter ce monde. Là, sous le signe gravé dans la voûte de la grande salle... Là, à un point précis où convergent des forces opposées, où le temps et l'espace s'affranchissent des règles de la physique des hommes.
Les voix désormais bruissent tout autour de moi ; leur chœur s'amplifie, prenant possession de la caverne entière, faisant gronder la pierre et trembler le sol sous mes pieds.
Je n'éprouve aucune crainte. Au contraire, c'est avec allégresse que je me tends, ouvrant large mes bras en un geste d'offrande et d'accueil... Je déplie mes ailes pour que mes sœurs et frères du deuxième monde m'emportent dans un vol au travers du temps.
La clameur est devenue une merveilleuse mélopée. Un chant roulant comme une vague immense et sage qui approche pour se saisir de moi.
Bientôt je ne serai plus qu'un souvenir sur cette terre...
Je n'aurai existé que le temps de renaître.