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– Je sais. Martin Servaz est passé avec un collègue. Ils ont fouillé sa chambre.

– Ils t'ont dit quelque chose ?

– Tu as déjà vu un policier livrer aussi rapidement ses hypothèses ?

« Non ! Bien sûr ! songe-t-il. Surtout Martin, vrai taiseux de nature. »

Il se redresse soudain, regardant Claudia droit dans les yeux, l'appelant muettement. Puis, après un long moment :

– J'ai conscience du mal que je t'ai fait endurer, chérie. J'ai rompu avec Gwen. Ne veux-tu pas que nous portions ensemble notre deuil ?

Raphaël ne s'attendait pas à la voir esquisser un tel sourire de mépris. « Il est devenu si banal, pense la femme. Si pathétique ! Ce n'est plus qu'un vieil homme qui a creusé lui-même sa propre tombe. Et, là encore, la solitude l'effraie. Il m'appelle chérie après m'avoir bafouée. »

– Imaginais-tu réellement qu'en venant ici je t'ouvrirais les bras, Raphaël ? Tu n'es plus rien pour moi. Excepté le père de ma fille.

– C'est déjà beaucoup, ânonne-t-il, larmoyant. N'est-ce pas ce qui peut nous réunir ? Je suis là...

– Qu'en ai-je à faire, que tu sois là ? Étais-tu là, ce matin, quand Martin est venu ? Étais-tu là, pendant que j'errais de pièce en pièce ? Étais-tu là, quand Estelle et moi avions besoin de toi ? Où étais-tu ? Avec ta petite salope de Gwen !

Raphaël s'effondre. Ses larges épaules s'affaissent, son menton tombe sur sa poitrine. Il capitule.

– Je n'aurais pas dû venir, marmonne-t-il en se levant. Pardonne-moi !

Claudia n'esquisse pas un geste pour le retenir.

– Bonsoir ! lâche Raphaël d'une voix éteinte.

Elle ne répond pas.

Une fois dehors, le silence et la fraîcheur de la nuit le saisissent. Il sait qu'il va reprendre son errance à travers la ville jusqu'au petit matin. Puis, quand l'aube poindra, il regagnera son bureau, se mettra à son ordinateur et reviendra à son traité Pour un temps quantique...

Seul. Face à ce rêve pourtant si proche. Cette théorie inimaginable qu'il a néanmoins effleurée.

Le rêve

Elles me croient toutes deux dans ma chambre, encore à dormir, profitant de mes derniers jours de vacances... L'une et l'autre sont persuadées que je ne suis qu'un loir adorant se réfugier dans les draps.

Les draps... Chaque soir, lorsque je m'y glisse, ils me donnent l'impression d'être humides. Comme un suaire !

Au contraire, je dors peu. Mon esprit ne cesse de fouiller la nuit, à l'écoute des ombres qui sortent lentement, très progressivement de leur monde pour venir me cerner, se couler les unes dans les autres, s'accouplant en couinant, se désunissant, semblant repartir, mais revenant toujours.

Quand j'ai entendu bouger dans la maison, je suis descendu à pas de loup. Maman et Marie se trouvaient dans la serre. Maman était légèrement inquiète ; elle avait une voix nerveuse.

– Ne souhaites-tu pas que je te conduise, ma chérie ? a demandé Marie.

– Non, a répondu maman. S'ils me voient accompagnée, ils vont prendre cela pour un signe de faiblesse. Je dois faire bonne impression dès le premier jour.

– Je te laisserai à quelques dizaines de mètres de l'hôpital, si tu veux. Tu feras le reste du chemin seule...

– N'insiste pas, Marie. Je m'en sortirai, je te le promets.

– Soit, a consenti Marie un peu sèchement.

Puis ce fut le silence. Marie devait masser les jambes de maman... Lui appliquer ces longues et douces caresses qui me déplaisent lorsque j'en suis le témoin.

Enfin, c'est Marie qui a rompu cet interminable répit :

– Tu n'as pas encore rêvé de ce cerf, au moins ?

– Je ne crois pas, a dit maman sans grande conviction.

– Tu ne me mens pas pour me rassurer, n'est-ce pas ?

– Je te l'ai dit, je ne m'en souviens plus.

Maintenant, je me dirige vers la cuisine. Maman et Marie ne vont plus tarder à sortir de la serre. Je ne dois jamais être pris en flagrant délit d'espionnage ! Je suis un adolescent modèle, poli, sans défaut majeur.

Un adolescent qui compte comme seules amies des formes intemporelles qui viennent lui rendre des visites répétées en lui chantant dans une langue inconnue, telles des sirènes, les promesses d'un monde magnifique.

Décidément, je dois absolument trouver le « passage » qui me conduira dans ce rêve superbe qui m'attend !

Mélisse

Il est dix heures du matin quand Alexandra se gare sur le parking de l'hôpital des Sorbiers, très connu à Toulouse pour ses remarquables thérapies psychiatriques en milieu semi-ouvert.

Le soleil est voilé. La journée sera tiède, mais grise.

« C'est là que va reprendre ma carrière », se dit-elle en regardant le bâtiment à l'architecture classique, aux allures d'hôtel particulier. Elle s'imprègne de l'environnement, retrouvant le vaste parc dans lequel vont et viennent patients et personnel médical, satisfaite d'éprouver cette agréable impression de sérénité qu'elle a ressentie lors de sa première visite.

Le professeur Vals, directeur de l'établissement, l'avait reçue fort aimablement – trop affable, même –, ne cessant de la complimenter sur son travail à Nantes. En particulier sur sa thèse sur « Les multiples troubles cognitifs schizophréniques », qu'il avait manifestement lue et appréciée. « Brillante ! » lui avait-il dit. Au point qu'il n'avait pas compris pour quelle raison elle était allée s'enterrer à Nantes...

Elle avait évidemment tu son passé et préféré alléguer le fait que, dans son unité, elle était chargée d'enfants psychotiques, ce qui l'avait passionnée. Sa réponse avait paru convenir à Vals, quoiqu'il eût esquissé un petit sourire équivoque.

– Pourquoi avez-vous souhaité changer de voie ? Ici, aux Sorbiers, nous ne traitons que des adultes.

Elle s'était légèrement embrouillée pour répondre, parlant d'un nouveau défi à relever... Ce qui avait provoqué un second sourire ambigu de la part du directeur.

De toute manière, le choix de Vals était déjà arrêté. Il l'avait engagée. Malgré son handicap, dans lequel il voyait au contraire un avantage. Sans préciser pour autant lequel...

« De la commisération ? » s'était demandé Alexandra.

Il lui avait fait ensuite parcourir l'hôpital de long en large en compagnie d'un certain Virgile qui semblait suivre son supérieur comme son ombre, silencieux et taciturne. Un infirmier bénéficiant visiblement de la confiance totale du directeur.

Ce type l'avait intriguée, presque impressionnée : un grand gars d'une quarantaine d'années, au regard bleu, quasiment fixe. Tout en muscles, le geste bref, tranchant. D'autorité, il avait poussé son fauteuil. Sans doute était-ce par amabilité, bien qu'elle se fût demandé si ce n'était pas plutôt pour mieux contrôler une éventuelle curiosité déplacée de sa part.

Elle s'était rendu compte de ce détail quand ils étaient passés devant le secteur sécurisé où se situaient les chambres d'isolement thérapeutique. Alexandra avait manifesté le désir de les visiter, mais Vals avait refusé, prétendant que cela ne présentait pas grand intérêt, puis, consultant sa montre, il s'était rappelé qu'un conseil d'administration le réclamait.

Aussitôt Virgile avait obliqué dans une autre direction, montrant ainsi qu'il obéissait au doigt et à l'œil à son patron.

Toutefois, Alexandra avait insisté, et Vals avait cédé à contre-cœur, jetant un regard contrarié à Virgile.

Elle avait donc pu pénétrer dans l'une de ces chambres qu'elle avait trouvé banale. Le lit, la table, la chaise et l'armoire étaient fixés solidement au sol par de gros rivets. Comme dans toutes les chambres d'isolement.