Les deux hommes pénètrent dans la chambre. Premier coup d'œil... La pièce est plongée dans l'obscurité. Le lit n'est pas défait. Tout est bien rangé, trop bien rangé. Comme si le gamin était un maniaque de l'ordre et de la propreté... « Pas d'odeur de tabac », remarque Martin.
Seignolles tire les rideaux pour laisser pénétrer un peu de lumière malgré l'orage qui se prépare. La chambre s'emplit alors d'une lueur jaunâtre qui semble en élargir brusquement les proportions.
– Répartissons-nous le travail, propose Martin. Je prends ce côté, et vous celui-ci. Mais, surtout, ne me refaites pas le coup du derviche tourneur !
– Dommage, c'est pourtant une méthode efficace !
Martin ouvre le tiroir de la table de chevet ; il y trouve des lettres soigneusement attachées par un ruban vert et n'hésite pas une seconde : il les parcourt toutes brièvement, les lisant en diagonale... Des lettres d'une certaine Catherine, datées de trois ans plus tôt ; une gamine, à en juger par l'écriture et le style. Un premier amour ?
Puis des petits agendas et des répertoires. Martin les feuillette méthodiquement. Rien de bien significatif. Le nom d'Estelle ne figure sur aucun des carnets. Il referme le tiroir, déçu.
Le bureau, propre lui aussi. Apparemment, ce Cédric ne possède pas d'ordinateur... Deux dossiers où sont classés des factures et des papiers administratifs. Un magazine scientifique, quelques crayons, stylos et trombones. Martin éprouve à nouveau la désagréable impression que les lieux ont été nettoyés. Tout est bien trop lisse. Anodin, sans âme. C'en est aussi désespérant que suspect.
Il s'arrête un instant devant une étagère où sont rangés quelques livres. Distorsions du temps ; Intrication quantique ; Constituants de la matière... entre autres ouvrages, tous de Raphaël Sormand ! « Encore un admirateur ! » pense Martin.
De son côté, Seignolles, après avoir soulevé le matelas, examiné le sommier, s'être mis à genoux pour regarder sous le lit, a entrepris la fouille de l'armoire. À son habitude, il passe tout en revue avec une application d'apothicaire, écartant les vêtements soigneusement suspendus à une tringle, déplaçant chemises et tee-shirts...
Soudain, il se retourne, brandissant une paire de chaussures de running usées.
– Du quarante-quatre ! clame-t-il d'un air triomphant.
Martin grogne :
– Cela ne me suffit pas. C'est une indication, pas une preuve. De toute manière, si ces chaussures ont servi à aller dans la grotte, elles ont été parfaitement nettoyées. Regardez, Luc... Elles sont trop propres. Et puis, une centaine de garçons doivent chausser du quarante-quatre, dans cette université ! D'ailleurs, on ne peut pas les emporter pour les faire analyser au labo. Non, il manque quelque chose d'irréfutable pour établir un lien avec la petite. À mon avis, il y a peu de chances pour que nous trouvions quelque indice dans cette chambre plus clean que celle d'une clinique !
– Que cherchez-vous, en fait ? demande Seignolles.
– Je ne sais pas... Quelque chose de personnel, d'intime.
– Dans ce cas-là, ou c'est parfaitement caché, et nous passons à côté, ou ce n'est pas dans cette pièce. Optons pour la première hypothèse, et reprenons... Nous en avons terminé avec la chambre, voyons le cabinet de toilette.
Et, claquant dans ses mains, Seignolles se rend dans la petite salle de bain. Martin l'y rejoint après avoir jeté un dernier coup d'œil circulaire à la chambre.
– A priori, peu d'endroits où dissimuler un trésor. L'armoire à pharmacie ? Rien... Le placard ? Rien, sinon un rasoir, quelques serviettes, gants... produits de toilette.
Seignolles s'assoit sur le rebord de la baignoire. Il réfléchit. Lui, où aurait-il caché quelque chose à quoi il aurait tenu ?
– Tiens, tiens..., fait-il.
– Oui ? demande Martin.
– Là, dit Seignolles en désignant l'étroite ouverture percée dans le coffrage de la baignoire, permettant un accès au robinet de vidange de la tuyauterie.
Seignolles sort de l'une de ses poches une minuscule lampe-torche, s'agenouille et scrute l'orifice. Il y découvre rapidement un sac en plastique qu'il dégage de la cachette avec une fierté non dissimulée.
– Chapeau, Luc ! le félicite Martin.
Les deux hommes retournent dans la chambre ; Seignolles déballe le contenu de la pochette sur le lit. Des photos d'Estelle... Des lettres... Une rose rouge séchée...
– Voici la fleur jumelle de celle que nous avons trouvée dans la chambre d'Estelle.
Les deux hommes étudient ensuite les documents constitués de très courts mails imprimés provenant d'un ordinateur. Signés de l'un ou de l'autre. La plupart évoquent des rendez-vous. Pas de tournure amoureuse. Juste de brèves phrases affectueuses, toutes ponctuées de bises amicales.
– Il faut être un peu dingue pour conserver ça comme des reliques ! s'exclame Seignolles. C'est d'un banal !
– Ou carrément amoureux, et ne pas oser l'exprimer ! enchaîne Martin.
Il a pris la fleur rouge qu'il tourne et retourne délicatement dans sa main, prenant soin de ne pas la briser. « Amoureux ! » répète-t-il.
Seignolles acquiesce.
– Pour moi, c'est simple ! Ce type attire Estelle dans la grotte en lui promettant je ne sais quelle expérience extraordinaire... Pour cela, il lui offre d'avaler une substance quelconque afin de la faire planer... Le dosage est mortel, et hop ! elle en meurt. Du coup, le type panique et se tire...
Martin s'est posté devant la fenêtre pour réfléchir ; il regarde distraitement les étudiants sur le campus. Une phrase de Sartre lui revient étonnamment en mémoire : « On ne peut pas être dehors et en même temps regarder par la fenêtre les gens passer dans la rue... »
– Ce ne sont là que des conjectures, Luc, en rien des certitudes. Je ne sais pas encore pourquoi, mais je pense que ces deux gamins n'étaient pas seuls dans la grotte, et qu'ils ont été embarqués dans quelque chose qui les a dépassés. Peut-être même qu'à l'heure qu'il est, ce Cédric est mort... lui aussi !
Seignolles, qui s'est assis au bord du lit, paraît perplexe.
– Je veux bien, moi, mais qui, alors ? Qui était avec ces deux mômes ?
Martin hausse les épaules.
– Comment savoir ? Le seul pouvant nous le dire serait Cédric, s'il s'agit effectivement de lui... Et s'il est encore vivant ! Je crois qu'il est urgent d'organiser une battue dans les environs de la grotte, dans un périmètre assez large.
Les deux hommes ressortent de la chambre. Ils reprennent le couloir qui mène à l'ascenseur, sans échanger le moindre mot. Toutefois, Martin a la conviction que Seignolles songe exactement à la même chose que lui. À cet instant précis, comme leurs pas réglés à une cadence semblable, leurs pensées sont à l'unisson.
« Cédric Tissier ne franchira plus jamais le seuil de cette chambre... »
L'orage
C'est une explosion. La déflagration espérée qui se répercute d'est en ouest en un écho prolongé ; puis une pluie serrée, verticale et claquante, s'abat sur Toulouse.
Alexandra roule au travers de ce mur liquide, ses essuie-glaces ne chassant que pour de trop brefs instants les masses d'eau qui brouillent son pare-brise.
Elle ne souhaite pas rentrer tout de suite à son domicile où l'attendent Marie et Margot, certainement impatientes de lui demander comment s'est passée cette première demi-journée aux Sorbiers. Son nouveau job !
Que pourra-t-elle leur répondre ? Qu'elle a été victime d'une hallucination... Le cerf fuyant l'attaque d'un loup au pelage noir et aux yeux de feu ! Qu'une gamine à moitié nue l'a prise en otage et a bien failli lui percer la gorge ! Que cette patiente s'était adressée à elle directement dans son esprit !