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– Attention, recommande-t-il, la mousse est gorgée de rosée ; vous pourriez faire un grand saut, comme cet animal !

Martin, solidement maintenu par le gendarme, s'incline en avant. Une vingtaine de mètres plus bas, sur un escarpement, gît un cerf. Sans bois.

– Ce n'est pas vraiment le spectacle idéal quand on n'a rien dans le ventre !

– Je vais jeter un coup d'œil..., propose Seignolles qui a déjà repéré la voie lui permettant d'atteindre la plate-forme.

– Vous ne souhaitez pas attendre qu'on vous assure ? s'inquiète Martin.

Seignolles se contente de lui sourire. Martin se rapproche encore un peu plus du gouffre et observe le gendarme descendre avec une agilité déconcertante. Martin pense qu'il y serait sans doute parvenu, mais probablement avec moins d'assurance, en tout cas plus lentement. Et la peur au ventre.

– C'est un cerf... scalpé ! hurle Seignolles qui vient d'arriver à hauteur de l'animal. Quelle boucherie ! Il n'y a qu'un malade pour faire ça !

Martin se saisit du talkie.

– Bloquez tout le périmètre. Nous avons trouvé quelque chose. Plus personne ne peut ni ne doit passer. Appelez aussi l'hélico. Code 2. C'est urgent !

Puis, se penchant à nouveau pour s'adresser à Seignolles :

– Vos collègues déboulent. J'ai aussi demandé un hélico...

Soudain, son portable sonne. Il sursaute, fouille dans sa poche pour en extraire nerveusement l'appareil qu'il colle à son oreille.

– Euh... Martin ?

– Oui !

– C'est Souad...

– Je sais, votre numéro s'est inscrit sur l'écran...

– Je crois qu'il faudrait qu'on se voie rapidement. J'ai pas mal d'informations à vous transmettre...

– On finit ici avec Luc et on vous rejoint.

Il raccroche. Agacé. C'est incroyable, rien qu'à l'entendre, cette gamine lui met les nerfs en pelote ! Il avait tellement hâte d'interrompre la conversation qu'il en a oublié de lui demander de quelles informations il s'agissait. Aucune importance pour le moment ; l'essentiel, à ses yeux, se passe ici.

Attendre, maintenant. Attendre que la dépouille du cerf soit hélitreuillée et transportée à l'institut médico-légal pour autopsie.

« Est-ce avec le sang de cet animal que le motif a été peint sur la peau d'Estelle ? »

Attendre... Martin déteste cela.

La danse

Quand Martin et Seignolles entrent dans leur QG, en fin d'après-midi, ils découvrent une Souad triomphante, un large sourire aux lèvres, les pieds posés sur le bureau, les mains croisées sous la nuque.

– Jolies bottes, remarque Seignolles au passage. Croco ?

– Synthétique ! Lorsqu'on est écolo comme moi, on respecte les lézards et toutes les bestioles à écailles, à plumes ou à poil !

– Végétarienne aussi, alors ?

– Pas vraiment, non ! Viande crue... Très crue !

Martin s'est dirigé directement vers le tableau noir, s'est saisi d'une craie et, se retournant sur les deux enquêteurs :

– La récréation est terminée ! Passons aux choses sérieuses. Je vous propose de mettre en évidence les premiers points de notre affaire.

Regardant plus particulièrement Souad, il ajoute :

– Tout peut être dit, mais avec les formes !

Elle hausse les épaules et lui décoche un de ses regards dédaigneux dont elle a le secret. « Toi, mon vieux, avec tes airs de maître d'école, tes allures de play-boy sur le retour, tes petits sous-entendus et ton côté baroudeur-qui-a-tout-connu, je vais me faire un plaisir de te coucher dans mon lit au moment précis où je l'aurai décidé ! Un petit claquement de doigts, et Môssieur me tombera tout rôti dans les bras... Car tu me montres trop d'hostilité pour ne pas être un petit peu attiré par moi ! Et, tu vois, c'est chouette : je suis libre depuis la semaine dernière ! »

Seignolles a sorti son carnet, en tourne les pages comme s'il s'agissait d'une bible et commence son rapport cependant que Martin note les faits essentiels sur le tableau noir, tel un professeur consciencieux.

– Nous avons donc trouvé ce matin un cerf scalpé. Il gisait à flanc de montagne. La proximité du lieu de la découverte avec la grotte où Estelle est morte est un élément à prendre en compte. Mais cela peut très bien être le geste d'un chasseur qui ne désirait s'emparer que de ses bois. Ce genre de collectionneur existe, malheureusement ! Ce qui effacerait tout rapport entre les deux événements.

Souad intervient aussitôt :

– Sauf que le signe a été tracé sur le corps de la victime avec du sang d'origine animale. Le résultat des analyses est formel. Vous m'auriez donné la parole en premier, on aurait gagné un peu de temps !

Martin et Seignolles la dévisagent.

– Peut-on savoir assez vite s'il s'agit précisément du sang de notre cerf ? s'enquiert Martin.

– Bien sûr ! répond Seignolles. Il suffirait de le demander à l'institut médico-légal.

– Pas de problème, réplique Souad, maintenant que je suis dédiée aux paillasses et aux pipettes, je vais m'en occuper...

Seignolles étouffe un fou rire. Martin se contente de sourire.

– Ne vous inquiétez pas, la rassure-t-il, vous viendrez bientôt sur le terrain, je vous le promets.

– Donc, reprend Seignolles, si c'est le sang de ce cerf qui figure sur la peau d'Estelle, pourquoi avoir arraché les bois de l'animal ? Et que s'est-il passé dans cette foutue grotte ? On a évoqué le chamanisme, hier... Tout ce bazar semble confirmer une telle théorie, non ?

– Je n'en sais rien ! tranche Martin. Chamanisme, magie, sorcellerie, mystagogie, maraboutage... On peut établir une liste de suppositions longue comme le bras ! Il est prématuré d'imaginer quoi que ce soit. D'une part, avant d'avoir la certitude qu'il s'agit bien du sang de notre cerf, d'autre part parce que nous devons retrouver la trace de Cédric qui me paraît remplir un rôle essentiel dans le déroulement des événements...

– Vous pourriez peut-être me dire de qui on parle ! s'étonne Souad.

Martin et Seignolles prennent alors conscience d'avoir sauté une étape importante. C'est le gendarme qui résume leur rencontre avec Gwen, puis leurs découvertes dans la chambre de Cédric : les échanges de mails, les roses rouges séchées, les photographies...

Souad siffle d'admiration.

– De vrais limiers ! lance-t-elle. C'est cela, les hommes de terrain ! Moi, c'est plus prosaïque... D'après les premiers résultats de l'analyse toxicologique, Estelle est décédée des suites d'un arrêt cardiaque. Selon votre ami Baziret, elle aurait abusé d'un alcaloïde, une sorte de substance organique d'origine végétale qui produirait un effet psychotrope. Ce qui collerait plutôt avec le chamanisme...

– En gros, intervient Seignolles, elle a fait une overdose, quoi !

– Oui ! Sauf que la gamine, avons-nous constaté, n'était pas une toxicomane ! L'analyse de ses cheveux n'a révélé aucune accoutumance à quelque drogue que ce soit ! On peut parier que c'est dans cette grotte qu'elle a absorbé pour la première et dernière fois un stupéfiant. Une saloperie mal dosée !

Martin continue de noter les éléments les plus significatifs de l'échange entre ses deux collaborateurs, appréciant leur enthousiasme.

– A-t-on une idée du type de drogue ? Ne serait-ce pas du peyotl, par hasard ?

– Banco ! s'exclame Souad. Comment avez-vous deviné ?

– Une substance végétale... j'ai pensé à Aldous Huxley... C'est ce qui le faisait planer.

– Oui ! répond Souad. Par précaution, j'avais demandé une chromato...

– Parfait ! conclut Martin en reposant la craie ; on a avancé, depuis hier ! Mes félicitations ! Je vous propose d'aller boire ce fameux verre ensemble avant de repartir sur le sentier de la guerre !