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La grotte...

Sa niche d'ombre qui formait un ventre humide dans lequel ils s'étaient lovés, leurs peaux unies, leurs yeux offerts, leurs lèvres soudées. Oui, dans ces entrailles de la terre, dans ce tombeau qui devait apporter leur renaissance, ils avaient cru à l'éternité...

Les employés des pompes funèbres laissent désormais filer les cordes retenant le cercueil qui disparaît par saccades dans la fosse, arrachant à certains des pleurs bruyants.

Le geste empesé, le pas lent, les participants viennent alors jeter, chacun leur tour, leur rose dans la tombe.

Martin regarde Claudia qui se tient droite et digne, l'œil sec, s'interdisant par pudeur d'exhiber son chagrin, sachant déjà qu'elle devra s'accommoder de cette douleur qui ne la quittera jamais plus. Sormand, plus loin, sa rose encore à la main, est secoué de spasmes brefs qui haussent et abaissent ses épaules de manière irrégulière.

Martin observe maintenant la femme mûre qui se tient derrière le fauteuil d'Alexandra et qui se penche parfois pour lui parler à l'oreille. Il ne l'a jamais vue ; sa mémoire en aurait conservé la silhouette. Trapue, massive, ses jambes courtes solidement fichées en terre, pareilles à des racines, le visage rond à l'allure avenante mais trahissant néanmoins une dureté contenue, les hanches larges : un bloc...

Martin prend soudain conscience qu'il est gelé et se met à piétiner sur place pour détendre ses muscles. Comme cela a été prévu entre eux, Souad et Seignolles vont se mêler à la foule pour écouter, repérer, observer. Sait-on jamais ? De nombreux psychologues de la police affirment que les criminels éprouvent un plaisir malsain à venir assister à l'inhumation de leur victime... Tandis qu'elle avance, Souad se retourne à plusieurs reprises sur Martin, se demandant ce qui l'a subitement bouleversé.

Martin, lui, demeure immobile tandis que l'assistance commence à se disperser. Va-t-il oser s'approcher d'Alexandra ? Aura-t-il le courage de lui parler ? Pour l'instant, pétrifié d'angoisse, il lui est impossible de faire le moindre pas. Comment l'accueillera-t-elle ? Le reconnaîtra-t-elle ?

Il allume une cigarette et laisse errer son regard sur les gens qui présentent leurs condoléances à Claudia et à Raphaël. Poignées de main, embrassades, accolades, inclinaisons du buste, pleurs... Toujours ce rituel mécanique, si prévisible. Mais un visage retient son attention : celui d'un homme petit et maigre qui se tient légèrement à l'écart. L'espace d'une seconde à peine... Il a vu le nez prononcé, le front dégarni et trop bombé, l'arc des gros sourcils gris.

Martin a déjà croisé cet homme. Il ne parvient cependant pas à se rappeler à quelle époque. Au début de sa carrière ? S'agit-il d'un flic ?

Enfin, après avoir écrasé sa cigarette, il se décide. Profitant de ce qu'Alexandra s'éloigne du groupe, poussée par l'inconnue, il coupe à travers le cimetière, les jambes dures comme du bois, l'esprit glacé, la gorge rêche.

Il surgit dans l'allée, face à elle. La femme qui dirige le fauteuil le dévisage, stupéfaite ; comment comprend-t-il qu'elle a deviné qui il est ? Et pourquoi cette haine qui enflamme brutalement son regard ?

Alexandra lève les yeux vers lui, incapable de dissimuler sa surprise et son émotion, les lèvres agitées d'un tremblement. Retenant un geste de la main. L'appelant pourtant muettement. Ou le rejetant ?

L'inconnue détourne la tête et accélère le pas, poussant vivement le fauteuil, laissant Martin se demander pour quelle raison Alexandra n'utilise pas le moteur électrique... « Cette femme la possède ! »

– Laisse-moi, Marie ! dit Alexandra. Je te rejoins à la voiture.

Sans cacher son hostilité envers Martin, Marie se retire, le frôlant volontairement de son épaule, comme pour le provoquer.

– Fais vite, dit-elle. Il commence à pleuvoir.

Durant quelques secondes, Martin et Alexandra demeurent face à face, les yeux dans les yeux, indifférents à la foule qui se désunit dans de multiples crissements de semelles sur le sol.

Insensibles aussi aux regards de ceux qui, étonnés de cette scène, les observent à la dérobée. Coup d'œil par-dessus une épaule... Murmures interrogatifs... Nul ne peut comprendre qu'Alexandra et Martin viennent de replonger ensemble dans un passé commun.

Martin passe derrière le fauteuil pour le conduire. Alexandra garde le silence. D'ailleurs, souhaiterait-elle parler qu'elle n'y parviendrait pas, tant sa gorge est serrée. Elle se laisse aller à ce nouveau rythme de pas, si différent de celui de Marie. Quelque peu maladroit, mais calme et se voulant précautionneux.

Ils parviennent à un banc ; Martin place le fauteuil de façon à ce qu'Alexandra puisse le voir, assis en face d'elle. Il s'assied, allume une cigarette, tardant à relever les yeux. À la regarder vraiment, maintenant. Dans ce présent qui adoucit les images de sa mémoire.

Ils se dévisagent. Il avait oublié combien ses traits étaient doux, juvéniles.

– Tu as bien fait de venir, dit-elle. Pour Claudia et Raphaël... Mais comment as-tu appris ?

– Je suis chargé de l'enquête sur la mort d'Estelle...

– Ah, tu es...

– Flic, oui.

Un nouveau silence. Ils ne savent pas par quelle phrase commencer. Partir de quel événement ? L'expérience ? L'éboulement de la grotte ? Juste après ?

– Ta dernière lettre, se lance Martin, t'en souviens-tu ?

– Naturellement, et je suis persuadée qu'avec ta mémoire, tu la connais par cœur, n'est-ce pas ? Tu possèdes bien toujours cette étonnante mémoire ?

– Elle me joue parfois de mauvais tours... Néanmoins, je n'ai pas oublié comment tu la terminais : « Je te demande instamment, par respect de l'amour qui a été le nôtre, de ne jamais rien tenter pour me retrouver. Oublie-moi à tout jamais... »

– Je te remercie d'avoir respecté ma volonté, Martin.

« Comment lui décrire, pense-t-il, cette souffrance qui l'a déchiré à la lecture de ces mots ? Comment énumérer les nuits sans sommeil, les angoisses, le dégoût inspiré par d'autres corps féminins, l'alcool, le tabagisme, la solitude ? Et l'habitude née du quotidien, la mécanique qui se remet en marche, tournant au rythme de la vie qui s'emplit progressivement d'une nouvelle musique monotone, fade et insipide. Sans s'imaginer un seul instant qu'elle était clouée dans un fauteuil roulant... Car l'habitude annihile justement toute imagination en faisant de chaque jour le médiocre épisode d'une terne ritournelle. »

Il lui en veut ! À son insu, son regard se durcit, ses mâchoires se contractent, et une pointe acide lui perce le ventre.

– Voilà dix-sept ans que je me pose la question ! Pourquoi ce silence ?

Sans aucune aménité, Alexandra désigne sa chaise roulante.

– Tu as la réponse !

– Et alors ? dit-il. C'est ton explication... Moi, je...

– Quoi ? demande vivement Alexandra d'une voix plus sèche. Tu nous aurais épousés, mon fauteuil et moi ? Par sens du devoir, probablement ! Toi, l'homme de parole !

– Tu n'avais pas le droit de décider à ma place. Cette décision, nous aurions pu la prendre ensemble.

– Ah oui ! J'oubliais, bien sûr ! répliqu'Alexandra, soudain hors d'elle. L'amour fou, la fusion, l'osmose, deux en un, comme tu disais ! Cela marche quand on est entier. Quand on peut courir, baiser, se mouvoir dans le monde, comme tout un chacun ! Pas quand on est dans mon état. Au regard de ce que j'avais subi, j'avais tous les droits ! À commencer par celui de refuser ta pitié ! La pitié, Martin, détruit l'amour.

Martin n'aurait pu présumer que cette rencontre prendrait un tel ton. Qu'elle deviendrait un combat ! Qu'il lui faudrait encaisser ces coups en plein cœur.

– Je t'aimais, murmure-t-il, tassé sur son banc. Explique-moi, au moins ! Tu me dois bien cela.