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– Pas mal raisonné ! Moi, j'adhère complètement à ce point de vue. Il est vrai que tous les fille que nous avons sortis de la pelote semblent converger vers l'université.

Souad et Seignolles attendent les réactions de leur supérieur. À leur surprise, ce dernier leur offre un large sourire. Un sourire comme ils ne lui en ont jamais vu sur les lèvres depuis qu'ils le connaissent. Même ses yeux sourient, tout pétillants d'une malice surprenante. Il donne le sentiment d'avoir eu une idée rayonnante.

– Moi aussi j'y adhère, se contente-t-il cependant de dire.

– Au moins, voilà qui est laconique, remarque Seignolles.

Puis, sans qu'aucun des deux autres ne s'y attende, Martin se lève subitement et décroche son blouson de la patère.

– Tu... Vous nous lâchez ? s'étonne Souad.

Martin est déjà à la porte. Il se retourne et, toujours tout sourire :

– Eh bien, quoi ! Pourquoi me lancez-vous ces yeux-là, tous les deux ? Suivez-moi, Souad ! J'ai rendez-vous avec le juge d'instruction ; vous allez m'accompagner. Vous verrez : si vous ne l'avez jamais vécue, c'est l'occasion de subir une épreuve édifiante. Quant à vous, Luc, amusez-vous autant que vous voulez avec cette superbe machine à café, mais prenez tout de même un peu de temps pour réfléchir à la suite des événements... Car nous allons en effet concentrer notre attention sur l'université.

– De quelle manière ?

– Méditez l'histoire du cheval de Troie ! dit Martin en refermant la porte sur Souad et sur lui.

Parvenu au véhicule de service, Martin se met d'autorité au volant et actionne immédiatement le gyrophare.

– Vous savez, lui fait remarquer Souad, qu'on ne doit l'utiliser que dans les cas d'extrême urgence. J'ai l'impression que cela vous amuse de faire de la lumière et beaucoup de bruit : vous aimiez les manèges, quand vous étiez môme ?

Martin démarre, s'extrait du créneau en deux rapides mouvements de volant, et se propulse au milieu de la circulation, précédé par sa sirène.

– Tout devient urgent en ce moment... Le juge m'attendait à midi ; nous sommes déjà en retard. Et c'est vrai, j'éprouve un sentiment de puissance qui ravit mon côté mâle dominant, quand les ploucs s'écartent sur mon passage !

– Vous vous fichez de moi, là ?

– Écoute, Souad... Lorsque nous sommes seuls, nous pourrions nous tutoyer. Tout à l'heure, tu as bien failli le faire.

– Nous nous sommes contentés de danser ensemble une seule fois, Martin !

– Comme tu voudras.

Il ne leur faut pas plus d'un quart d'heure pour atteindre le palais de justice.

– Vous... Tu me reprochais de conduire vite ! remarque Souad en sortant du véhicule. Mais je n'ai rien à t'envier ! Par contre, moi, je ne prends jamais autant de risques en ville !

Martin n'a même pas entendu ou a ignoré volontairement la réflexion, il file déjà, blouson sur l'épaule, traversant la grande cour d'honneur au pas de course.

Le juge Barrot les reçoit immédiatement, son visage poupin tout renfrogné d'avoir attendu. Comme au premier jour où Martin l'a rencontré, le magistrat est habillé avec un soin excessif, portant un costume remarquablement taillé qui parvient à dissimuler au mieux son embonpoint. Chaussures italiennes trop pointues. Cravate moirée. Les cheveux plaqués en arrière, délicatement mais visiblement teints.

Avant même de les inviter à s'asseoir, il lance d'un ton hautain :

– Alors, où en sommes-nous ? J'espère que vous m'apportez des informations... Cette affaire est en train de prendre de l'importance et de dépasser le cadre régional, comme vous avez pu le constater. Hier soir, le journal de la Deux a ouvert sur ce sujet ! La presse a débarqué en masse ; mes services sont débordés par les appels téléphoniques. Et moi, que puis-je annoncer ? S'agit-il d'un crime sectaire, passionnel ou tout simplement d'une séance de spiritisme qui aurait mal tourné ?

Martin a décidé de prendre son temps pour répondre. Il s'assoit d'abord, pose son blouson sur ses cuisses, d'un coup de menton invite Souad à choisir le siège à sa droite, et enfin, la voix basse, ralentissant volontairement son débit, il dit :

– Monsieur le juge, je vous présente mon adjointe, Souad Boukhrane...

Le juge Barrot, qui a pris place derrière son imposant bureau, accorde un regard distrait à la jeune femme.

– Je sais... Nous nous sommes déjà vus devant la grotte. Donc ?

Souad note la brève crispation des mâchoires Martin qui se force pourtant à sourire. Un rictus, plutôt. Un trait étiré des lèvres qui creuse une profonde fossette dans chaque joue.

– Monsieur le juge, nous sommes dans une situation délicate..., commence Martin.

– Délicate, en effet.

La jeune femme s'amuse intérieurement. À chaque fois que son supérieur donne du monsieur le juge à Barrot, c'est un peu comme s'il l'injuriait.

Martin poursuit :

– Il ne vous a pas échappé, monsieur le juge, que la personnalité même du père de la victime attire les médias. Le professeur Sormand a toujours focalisé la presse sur lui...

– La presse scientifique essentiellement, le coupe le juge. À cause de certaines de ses théories.

Ignorant l'intervention de Barrot, Martin reprend :

– La victime étant la fille de ce physicien réputé – quoique souvent controversé –, nous ne devons pas feindre d'être surpris que le public s'intéresse à cette enquête. Et c'est là, monsieur le juge, que la situation devient délicate, du moins en ce qui nous concerne, mon équipe et moi.

– Et pourquoi, mon Dieu ? s'étonne Barrot en se penchant sur son bureau comme s'il cherchait à recueillir une révélation d'une importance capitale, les yeux ronds, la bouche ouverte en cul de poule.

La voix Martin se fait d'un coup plus dure, mordante :

– Ce ne sont ni l'opinion publique, ni les médias, ni les politiques qui imposent le rythme d'une enquête, monsieur le juge !

Barrot se rejette en arrière, toussote et, s'adoucissant :

– Je suis désolé d'être aussi impatient, commandant. Je suis persuadé que vous faites tout votre possible, mais...

– Au vu des éléments dont nous disposons, tranche brusquement Martin, tout laisse accroire qu'un groupe d'illuminés a recherché le grand frisson au cours d'une séance mystico-chamanique qui aurait viré au drame. Estelle Maincourt-Sormand n'a subi aucune violence sexuelle. Son corps ne portait pas la moindre marque de blessure.

Le juge étale ses mains bien à plat sur son bureau, se redresse, semble réfléchir et dit :

– Dans ce cas, vous pensez que le reste de la bande se trouverait parmi les camarades de la victime et du présumé suspect ?

– C'est un peu cela, confirme Martin. Comme nous allons sûrement consacrer beaucoup de temps à chercher l'ami d'Estelle, Cédric Tessier, je crois qu'il serait judicieux d'enquêter dans le milieu où évoluaient la victime et le supposé coupable, autrement dit à l'université... À ce propos, je souhaiterais vous demander l'autorisation d'infiltrer celle-ci.

– Si je comprends bien votre intention, souligne le juge, vous comptez faire passer pour un nouvel élève un jeune enquêteur : c'est cela, n'est-ce pas ?

– Une enquêtrice, précise Martin, lançant un clin d'œil à Souad.

La jeune femme bondit sur son siège. « Le cheval de Troie ! La voilà, son idée lumineuse... Et c'est moi qui la lui ai soufflée ! C'est pourquoi il souriait aussi crânement dans le bureau, tout à l'heure ! Il avait déjà concocté son plan... »

– C'est une excellente idée, concède le juge, mais si j'ordonne cette infiltration, comment allons-nous nous y prendre ? Nous devons mettre le président de l'université dans la confidence et choisir une personne ayant un aspect suffisamment juvénile pour donner le change. Quelqu'un qui soit capable d'assimiler rapidement toutes les informations que vous avez récoltées jusqu'à présent... Beaucoup de qualités à réunir en une seule tête ! Une jeune femme, dites-vous ?