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– Eh bien, répond Martin sans regarder Souad, ma collaboratrice, ici présente, s'est portée immédiatement volontaire pour accomplir cette mission. Comme vous pouvez le constater, elle paraît très jeune et possède déjà le look adéquat ! De plus, au risque de la gêner, je peux vous affirmer qu'elle est fort brillante, qu'elle est experte en physique-chimie et qu'elle brûle d'envie d'aller sur le terrain !

Cette fois, le juge porte une attention plus soutenue à Souad qu'il dévisage et qu'il évalue comme ferait un amateur d'art devant un antique tanagra récemment mis sur le marché.

– Puisque votre collaboratrice est d'accord, je n'y vois aucun inconvénient. Il ne nous reste plus qu'à remplir un peu de paperasse, solliciter la signature du président, et mademoiselle reprend ses études !

Il est le seul à rire. Martin ne bronche pas. Souad se demande déjà comment elle rendra à ce dernier la monnaie de sa pièce.

– Affaire réglée ! fait le juge en se levant et en tendant la main à Souad. Félicitations, mademoiselle. Puis, saluant Martin : Bien joué, commandant, vous m'avez donné de quoi faire patienter le procureur. Merci !

Martin serre la main molle et humide de Barrot. « Une main qui ressemble à un poisson mort ! »

À peine les deux policiers sont-ils sortis du palais de justice que Souad explose :

– Vous auriez quand même pu me prévenir, non ? Pour qui me prenez-vous ? Une gamine qu'on manipule aisément et qui satisfait à tous les désirs de son supérieur au motif qu'il saurait mieux ce qu'il doit faire que les autres ? Vous vous êtes fichu de moi durant tout l'entretien...

– Tiens, c'est marrant !

– Quoi ?

– Tu m'as vouvoyé pour m'engueuler !

Souad fourre les mains dans les poches de son jean et ne desserre plus les dents avant d'être remontée dans la voiture.

Martin allume une cigarette et met le contact.

– Pas de gyrophare, cette fois ? ironise la jeune femme.

– Nous sommes moins pressés ; j'ai obtenu ce que je voulais. Et tu devrais me remercier : tu revendiquais ta place sur le terrain ; je te l'ai acquise !

– Mais pourquoi as-tu menti au juge en lui disant que c'est moi qui avais eu cette idée ? Je n'en vois pas l'intérêt.

– C'était le meilleur moyen de le convaincre. Ce type ne m'aime pas ; je le sens. C'est un prétentieux imbu de sa personne, qui doit estimer que ma réputation est surfaite. Je suis un Parisien qui déboule pour piétiner ses plates-bandes provinciales... L'idée serait venue de moi, il en aurait été vexé et n'y aurait pas souscrit ! D'une gamine, c'était différent...

– Tu sais, Martin...

– Oui ?

– Tu gagnes à être connu.

– Pourquoi ?

– Tu es un type rudement vicieux !

« Mélisse ! où es-tu ? »

Le dimanche matin, la clinique des Sorbiers, habituellement si calme, retenue dans son propre temps marqué du rythme des soins et des promenades, s'emplit dès dix heures d'une vie différente, sonore et animée : c'est le jour des visites. Des parents retiennent leurs larmes devant un fille autiste qui ne les reconnaît pas, un petit frère joue avec une grande sœur qui l'injurie sans raison... On réconforte, on s'apitoie, on compatit, ou l'on cache fort civilement l'indifférence envers un ami en détresse dont on s'étonne qu'il ne cesse de se lamenter sur d'infimes malheurs qui lui broient cependant l'âme.

Alexandra, en blouse blanche, maniant avec dextérité son fauteuil électrique, navigue maintenant à l'aise dans l'établissement ; elle se rend jusqu'au comptoir d'accueil. Celui-ci est tenu par les deux hôtesses en service le week-end, auxquelles elle s'est présentée la veille et qui l'ont déjà adoptée. Mais Alexandra n'est pas dupe, son infirmité attire si facilement la compassion !

– Pourrais-je consulter le cahier des admissions ? demande-t-elle.

– Bien sûr, docteur, lui répond l'une des deux femmes en ouvrant un tiroir pour en sortir un grand registre qu'elle lui tend.

Alexandra s'écarte légèrement pour feuilleter le cahier. « Mélisse, ce ne peut être qu'un prénom, si original que cela soit ! Le docteur Vals n'appelle ses patients que par leur prénom... »

Patiemment, sous l'œil curieux des deux hôtesses, Alexandra, de l'index, fait défiler page après page prénoms et noms des patients... Quarante-huit pensionnaires... Quarante-huit, mais pas de Mélisse.

Se retournant vers le bureau :

– Je ne trouve aucune patiente prénommée Mélisse !

– Mélisse, vous dites ? s'étonne la première hôtesse. Je ne connais aucune malade affublée de ce prénom ! Vous pensez si je m'en souviendrais !

– Mais enfin, j'ai été tout récemment en sa présence... Une jeune fille de dix-sept ans à peu près. Très maigre... Les cheveux coupés court, blonde, de grands yeux...

L'hôtesse marque à nouveau son étonnement et se tourne vers sa collègue, en discussion avec un visiteur.

– Ça te dit quelque chose, une patiente du prénom de Mélisse, toi ? C'est peut-être un surnom ?

– Non, ça ne me rappelle rien. Jamais entendu parler...

– Vous voyez, reprend la première, il n'y a pas de Mélisse dans cette clinique, docteur.

– C'est impossible ! s'offusqu'Alexandra en se rapprochant du comptoir. Je l'ai vue au premier étage, dans le quartier de sécurité que me faisait visiter le docteur Vals... Elle était manifestement en proie à une crise de panique, et...

La seconde hôtesse l'interrompt et s'adresse à elle comme s'il s'agissait d'une patiente, très calmement, sur un ton condescendant :

– Je vous dis qu'il n'y a pas de Mélisse ici, docteur ! Cela fait des années que je travaille à l'accueil, tantôt la semaine, tantôt le week-end ; je connais tous les patients traités entre ces murs ! De plus, nous ne leur attribuons aucun diminutif, ce qui serait un manque de respect envers eux. Vous avez dû mal comprendre... Voyez avec le professeur Vals, il s'agit sans doute d'une autre jeune fille !

Furieuse, Alexandra abandonne le listing sur le comptoir et actionne le moteur électrique de son fauteuil pour se diriger vers les ascenseurs, l'esprit assailli de questions. Elle ne peut pas s'être trompée à ce point... À moins que... ? Elle avait été prise d'une vision, juste avant de se retrouver face à ce petit fantôme gringalet, cette adolescente à demi nue qui la fixait de ses yeux fiévreux.

L'aurait-elle rêvée ? Mélisse faisait-elle partie de son hallucination ? Pourtant, à la réflexion, elle se souvient nettement de la douleur occasionnée par la pointe de la seringue que l'inconnue avait introduite de quelques millimètres dans son cou. Et elle revoit Virgile emporter la jeune malade sur une épaule, puis disparaître avec Vals derrière la porte à deux battants... « Non, cette gamine existe bel et bien ! C'était réellement un être de chair et de sang, non une chimère de mon esprit ! »

Dans l'ascenseur, Alexandra, décidée à en avoir le cœur net, appuie sur le bouton du troisième qui dessert l'étage de la direction où se trouve le bureau de Vals. « Il existe forcément une explication. Peut-être que les patients du secteur de sécurité sont enregistrés sur un autre cahier. »

Parvenue au troisième étage, Alexandra attire d'emblée la sollicitude d'une infirmière qui l'aide à sortir de l'ascenseur alors qu'elle est capable de le faire seule. Être constamment renvoyée à son handicap est pour elle presque plus insupportable que de ne pas pouvoir marcher.

– Merci, prononce-t-elle du bout des lèvres.