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– Et toi ? demande-t-il à Souad.

Elle s'apprête à lui parler de sa cité de Bondy, quand elle se reprend :

– Mon père est ingénieur aéronautique. Une grosse tête ! Je dois tenir de lui ; j'apprends à une vitesse folle.

– J'ai cru comprendre. J'ai entendu que tu avais habité Alger.

– Oui, ces trois dernières années. On voyage pas mal...

« On s'en moque, de ces foutaises ! Je dois l'amener à me parler d'Estelle... Même si je dois y aller avec de gros sabots ! »

– Tout à l'heure, quand je suis arrivée, vous étiez bien en train de discuter de cette fille qu'on a retrouvée morte dans une grotte, non ?

– Estelle... En effet. Tu as entendu parler du professeur Sormand ?

– Naturellement. J'ai même lu quelques-uns de ses livres. Pourquoi ?

– Estelle était sa fille. Rudement intéressante et sympa. Elle aussi était douée pour les études. Une bûcheuse ! Mais avec un léger grain...

– Elle avait quand même un mec, non ? demande aussitôt Souad en profitant de l'occasion qui lui est donnée. Elle ne passait pas tout son temps à potasser !

Florent paraît surpris.

– Non ! Non ! Je ne crois pas. En tout cas, ce n'était pas officiel !

– Ah bon ? J'ai dû mal comprendre... Je pensais qu'elle était avec le gars qui a disparu...

Florent éclate alors de rire.

– Tu veux parler de Cédric ? Je crois qu'il aurait bien aimé se la faire, c'est certain. Il en mourait d'envie... Mais je peux t'assurer que, pour elle, il n'était qu'un pote ! Remarque, ils auraient fait la paire, tous les deux ! Aussi barrés l'un que l'autre !

– Bah ! On l'est tous un peu, non ? dit Souad en s'appuyant sur un coude.

– Non, mais là... Tu n'imagines pas, ces deux-là. Ils déconnaient grave, sur ce coup !

– Ah bon ? Quel genre ? De quel coup parles-tu ?

Soudain, Florent esquisse un léger mouvement de recul. Souad en est certaine, elle a mis le doigt sur quelque chose ! Elle se demande comment corriger le tir, quand son compagnon se lève vivement en consultant sa montre.

– Tu as vu l'heure ? J'ai la relativité restreinte qui m'attend, moi... Je dois filer !

Mais Souad a eu le temps d'apercevoir un minuscule tatouage encré dans le cou du jeune homme.

– Super mignon, ton tatouage ! s'exclame-t-elle en se levant à son tour et en découvrant le col de la chemise de Florent. Je pourrais avoir le même ? Que représente-t-il ?

Florent ne répond pas, regardant par-dessus l'épaule de Souad le groupe de cinq étudiants qui vient vers eux, mené par Gwen. Souad se retourne juste à temps pour saisir l'expression de colère de la jeune chargée de TD. De colère et d'inquiétude...

– Aucun intérêt ! bafouille Florent, cramoisi. J'étais bourré, le jour où on me l'a fait...

Laissant Souad, il se hâte de rejoindre Gwen.

« Un tatouage original, mon mignon ! Un 8 ouvert à ses deux extrémités avec un trait horizontal au sommet. »

Débriefing personnel

Souad est restée quelques secondes, perplexe, à se demander quel genre de mufle était ce type qui la laissait ainsi en plan pour courir rejoindre le groupe d'étudiants conduit par Gwen... Ceux auxquels elle avait d'ailleurs dispensé certains conseils lors de l'examen. Mais n'étaient-ce que des conseils ?

– Tu essaies d'apprivoiser cette grande asperge de Florent ? a fredonné une voix chantante dans le dos de l'enquêtrice.

Souad s'est retournée pour se retrouver face à une frimousse toute ronde, picotée de minuscules points de rouille, agrémentée d'une chevelure flamboyante qui paraissait avoir explosé la seconde précédente, d'un sourire rose bonbon en forme de cœur, de seins moulés comme de jolies madeleines dans un chemisier vert amande trop étroit, et d'yeux noisette emplis de bonne humeur.

« Cette fille était dans le labo tout à l'heure... Trois rangs derrière moi. Toute mignarde derrière des lunettes qu'elle a certainement ôtées par coquetterie dès la sortie du cours. J'avais juste remarqué sa crinière... Et là, elle rayonne ! C'est du concentré de joie à l'état pur ! »

– Je m'appelle Virginie, s'est présentée la jeune fille en élargissant son sourire tout miel, tout sucre.

– Souad... Souad Boukhrane.

– Oui, c'est toi, la nouvelle. Tu débarques d'Alger, c'est bien cela ?

– Je suis un peu perdue, sur ce campus. C'est une véritable usine... Il paraît que nous sommes une trentaine de milliers d'étudiants ?

– Vingt-huit mille exactement, précise Virginie. Et il faut que tu choisisses Florent pour te servir de guide ! Il y a mieux, comme chevalier servant...

– Il n'est pas trop mal...

– Question physique, je ne dis pas.

– Alors, où se situe son gros défaut caché ?

Nouveau sourire bonbon de Virginie qui lui a désigné le groupe formé par Gwen et sa poignée d'étudiants en disant :

– C'est juste l'un des toutous de Miss Gwen ! As-tu remarqué comme elle l'a sifflé d'un simple regard ? Ils sont une demi-douzaine à l'escorter... Je me demande si elle se les tape tous ! Les filles comprises...

Puis, entraînant Souad par le bras :

– Si tu veux, après les cours, on va boire un pot à la cafétéria. Je t'apprendrai des tonnes de trucs sur la vie du campus. Surtout sur le petit monde de l'UFR physique-chimie... Je suis une vraie fouine !

Et c'est ainsi qu'à dix-huit heures, après deux heures de conversation avec Virginie, Souad sort de la cafétéria. En vérité, pense l'enquêtrice, ce n'était pas une vraie discussion, plutôt un long monologue que sa récente amie a débité de sa voix chantante et que Souad ponctuait parfois d'un mouvement de tête, d'un regard ou d'une question pour le relancer.

Souad est satisfaite, heureuse même. Sa première expérience sur le terrain s'est très bien déroulée ; elle ne revient pas les mains vides au QG. Elle imagine déjà avec un contentement gourmand l'expression Martin et de Seignolles quand elle leur racontera ce qu'elle a appris... Surtout Martin !

Elle a décidé de flâner avant de prendre son bus. Le temps de remettre de l'ordre dans son esprit, de faire le point pour être au meilleur de sa forme pour livrer son exposé à Martin et à Luc.

Cet exercice qu'elle n'a jamais eu l'occasion de pratiquer devant ses pipettes lui paraît essentiel. Cela n'a plus rien à voir avec un rapport clinique empli de graphiques et de formules.

Par où commencera-t-elle ? La découverte du tatouage dans le cou de Florent, l'identique réplique du motif peint sur le dos d'Estelle et gravé sur la paroi de la grotte... ? Ou le fait que, selon Virginie-la-fouine, Gwen, la chargée de TD, est l'amante du professeur Sormand depuis deux ans ?

– Je les ai moi-même surpris, lui a avoué Virginie. Un soir, je suis retournée chercher un classeur que j'avais oublié le matin au labo. Et je suis tombée sur Sormand et Gwen qui baisaient. Je suis certaine qu'ils ne m'ont pas vue... Mais moi, je peux t'assurer que je suis restée un petit moment à les mater par l'entrebâillement de la porte ! Eh bien, je peux t'affirmer que Sormand serait capable d'en remontrer à la plupart des jeunes !

« Du coup, se dit Souad, cette liaison suscite questions et hypothèses. Pourquoi Sormand n'en a-t-il rien dit à Martin ? Le fait que Sormand et Gwen aient des relations intimes implique forcément qu'ils connaissent l'un et l'autre une partie de la vérité... En tout cas sur Estelle et Cédric, puisque ceux-ci étaient des élèves de Gwen. Quelle était la nature des relations entre Gwen et Estelle ? Cette dernière devait nécessairement être au courant de la liaison de son père avec sa prof ! Toute l'université était au courant ! Tout Toulouse, même, semble-t-il ! »