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Le plus important, n'est-ce pas ce que lui a confié Virginie à la fin de leur conversation :

– Tout à l'heure, je t'ai dit que Florent était l'un des toutous de Miss Gwen. Mais c'est pire que cela !

– Tu m'intéresses de plus en plus, a réagi Souad en dissimulant sa curiosité de flic, mais en jouant plutôt les midinettes. Tu vas m'apprendre quelque chose de bien croustillant ?

– Gwen dirige un club restreint d'étudiants... Une société secrète comme il en existe dans les universités américaines. Bien plus modeste que la fameuse Skull and Bones Society qui a enfanté des George Bush, des John Kerry ou autres, naturellement ! Il n'empêche qu'elle organise des rencontres mystérieuses avec mots de passe, rituel, cérémonie d'initiation, et croit former une élite parmi les étudiants !

– Florent est du groupe ?

– Avec les cinq autres que tu as vus tout à l'heure. Mais leur organisation a pris un sacré coup dans l'aile, ces derniers jours... Une de leurs adeptes vient de mourir, et un septième membre a disparu !

À ce moment, Souad n'avait pas pu masquer sa surprise, et c'est d'une voix un peu trop empressée qu'elle avait demandé :

– Tu veux parler d'Estelle Sormand et de Cédric Tissier ?

– Exactement ! Tu ne trouves pas ça étrange, toi ?

Bien sûr qu'elle avait trouvé cette révélation étrange... « D'autant que le signe en 8 doit être leur emblème ! »

Si tout ce que Virginie-la-fouine lui a appris est exact, elle prend conscience qu'il ne lui reste qu'une issue : poursuivre son infiltration et découvrir le moyen de se faire introniser dans la secte de Gwen. Elle imagine déjà une stratégie. Douée en physique, elle pourra peut-être impressionner la gourou et la séduire suffisamment pour qu'elle la remarque, la juge et l'accepte dans son groupe... Tout en se servant de Florent comme entremetteur. Oui, c'est par lui qu'elle pourra être cooptée !

Cela ne lui paraît pas impossible à réaliser. Moins, en tout cas, que de convaincre Martin de lui laisser entreprendre cette opération, craignant qu'il refuse, persuadé de son inexpérience.

La jeune femme est maintenant pressée de rejoindre le QG, impatiente de délivrer à ses collègues sa moisson d'informations. Et de décider Martin à lui permettre d'intégrer le club de Gwen.

Lorsque Souad atteint la station de bus, elle est alertée par la présence d'un homme d'une trentaine d'années qui vient se poster sur sa droite. Il s'est arrêté brutalement alors qu'il marchait légèrement en retrait. Comme si, subitement, il avait eu l'intention de prendre lui aussi le bus... Une intention bien imprévue, pense Souad qui se souvient que l'inconnu lui a emboîté le pas à l'instant même où elle sortait de l'université. Elle n'y avait prêté aucune attention particulière. Pourquoi l'aurait-elle fait ?

« Ce type est trop vieux pour être un étudiant... Est-ce un prof ? Dans quel but me suivrait-il ? S'il me suit, d'ailleurs... ! »

Souad grimpe dans le bus, l'homme sur ses talons. La jeune femme trouve une place et s'assoit. L'homme demeure debout à l'avant du véhicule.

« À aucun moment il ne m'a jeté un coup d'œil... C'est bien le premier type de la journée qui ne me déshabille pas du regard. Il m'ignore d'une manière si ostensible que cela en devient suspect. Il applique avec discipline les codes du parfait manuel du fileur professionnel ! »

Néanmoins, Souad s'interroge : qui la ferait suivre ? Et surtout, pour quelle raison ?

« Pourquoi moi ? »

C'était ma première journée de cours.

Je suis incapable de dire si cela s'est bien passé. Je me suis senti étranger au rituel d'intégration. À la présentation qu'on a faite de moi à la classe dans laquelle je dois désormais me fondre comme dans un moule. Le proviseur m'a donné une tape dans le dos qui se voulait amicale et encourageante. Un geste initiatique signifiant : « Tu vois, maintenant tu es chez toi... » Et j'ai trouvé ce geste aussi ridicule qu'artificiel.

J'étais le petit nouveau ! Le Nantais... puisque c'est déjà ainsi que l'on m'a surnommé. Chez moi ? Je ne suis chez moi nulle part. Je ne le serai pas plus ici qu'à la maison. Ou que dans mon corps !

J'ai été prendre ma place à côté d'un lourdaud au front bas qui m'a lancé un sourire de bienvenue digne d'un mauvais acteur de feuilleton télé. Puis le temps a passé... Jusqu'à ce que je revienne à la maison où, naturellement, Marie m'attendait avec les questions prévisibles sur mes premières impressions, questions auxquelles j'ai répondu comme elle souhaitait que je le fasse.

J'ai eu droit à la même cérémonie au retour de maman. Mêmes questions. Mêmes réponses. Puis nous avons passé une soirée un peu morne. Maman était maussade et paraissait contrariée, gardant le plus souvent le silence, nous laissant, Marie et moi, animer une conversation monotone.

Après le dîner, j'ai prétexté un peu de fatigue pour monter lire dans ma chambre, sachant que, sous peu, maman prendrait une douche et irait se faire masser par Marie dans la serre. J'ai attendu. J'ai écouté tous les bruits de la maison... Et je suis redescendu en silence pour espionner maman et Marie.

Maman disait :

– Je n'ai pas cru à la raison que Vals m'a donnée. On n'hospitalise pas une patiente autant de temps pour une IRM. Mélisse aurait dû revenir aux Sorbiers dans la journée...

– Tu n'arrêtes pas de penser à cette gamine, Alexandra ! Cela devient une obsession ! Et quelle idée d'aller fouiller dans le bureau de Vals !

– Cette petite me hante... Tu aurais vu ses yeux ! Immenses ! Emplis de terreur... Elle éprouvait une peur intense, une réelle angoisse.

– Et tu m'as bien dit, hier soir, avoir eu une hallucination, juste avant qu'elle ne t'apparaisse ?

– Oui. J'ai dû perdre connaissance, l'espace d'une ou deux secondes... Quand j'ai rouvert les yeux, Mélisse était devant moi comme si elle avait surgi de ma vision, justement. J'avais l'impression d'être face à un spectre... C'est d'ailleurs ce qu'elle paraît être, puisque personne d'autre que Vals et Virgile ne semble la connaître !

Il y a eu un long silence. Marie devait masser les jambes et les cuisses de maman.

Un spectre... Tel que ceux qui tentent de communiquer avec moi, la nuit ? Toutes ces ombres qui cherchent à m'entraîner dans leur monde...

Mais pourquoi m'ont-elles choisi ? Pourquoi moi ?

L'agent de l'ombre

Raphaël est dans son bureau – son refuge. Une tanière où il se sent à l'abri des agressions du monde. L'unique endroit où la solitude ne l'effraie pas. Cette solitude, au contraire, lui donne le sentiment d'être libre. Libre de songer à ses équations, de rêver au deuxième monde, de tenter de prouver que celui-ci est accessible. Si proche...

Dehors, il fait nuit noire. Les ténèbres ont emprisonné l'université dans le silence. Plus d'étudiants, plus de paperasserie ni de rendez-vous. Ce devrait être le moment idéal pour réfléchir, poursuivre ce chemin qu'il a esquissé dans la forêt touffue de ses calculs et de leurs résolvantes, qui coudoie sa quête sans pour autant en atteindre le but.

Réfléchir encore. Toujours... Comment se concentrer avec l'image du corps de sa fille nue lovée dans son esprit ? Car, depuis la mort d'Estelle, c'est toute son âme qui s'est fracturée, ouvrant en lui un espace de ténèbres impossible à combler.

Une partie de lui est morte avec Estelle. La plus belle part... Ce qu'il y avait encore d'humanité en lui.

Il abandonne le tableau noir mille fois griffé par la craie blanche qu'il jette d'un geste rageur à l'autre bout de la pièce où elle s'écrase contre le mur. Puis il retourne s'asseoir à son bureau, la tête bouillonnante de ce monde à peine séparé du nôtre, régi par ses propres lois si peu dissemblables de celles qui régissent notre univers spatio-temporel. Déjà, le physicien américain Hugh Everett1, dans les années soixante, avait évoqué la possibilité qu'une multitude de mondes puissent exister... Quant à Andreï Sakharov2, il supposait la présence d'un seul et unique univers parallèle. Un monde-miroir... Un espace où la fameuse « flèche du temps » d'Eddington3 et Stephen Hawking4 ne filerait pas forcément dans la direction du futur.