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Il sonne. Un temps de silence. Puis la porte s'ouvre sur Alexandra qui dresse légèrement le cou pour lui présenter un visage souriant. Il n'avait pas remarqué, au cimetière, qu'elle était encore si jolie, si gracieuse, et qu'elle avait conservé de sa jeunesse la candeur du regard.

– Entre ! lui dit-elle en reculant son fauteuil avec dextérité. Toujours aussi ponctuel, Martin le maniaque ! Neuf heures, ce n'est pas neuf heures moins une !

– Ni plus une ! répond-il en refermant la porte derrière lui. On ne se refait pas ! On a même tendance, avec l'âge, à accuser ses petites manies.

Elle a déjà rejoint son coin, près de la table basse où sont disposés deux verres et une bouteille de vin rouge débouchée. S'en approchant, Martin note que c'est du chambolle-musigny. Elle n'a donc pas oublié...

Il s'assoit sur le canapé après s'être défait de son blouson qu'il pose sur une chaise, et se retient d'en sortir son paquet de cigarettes.

– Je me suis rendu à la clinique des Sorbiers en début d'après-midi pour tenter d'interroger le gamin qu'on a trouvé ce matin, nu et évanoui, sur la place du Capitole. Mais je présume que tu sais de qui je parle, n'est-ce pas ?

– C'est le flic qui me rend visite, ou l'amant d'il y a dix-sept ans qui m'a engueulée au cimetière ? lui demande-t-elle sans cesser de sourire.

– Un peu les deux, ce soir ! J'ai vu ton nom sur la plaque près de l'ascenseur.

Alexandra se penche sur la table basse pour emplir les verres.

– Le professeur Vals n'a pas craint d'engager une infirme, dit-elle en lui tendant un verre. Quant à ce gosse, nous avons été trois médecins à l'examiner...

Elle s'arrête et regarde Martin, cherchant dans cet homme tout en angles, aux yeux fatigués, aux gestes rares, le garçon qu'elle a tant aimé et qu'elle ne retrouve que furtivement, au détour d'une expression, d'un simple haussement de sourcils, d'un froncement du front...

Elle lui présente son verre ; ils trinquent maladroitement. Petit entrechoquement. Note ténue, aigre, presque fausse.

– Vals t'a montré ses analyses toxicologiques ? interroge-t-elle.

– Je ne les lui ai pas demandées. La gendarmerie s'en chargera officiellement.

– Ah oui, fait Alexandra en faisant tourner le vin dans son verre : l'administration ! De toute manière, je pense que tu imagines ce que contenait le sang de Tissier...

– Du peyotl.

– Entre autres choses, dit Alexandra après avoir bu une gorgée. Mais en surdose ! Il faudra un miracle pour que ce gamin s'en sorte sans séquelles cognitives. Je pourrai te confirmer mon diagnostic dans quelques jours, lorsque nous lui aurons fait passer un scanner et aurons affiné nos examens.

– Ce n'est pas ce que j'attends de toi.

Alexandra feint de s'étonner en reposant son verre sur la table basse.

– Tu serais venu avec une idée en tête, Martin le calculateur ?

– Ne tournons pas autour du pot, Alexandra. Ce qui s'est produit dans la grotte de Sainte-Engrâce est une mauvaise réplique de l'expérience à laquelle nous nous sommes livrés, toi et moi. Et c'est la fille de Raphaël et Claudia qui en est morte ! Je veux à tout prix apprendre si ce salaud l'a utilisée comme cobaye... Et tu es la seule à pouvoir m'aider.

– Je devine à quoi tu penses, finit-elle par lâcher après un long moment de réflexion.

Martin est certain qu'avant même qu'il ne vienne, elle savait déjà ce qu'il lui demanderait... Alexandra n'a rien perdu de sa clairvoyance. « Ses antennes... Elle les a conservées ! L'éboulement de la grotte et le temps passé ne les lui ont pas arrachées. »

– Il n'y a que toi qui puisses communiquer avec Cédric...

– J'aurais aimé que tu n'aies pas à me demander de faire cela.

Martin préfère ne pas insister. Il se souvient qu'Alexandra a toujours détesté toute forme de contrainte. Il désigne des photos encadrées, soigneusement disposées sur le buffet. Alexandra avec un enfant dans les bras... Alexandra au côté d'un adolescent... Alexandra, l'adolescent et la femme épaisse du cimetière...

– C'est ton fille ?

– Oui ! répond-elle dans un souffle.

– Il te ressemble.

– Peu importe ! dit-elle, le ton de sa voix changeant brutalement. Je n'ai aucune envie de te parler de ma famille. Revenons à ce que tu m'as demandé... Eh bien soit ! Je vais essayer.

– Vraiment ? s'étonne Martin qui craignait un refus. Tu acceptes ? Je peux savoir pourquoi ?

– Tu l'as dit tout à l'heure, on ne se refait pas ! De plus, je partage ton sentiment au sujet de Raphaël. S'il est responsable de la mort de sa fille, il ne doit pas s'en tirer comme il s'en est sorti autrefois ! Ce serait trop injuste...

À cet instant, Martin croit percevoir un craquement de parquet provenant de derrière une porte restée entrouverte qui doit donner sur un couloir.

Ils terminent leur verre en n'échangeant plus que de rares propos, Martin évoquant sa spécialité d'enquêteur au cœur des sectes, Alexandra parlant de Nantes où elle était en charge d'une unité de soins psychiatriques pour enfants...

– Il se fait tard ! finit-elle par soupirer. Je dois avoir mon compte de sommeil pour tenir cet emploi. Tu veux bien m'excuser ?

– Naturellement, dit-il en se levant pour reprendre son blouson. Pourtant, nous devrons un jour revenir sur certaines choses, ne crois-tu pas ?

– Sans doute..., répond-elle en le raccompagnant.

Il se baisse pour l'embrasser sur la joue. Il se baisse ! Alors qu'elle était aussi grande que lui et qu'il n'était pas nécessaire qu'elle se redresse pour lui tendre ses lèvres. Mais c'était dans un autre temps... Loin, comme dans un rêve.

– Je suis contente de t'avoir revu, lui murmure-t-elle. Au cimetière, c'était tellement différent !

Elle ne referme pas la porte immédiatement, préférant le regarder s'éloigner et disparaître bientôt dans l'obscurité.

Ce n'est que lorsqu'elle entend démarrer le moteur de sa voiture qu'elle repousse la porte pour laisser couler les larmes qu'elle a eu tant de mal à contenir lors de leur entretien.

Derrière elle, Marie a fait un pas hors de sa cachette. Elle voit les épaules d'Alexandra tressaillir à chacun de ses sanglots silencieux.

« L'autre est revenu ! »

Le visage de la grosse femme n'exprime que de la haine.

La colère

À peine Alexandra a-t-elle fait demi-tour qu'elle est prise d'un frisson en découvrant Marie près de la porte donnant sur le couloir, son visage rond durci par une expression qu'elle ne lui a jamais vue auparavant. Les yeux brûlant d'hostilité, les lèvres serrées en un mince trait, le rouge aux tempes, les poings fermés et blancs, pendant tels de gros moignons au bout de ses bras raidis, épais et courts.

– Il ne manque pas de culot, celui-là ! s'exclame-t-elle. Te demander de l'aider après tout le mal qu'il t'a fait !

Contenant sa fureur, Alexandra passe devant elle et rejoint la table basse où, d'une main tremblante, elle se verse un nouveau verre de vin.

– Tu pourrais t'empêcher d'écouter aux portes ! Cela devient intolérable !

Marie ne semble pas avoir entendu le reproche de la jeune femme. Elle vient vers elle, tendant un index dans sa direction, comme un geste de menace.

– Tu ne vas tout de même pas faire ce qu'il... ?

– J'ai décidé de le faire et je le ferai ! répliqu'Alexandra avec hargne. C'est mon affaire, pas la tienne ! Cela ne te concerne en aucune manière. Ton aversion pour Martin est maladive, Marie... T'en rends-tu compte ?

Après un long soupir de désapprobation, Marie s'affale sur le canapé. Un peu de sueur lui coule dans le cou ; Alexandra, de sa place, en perçoit la désagréable odeur.