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Nouveau geste flou, accompagné d'un hochement de tête de la part des deux hommes. La jeune femme s'approche d'eux.

– Félicitations, Boukhrane ! Vous vous êtes vraiment bien débrouillée, pour une première fois, dit-elle en essayant d'imiter les intonations Martin. – Oh, de rien ! Je n'ai fait que mon travail...

Martin abandonne le tableau, lui sourit et répète en accentuant ses propres intonations :

– Félicitations, Boukhrane ! Vous vous êtes vraiment bien débrouillée, pour une première fois. Puis il ajoute : Mais je ne doutais pas que vous vous acquitteriez de cette tâche, car vous aviez toutes les qualités requises : un aplomb insolent, de sacrées connaissances en physique-chimie, un charme fou et un plan de carrière à respecter. Bravo !

– Je prends tout cela pour un compliment, accepte Souad du bout des lèvres en gagnant son bureau.

– Je crois qu'il est temps de mettre le flag en place ! suggère Seignolles.

Martin ne paraît pas convaincu.

– Ce serait trop tôt ; nous ne disposons pas d'éléments suffisants...

– Qu'est-ce qu'il vous faut de plus ? s'insurge Seignolles. On a la confirmation que la chargée de TD réunit des étudiants qui connaissaient la victime, qu'ils se shootent lors de petites séances mystico-ésotériques, et qu'enfin c'est au cours de l'une de leurs réunions qu'Estelle est morte... Cela fait beaucoup, non ?

– Oui..., lâche Martin. Mais Souad peut très bien se faire mener en bateau ! Nous ne sommes peut-être qu'en présence d'une petite bande de farfelus qui se contentent de se camer... Ça, oui, nous en sommes certains.

– Et leur marque dans le cou ? rugit Seignolles. Qu'en faites-vous ?

– Je sais..., poursuit Martin. Ce motif constitue un lien possible entre Gwen, son club et de probables cérémonies dans la grotte de Sainte-Engrâce. Des hypothèses, Luc... des hypothèses !

Seignolles, resté devant le tableau des informations, croise les bras sur sa poitrine en se renfrognant. Le regardant, Martin se souvient des photographies punaisées dans le chalet de Luc... « Il adopte l'attitude qu'on voit à son père sur chacun des clichés ! »

S'adressant à Souad, Martin poursuit :

– Vous êtes parvenue à gagner un peu de la confiance de Gwen ; je pense que vous devez aller plus loin encore. Pour la pincer en flagrant délit, nous avons besoin de concret. Pour l'heure, nous ne disposons que de blabla et de supputations... Il me faut des actes !

– Mais enfin, c'est de la folie ! s'exclame Seignolles. C'est lui faire prendre des risques insensés ! Ces individus ont beau être des gamins, ils sont loin d'être inoffensifs. Ils peuvent même se révéler dangereux, sous l'empire de leur saloperie de dope !

– Oui, papa ! le coupe Souad. J'ai commencé un boulot ; je le terminerai. Effectivement, Martin a raison, il ne me reste plus qu'à m'introduire dans l'une de leurs assemblées pour récolter les preuves dont on a besoin.

– Dans ce cas-là, nous t'équipons d'un micro, propose Seignolles.

– Pas question ! réplique Souad. Même si elle m'invite à participer à l'une de ses soirées, Gwen gardera un poil de méfiance à mon égard. Il se peut même qu'elle me fouille. Je n'ai pas l'intention de courir ce danger.

– Je suis d'accord ! tranche Martin en revenant à son bureau. Cette Gwen est dangereuse, venimeuse même ! Je la vois bien arracher les vêtements de Souad dès son arrivée pour vérifier qu'elle n'est pas flic !

– C'est de la folie ! grogne Seignolles. Souad n'est pas préparée à affronter ce genre de situation ! Il y a un pas de géant entre placer des pipettes dans une centrifugeuse et infiltrer une bande de dégénérés ! Vous vous rendez compte, Martin, que vous la considérez comme un agent de commando ?

– Allons, papa ! reprend Souad. Remets-toi. Fifille a vingt-huit ans, maintenant...

Seignolles rentre de plus belle la tête dans les épaules et fronce le visage au point de ressembler à un bulldog.

– Par contre, j'exige que vous ne preniez aucune drogue, recommande Martin à la jeune femme. Arrangez-vous comme vous voudrez, mais restez clean !

– Pas la peine de me le préciser, commandant !

– Et enfin, vous conserverez votre portable ouvert pour nous envoyer un signal toutes les heures, de façon à ce que nous restions en contact...

– Et merde ! lance Seignolles en se dirigeant vers la porte qu'il franchit en ajoutant : Je préfère aller me plonger dans les archives plutôt que de cautionner une telle connerie !

Martin et Souad se regardent, mi-interrogatifs mi-souriants.

– J'ai comme l'impression qu'il en pince pour toi ! remarque Martin.

– Moi, j'ai surtout l'impression que tu fais un piètre observateur, pour un enquêteur de ta réputation !

– Ah ? J'aurais dû relever quelque chose dans le comportement de Luc ?

Souad ne peut s'empêcher d'éclater de rire.

– S'il en pince pour quelqu'un ici, lui annonce-t-elle, c'est toi !

– Tu veux dire...

– Que Luc est homo, oui. Ça fait problème ?

Avec une réelle sincérité, Martin répond :

– Absolument pas. Mais j'aurais dû naturellement m'en rendre compte... Je me posais des questions au sujet de sa psychologie... Une multitude d'infimes détails... Je comprends mieux, maintenant.

– Des fois, Martin, poursuit Souad, j'ai le sentiment que tu es long à la détente !

– Tu as sans doute raison. À ma décharge, je dirai que je ne fais aucune différence entre un homo et un hétéro. Comme je ne fais aucune différence entre UN flic et UNE flic ! Aucune différence entre noir et blanc... ou jaune !

– C'est ce qui me plaît chez toi. Tu es un type bien, Martin... Un râleur un peu tristounet et monomaniaque, mais un chic type !

« Un chic type dont je suis en train de tomber amoureuse ! »

Le triangle des Bermudes

Dès qu'il est entré dans le bureau du juge en compagnie de Seignolles, Martin a remarqué que Barrot était d'une humeur massacrante. Ce petit bonhomme qui s'habille comme un dandy, avec ses cheveux teints, s'est à peine levé de son siège, derrière l'immense bureau, pour les saluer. Juste un signe du menton. Un ordre qui leur a signifié de s'asseoir.

Martin n'en éprouve aucune contrariété, à l'opposé de Seignolles, attentif à la qualité des rapports qu'il entretient avec les représentants de la justice. Mais le gendarme note d'emblée que l'animosité du juge est essentiellement dirigée vers le Parisien. Aussi décide-t-il de laisser ce dernier tenir tête à Barrot tout en l'observant manœuvrer.

– Commandant, j'ai le sentiment que vous m'avez légèrement manipulé, commence le juge.

– À quel propos, monsieur le juge ? demande Martin en insistant sur le « monsieur le juge », comme à son habitude.

– En me forçant à accepter que le lieutenant Boukhrane se lance dans cette mission d'infiltration ! Vous avez oublié de me dire qu'elle ne possédait aucune formation pour opérer dans ce genre de situation. Je me suis renseigné à son sujet et j'ai découvert qu'elle sortait pour la première fois de son labo !

– Il n'empêche, précise Martin, qu'elle a déjà récolté une moisson de renseignements que nous n'aurions pas pu obtenir aussi rapidement sans son aide.

– C'est vrai, admet Barrot à contrecœur. J'ai lu votre dernier rapport... Souad Boukhrane semble efficace.

– Elle l'est ! insiste Martin en sollicitant Seignolles du regard. Mais ce dernier ne bronche pas, montrant ainsi qu'il ne partage toujours pas la prise de risques que son collègue a imposée à Souad.