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Elle doit la vie à Marie, rien de moins ! Et à Margot, aussi ! Tout est arrivé si vite... L'accident... La grossesse... Margot qui en a réchappé, bien accroché dans son ventre... Le réveil de son long coma, privée de l'usage de ses jambes... Enfin l'accouchement et l'obligation de réapprendre à exister ! Autrement. Le corps brisé.

Elle rouvre les yeux et observe Marie qui prépare sa mixture, éprouvant une soudaine envie de l'embrasser, de la remercier encore et encore pour tout ce qu'elle a fait ! Elle la revoit entrer dans sa chambre, à la maternité, alors que margot vient de naître, souriante, belle et généreuse. Ronde comme une madone. Toute illuminée de l'intérieur, une chaude lumière dans ses yeux verts :

« Nous avons mis au point dans cet établissement un protocole de traitement phytothérapique de réparation motrice... Nous proposons à certains patients d'en bénéficier, évidemment avec leur consentement... »

Alexandra a aussitôt accepté. Non qu'elle ait pensé que ce traitement serait efficace – elle a toujours réfuté l'utilité des médecines dites « douces » –, mais surtout parce qu'elle a d'emblée aimé cette femme, si pleine de sérénité et de tendresse. Le traitement s'est effectué sur plusieurs semaines, sans effet notable, mais, durant toute cette période, les deux femmes ont appris à se connaître, s'appréciant au point de devenir inséparables. Quotidiennement, Marie la rejoignait dans sa chambre à la fin de son service et la massait longuement. Au cours de ces séances, les deux femmes se confiaient alors leurs petits et leurs grands secrets, leurs souffrances et leurs rêves...

Au fil des jours, Marie, qui était célibataire et sans enfant, s'était aussi attachée à Margot, s'en occupant avec une attention toute maternelle, palliant ainsi le handicap d'Alexandra. L'entente était si parfaite qu'à la fin du séjour les deux femmes ont convenu d'habiter ensemble. Quoi de plus facile, puisqu'elles vivaient seules et sans attache affective particulière ?

Voulant fuir Toulouse à tout prix, suite à son accident, Alexandra a proposé à Marie de quitter cette ville, ce que celle-ci a accepté aussitôt. Après une rapide étude, elles ont jeté leur dévolu sur Nantes où Alexandra était certaine de trouver un emploi dans un service de psychiatrie hospitalière...

– Allez, ma petite chérie... On commence ! dit Marie, l'embrocation dans une main, un tabouret dans l'autre.

Marie s'assoit face à Alexandra, puis saisit doucement son pied gauche qu'elle pose délicatement sur son propre genou afin que la jambe inerte soit en extension. Après quoi, elle étale la pâte huileuse et commence de masser le pied et le mollet en remontant vers la cuisse. Alexandra, ne percevant qu'une faible et lointaine chaleur cherchant à s'infiltrer dans le tissu de ses muscles, éprouve néanmoins un vif plaisir à regarder son amie effectuer son travail.

– Je ne saurai jamais assez te remercier pour ce que tu as fait pour Margot et moi, tu sais !

– Tu me répètes cela presque tous les jours, Alexandra ! Comment dois-je te faire comprendre que tu n'as pas à me remercier, et que Margot et toi me donnez beaucoup de joie ?

– C'est drôle, tu vois, reprend Alexandra après un moment de réflexion, je suis évidemment révoltée contre ce qui m'est arrivé, mais, parfois, je me dis que, sans cela, je ne t'aurais jamais rencontrée...

– N'exagère pas... Tu aurais été plus heureuse à pouvoir gambader librement. Enfin, le destin a voulu cela...

Alexandra émet un léger ricanement de dépit.

– Le destin ? Tu parles ! La bêtise d'un homme, oui ! S'il n'avait pas poursuivi ses chimères, je n'en serais pas là ! Et ma naïveté ! N'oublions pas ma stupide candeur...

Marie hausse les épaules sans répondre, puis elle prend l'autre jambe.

– Ne l'accable pas et ne te juge pas non plus ! Tu l'as suivi dans son utopie ! Il n'est pas entièrement responsable ! En tout cas, ce n'est pas sa faute si la paroi de la grotte s'est effondrée. Cela aurait pu arriver à n'importe qui...

– ... qui se serait trouvé là à cet instant précis, enchaîne Alexandra. N'oublie pas que c'est lui qui l'avait choisi, cet endroit. Nous étions deux à le suivre...

Marie se rapproche d'Alexandra afin de masser ses cuisses.

– Oublions cela, veux-tu ? Ne parlons pas de l'autre. Cela ne sert à rien de ressasser. Pense plutôt à ton avenir et à celui de Margot.

Celle-ci fait irruption dans la serre à ce moment précis, le cheveu en bataille et le visage encore froissé de sommeil.

– Quand on parle du loup ! dit Marie.

L'adolescente, en culotte et tee-shirt, s'approche en bâillant et en s'étirant. Elle embrasse Marie et sa mère avant de s'asseoir à côté d'elles sur un vieux tabouret en bois, son immuable expression boudeuse lui chiffonnant le visage.

– Tu as déjeuné ? demand'Alexandra.

– Non, pas encore ! répond Margot. De toute manière, je n'ai pas faim.

Marie se tourne vers elle, un sourire aux lèvres.

– Il faut manger, le matin, c'est nécessaire pour ton équilibre...

– Et c'est une bonne habitude à acquérir avant de reprendre le collège... Je te rappelle que la rentrée a lieu lundi prochain !

Margot bondit de son tabouret en soupirant.

– Bon ! Je vous laisse ! s'exclame-t-elle. Vous me fatiguez, avec vos conseils !

– C'est pour ton bien, tu sais ! lui lance Alexandra alors qu'elle sort.

– Je sais... Je sais..., marmonne-t-elle avant de refermer la porte derrière elle.

Les deux femmes échangent un sourire complice.

– Tu crois qu'on la couve trop ? s'inquiète Alexandra.

– Penses-tu ! réplique Marie. Elle fait semblant de se plaindre, mais, en vérité, Elle adore cela. Ce poussin devine qu'il va bientôt perdre son duvet et a pris conscience qu'il vit les derniers moments de son enfance. Ce n'est qu'une petite poule jouant la fière, mais toujours en demande de baisers.

À l'étonnement de Marie, le visage d'Alexandra se contracte.

– Justement, dit la jeune femme, parfois je me demande si nous nous comportons convenablement avec elle. Après tout, nous sommes ses parents, toutes les deux... Deux femmes l'élèvent, Marie ! Tu as réalisé cela ? Elle ne dispose d'aucune référence paternelle. Les seuls hommes qu'elle croise sont ses profs. Et un prof ne peut être un substitut de père ! Un prof, c'est de l'autorité et du savoir à l'état brut, non de l'affection... Je suis bien placée pour comprendre le genre de manque dont elle peut souffrir sans qu'elle éprouve le besoin de nous en parler. Je n'aimerais pas qu'elle développe le syndrome de Peter Pan !

– Tiens, c'est nouveau ! se moque Marie. C'est quoi, le syndrome de Peter Pan ? Les gamins se mettent à s'envoler vers le Pays imaginaire ?

– Tu n'as pas vraiment tort, poursuit Alexandra. On pourrait effectivement illustrer ainsi les symptômes de cette maladie. Parvenu à l'adolescence, le sujet refuse le monde réel, lui préférant son cocon bien chaud, bien sécurisant. Il est victime d'angoisses qui lui interdisent toute vie sociale, y compris le sexe ! Beaucoup d'enfants qui n'ont pas de père – ou qui ont un père trop fragile, soumis à la mère – peuvent être atteints par cette pathologie.

– Ne t'inquiète pas, la rassure Marie en se levant et en forçant son sourire, elle a tout ce qu'il faut pour se défendre. Bien au-delà, même !

– Si tu le dis..., conclut Alexandra.

« Ce cerf, pourtant..., pense-t-elle. Cet animal puissant qui se jette dans l'espace sombre, le regard empli de démence ! »

La jeune femme comprend avec effroi que sa vision a imprégné son esprit en y gravant comme une menace.

L'espoir