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– Vous pensez que nous enquêtons sur plusieurs affaires à la fois, n'est-ce pas ? Et que celles-ci se chevauchent, se dissimulant mutuellement !

– C'est probablement le cas, souligne Martin. Cependant, j'ai l'impression qu'il existe un point de jonction où ces affaires se croisent. Elles sont toutes reliées quelque part.

– Raphaël Sormand ?

Martin se doutait que Seignolles proposerait ce nom. C'était inéluctable. Il s'étonne de s'entendre répondre :

– Peut-être pas Sormand...

– Là, vous me surprenez ! Depuis le début de notre enquête, il est pour vous le suspect principal, l'origine de tout, le Mal incarné !

Nouveau sourire Martin.

– Vous avez raison, Luc. Il est effectivement à la naissance de cette quête insensée du deuxième monde. Pourtant, j'ai désormais la conviction qu'il est étranger aux événements actuels. Ce sont ses travaux qui ont été dévoyés ! Gwen Leroy les a corrompus ; nous en avons la preuve. Je redoute par contre qu'elle ne soit pas la seule ! Nous ne faisons que patauger à la surface d'un bourbier... Une bestiole bien plus grosse et dangereuse que cette dingue de prof est tapie dans la vase.

Seignolles quitte la fenêtre et retourne s'asseoir à son bureau sur lequel il étend ses longues jambes. C'est en détachant distinctement chaque syllabe qu'il livre le nom auquel ils pensent tous deux :

– Le colonel Legendre !

Il s'imaginait que Martin insisterait, mais ce dernier change de sujet comme s'il n'avait pas entendu :

– Nous irons voir le juge Barrot tous les deux à neuf heures pour obtenir un mandat de perquisition de l'appartement de Gwen et l'informer qu'on doit arrêter celle-ci. Il faudrait aussi envoyer une équipe de techniciens à l'église de Clairac. Et je ne veux surtout pas de publicité autour de l'arrestation de Florent, afin de ne pas alerter la gourou.

– Entendu, chef. Je vous propose de lever la séance... Nous sommes l'un et l'autre au bout du rouleau, et nous devons récupérer un peu. Quelques bonnes heures de sommeil ne seront pas du luxe.

Martin referme la fenêtre et traverse la pièce en attrapant son blouson à la volée.

– Excellente initiative, Luc. Allez vous coucher ; quant à moi, j'ai une dernière petite chose à faire.

– À cette heure ? Bon Dieu, vous ne dormez donc jamais ?

– Très peu, en effet.

Ce n'est qu'une fois dehors que Martin, avant de monter dans son véhicule, demande à Seignolles :

– Dans quel hôpital Souad a-t-elle été conduite ?

– Vous voulez aller la voir maintenant ? La petite doit dormir...

– Dans quel hôpital, Luc ?

– L'hôpital Joseph Ducuing, rue de Varsovie. Au 15, je crois.

– Merci et bonne nuit.

Martin se met au volant. Seignolles reste sur place à le regarder, s'interrogeant : « Tel que je le connais maintenant, il va s'asseoir sur une chaise et regarder Souad dormir. Il restera jusqu'au matin en crevant d'envie de fumer. Ce sera sa punition ! Oui, c'est cela : il se reproche encore d'avoir risqué la vie de la petite... Mais ce type se reproche tant de choses qu'il lui faudrait rester une éternité assis sur une chaise sans fumer pour attendre la rédemption ! »

Arrestation de Gwen

Impatiente, Gwen ne cesse de consulter discrètement sa montre.

Le jeune coq qui présente sa thèse devant l'aréopage dont elle fait partie avec Raphaël Sormand l'ennuie mortellement. À la lecture de l'intitulé de son travail, « Les réactions exclusives en chromodynamique quantique et la structure du proton », elle s'attendait à autre chose qu'un rébarbatif patchwork de compilations glanées çà et là dans des revues scientifiques dont elle pourrait citer les titres à l'énoncé de chaque phrase ânonnée par le candidat.

Gwen a peu dormi cette nuit. Laure et elle ont longuement fait l'amour. En réalité, elle doit s'avouer que c'est plutôt Laure qui a pris toutes les initiatives... Elle-même était trop tendue et fatiguée pour donner du plaisir à sa partenaire. Elle s'est ainsi laissé cajoler, caresser, combler par cette fille sportive aux muscles de garçon.

Ensuite, le corps assouvi et l'esprit pacifié, Gwen a raconté en détail la série d'événements intervenus au cours de la soirée.

Ce matin, en arrivant au campus, elle a cherché en vain Florent et s'est interdit de lui téléphoner. Ne voyant aucun cordon de policiers devant l'entrée de l'université, elle s'est rassurée en se disant que Florent avait bien précipité Souad dans la Garonne.

Comme elle laisse son regard errer dans l'amphithéâtre, elle s'arrête un instant sur Raphaël Sormand qui l'ignore depuis leur séparation. Le vieil ours a adopté l'attitude respectable et attentive de l'examinateur absorbé par les propos de l'orateur. Mais elle sait qu'il est bien loin d'ici... Elle le connaît si bien ! Il est à cent lieues, ses yeux légèrement flous ombrés par la barre des sourcils qui ne forment qu'un gros trait gris. La voix de l'étudiant ne doit même pas l'atteindre, se brisant sur le mur de ses pensées.

Justement, à qui pense-t-il ? ou à quoi ? À sa fille qui repose désormais dans le cimetière de Terre-Cabade ? Sans doute... Cependant, Gwen s'imagine qu'il réfléchit plutôt à ses équations qui ne cessent de le posséder comme un mal incurable. Obsédantes résolvantes qu'il traque en permanence !

Soudain, alors qu'elle s'inquiète à nouveau de l'heure – l'interruption de séance doit avoir lieu dans dix minutes –, les portes du haut de l'amphithéâtre, à gauche et à droite, s'ouvrent à toute volée en même temps. Des policiers, conduits par celui qui l'a interrogée l'autre jour, dévalent les marches tandis que d'autres gardent les issues.

Gwen a compris. « Ce petit con de Florent n'a pas éliminé Souad ! Ou il s'est fait pincer ! »

L'étudiant s'est arrêté de lire son exposé et roule des yeux comme un automate déréglé. Les autres professeurs s'interrogent du regard. Sormand, lui, paraît inquiet ; il s'est rejeté en arrière sur son siège et s'agrippe des deux mains à son pupitre. « Mais non, pense Gwen, ce n'est pas pour toi qu'ils viennent ! »

Martin se plante devant la jeune femme et lui présente sa carte.

– Police !

Elle le trouve ridicule, mélodramatique.

– Ça crève les yeux, lui dit-elle en se forçant à sourire.

Sormand émet un long soupir de soulagement et tous ses muscles se détendent. Il lâche le pupitre auquel il était cramponné comme à une planche de salut.

– Êtes-vous Gwen Leroy ? demande ce flic qu'elle déteste depuis la première fois qu'elle l'a rencontré.

– Vous le savez bien. Oui, je suis Gwen Leroy.

– Veuillez nous suivre, s'il vous plaît !

Elle se lève sans hâte, prend son sac et son blouson.

– Pourquoi ?

– Nous avons des questions à vous poser concernant le décès d'Estelle.

« Nous y voilà ! » songe Gwen en se tournant cette fois vers Raphaël qui s'est dressé brutalement, dépliant son corps épais de lutteur. Prêt à bondir sur sa chargée de TD.

– Que vient foutre Gwen dans cette affaire ? s'enquiert-il en criant presque.

– Mlle Leroy est suspectée d'avoir fourni à votre fille la drogue qui l'a tuée !

Sormand donne une seconde le sentiment de vouloir se ruer sur la jeune femme. Mais il porte une main tremblante à son front et se laisse retomber sur son siège où il se fige, marmottant des paroles indistinctes.

Un policier déleste Gwen de son sac tandis qu'un second lui passe les menottes, mains dans le dos. Martin remarque la lueur de cruauté dans le regard de Gwen quand elle le braque sur Sormand. Et son sourire... Un rictus éclair, condensé de pure méchanceté.