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– Cela me semble en effet plus prudent, confirme Luc.

Ils marquent cependant un temps pour passer leur commande au garçon que Seignolles, en habitué du lieu, appelle par son prénom. Le gendarme vante à nouveau le magret de canard avec tant de talent que tous le choisissent pour suivre une fricassée de girolles. Le tout sera arrosé d'un Château Pavie Macquin.

Une fois le garçon reparti, Martin, se tournant vers Seignolles, demande :

– Eh bien, Luc ! À vous ! Ces perquisitions, qu'ont-elles donné ?

– Chou blanc sur toute la ligne ! Chez Gwen, c'était nickel... Une vraie maniaque du ménage, cette femme-là ! Ça sentait l'eau de javel et la lessive Saint-Marc à plein nez ; elle avait manifestement passé l'aspirateur au point d'en raser les brins de la moquette... Pour ce qui concerne la chimie, on n'a trouvé que deux malheureux tubes d'aspirine, des tablettes de somnifères, des cachets de magnésium et des flacons de parfum ! Pas de quoi se droguer ! Les techniciens ont cependant effectué quelques prélèvements : peluches, poils et cheveux, ainsi que des résidus au fond de la poubelle de la cuisine... Quant à l'église, elle avait été aussi nettoyée méthodiquement. Tout juste avons-nous ramassé deux bougies et quelques bricoles, mais qui ne serviront guère à confondre Gwen et son fan-club !

– Et ma voiture ? s'enquiert Souad.

– Tu as bien fait de prendre deux Mojito... Ils vont t'aider à supporter le choc : on l'a retrouvée dans un fossé à quelques kilomètres de Clairac. Plus en très bon état, désolé.

– La garce ! Pétasse de Gwen !

Martin pose une main sur l'avant-bras de la jeune femme. Un geste d'apaisement auquel Seignolles attribue une autre signification. Une marque de tendresse, plutôt.

Laissant sa main sur l'avant-bras de Souad, Martin demande :

– Et toi ? L'interrogatoire de Gwen ?

« Il en oublie de la vouvoyer ! » pense Seignolles.

– Ne me prenez pas pour une novice, commandant ! Je sais pertinemment que vous avez tout vu et tout entendu derrière la vitre sans tain ! Au départ, j'en ai été un peu gênée... J'avais le sentiment de passer un examen !

– C'était le cas. J'en profite pour te dire que tu t'en es bien tirée, même si le résultat est décevant. Miss Leroy est le genre de femme qu'on n'accouche qu'aux forceps !

– Tout juste, commandant ! C'est pourquoi je propose qu'on mette plutôt le paquet sur Florent. Ce n'est qu'un gamin qu'on devrait pouvoir retourner facilement !

– Tu as raison... Mais, auparavant, je souhaiterais que nous allions rendre visite à Sormand, Luc et moi. Ce que Gwen nous a appris sur les documents qui auraient permis d'établir le protocole du Cercle mérite qu'on vérifie auprès de lui. Je ne parviens plus à deviner qui ment ou qui dit la vérité, dans cette affaire. J'ai la désagréable sensation que nous sommes manipulés tous les trois... Mais par qui ? Barrot ? Legendre ? Sormand ? Gwen ?

L'arrivée de la fricassée de girolles interrompt un instant la conversation, ou du moins lui imprime-t-elle une orientation plus prosaïque. Seignolles se révèle être un savant cordon-bleu, expliquant que les girolles ne doivent pas être lavées avant leur préparation, juste brossées délicatement et essuyées ! On les jette dans un mélange d'huile et de beurre frémissant pour les dorer en les faisant sauter à plusieurs reprises dans la poêle. Ce n'est que lorsqu'elles sont quasiment cuites – mais encore tendres – qu'on les assaisonne de sel et de poivre, d'ail concassé et de persil grossièrement haché. Certains ajoutent un mince filet de vinaigre de Xérès...

Souad est restée manifestement lointaine, voire boudeuse tout au long de l'exposé culinaire. Martin, qui l'a remarqué, s'en inquiète :

– Fatiguée ?

– Non, je me demandais seulement si vous ne m'aviez pas mise sur la touche. Vous avez dit que Luc et vous iriez voir Sormand... Et moi, en attendant, je me tourne les pouces ? Vous me ménagez, commandant ?

– Mais non ! Je préfère que tu participes à l'analyse des éléments qu'a collectés Luc lors de ses perquisitions. Tu étais dans l'église... peut-être qu'un détail te sautera aux yeux ?

– Soit ! répond Souad en essayant de masquer sa déception derrière un demi-sourire et en attaquant ses champignons.

Seignolles emplit les verres d'une généreuse rasade de Château Pavie Macquin.

– Portons un toast ! lance-t-il en levant le sien, imité aussitôt par ses deux collègues. Que chacun prononce un vœu ! En ce qui me concerne, je souhaite que notre enquête soit bouclée avant la fin du mois... À vous, commandant.

Martin réfléchit quelques secondes et dit :

– Qu'il soit coupable ou non, que Raphaël Sormand soit mis hors d'état de nuire et qu'on lui interdise de gaver le cerveau de ses étudiants avec son deuxième monde à la con !

C'est au tour de Souad. Cette dernière se tourne vers Martin pour dire :

– Que l'ange gardien inconnu qui m'a veillée cette nuit dans ma chambre d'hôpital revienne à chaque fois que j'aurai un gros malheur ! Il y aura toujours une chaise près de mon lit...

Seignolles observe Martin. Les yeux Martin, où vient de se loger une petite étincelle. Imperceptible à qui ne serait pas attentif. Mais lui, Seignolles, sait déceler l'émotion chez les hommes.

Les Neuf

La dernière maison d'une rue exiguë... Sa façade médiévale : colombages et assemblage de pierres, ses fenêtres élancées, étroites, garnies de vitraux noircis, son linteau où figure le nombre 1225, inscrit dans un cercle surmonté de deux courtes barres parallèles verticales...

À l'heure convenue, l'heure où le Silence s'impose à la Terre et au Ciel, les neuf membres de la Loge Muette ont pris place autour de la table ronde en chêne, aussi noire qu'un miroir absorbant la nuit. Les visages restent dans l'ombre ; les rares bougies, dans leurs niches, ne révèlent que de vagues traits : une pommette, l'arête d'un nez, une lueur sur un front...

Puis, selon un rituel établi depuis des siècles, une voix demande :

– Qu'en est-il ?

– Il en a été ainsi, il en est ainsi et en sera toujours ainsi ! scandent en chœur les huit autres.

S'installe un long silence permettant à chacun de méditer avant que la première voix ne déclare :

– Sœurs et Frères, comme je vous le confiais au cours de notre dernière assemblée, l'ordre est en danger ! Il l'est encore davantage aujourd'hui si nous ne prenons garde, si nous ne nous méfions pas suffisamment de certains acteurs de l'enquête portant sur la mort d'Estelle Sormand-Maincourt. Veiller à ce qui se passe sur chacun de nos flancs est indispensable, mais nous devons aussi recueillir le maximum de renseignements nécessaires à la mise en œuvre de notre protection. Aucune indication, fût-elle minime, sur l'orientation de l'enquête menée par la police, ses progrès et ses conclusions, ne doit nous échapper...

La voix s'est tue, mourant dans un nouvel et dense silence qui ne dissimule pourtant pas la tension qui s'est emparée de l'assistance. Une minute s'écoule ainsi dans la fraîcheur des murs gorgés d'humidité, la sépulcrale odeur de terre à laquelle se mêle celle qu'exhale en se consumant la cire des bougies.

La voix reprend :

– Je vous le répète, Sœurs et Frères. Nous sommes les Neuf et notre place est au Centre... Nous sommes au cœur de la Vérité que nous devons préserver à tout jamais. Notre mission est d'interdire à quiconque n'est pas élu, à quiconque n'a pas été choisi par nous d'approcher du Centre.

Après un temps, une deuxième voix résonne sous la voûte romane.