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Dans quelques secondes, Martin saura... Il se retient pour ne pas intervenir dans ce dialogue irréel.

– Ils... Ils n'ont pas voulu de nous, balbutie Cédric.

– Qui ? demand'Alexandra.

– J'ai couru...

– Cédric, je ne distingue pas qui était avec vous !

– Deux hommes... Ils sont deux...

– Que voulaient-ils ?

Soudain, le silence est troublé par des bips répétés, de plus en plus rapides, en provenance des appareils. Martin tourne la tête vers Vals dont les yeux roulent d'un moniteur à l'autre.

– Il faut cesser tout de suite ! s'alarme-t-il. Il va nous claquer entre les doigts !

– Ils sont là ! s'écrie Cédric en se débattant et en cherchant à se débarrasser de ses sangles. Ils sont là !

– Qui ? demand'Alexandra.

Mais la jeune femme sent que les liens qui la tenaient accrochée à l'esprit de Cédric sont en train de se rompre les uns après les autres, tels les filins d'un vaisseau malmené par la tempête. « Je le perds... »

– Qui ? insiste-t-elle.

Mais Cédric ne répond plus. Arc-bouté sur le lit, secoué de spasmes violents, les yeux révulsés, la bouche ouverte en une longue plainte muette, son corps en souffrance est celui d'un possédé.

Son esprit affolé repousse celui d'Alexandra. C'est comme une tumeur dont il lui faut se séparer...

– Il convulse ! grommelle Vals. Il faut tout stopper !

La jeune femme pousse un cri... Tous les fille invisibles qui la tenaient encore attachée à Cédric se brisent en même temps. Et c'est sa propre raison qui se retrouve prise dans la tourmente.

Elle chavire.

– Alexandra, reviens ! ordonne Martin.

Elle bascule dans le néant. Une eau gelée l'aspire, l'attire vers les abysses.

D'un coup, le corps de Cédric s'affaisse sur le lit tandis qu'Alexandra s'effondre sur elle-même. Martin fait le tour du fauteuil et prend doucement la tête de la jeune femme entre ses paumes pour la redresser...

– Alexandra ! Alexandra ! Tu m'entends ? implore-t-il.

Mais elle ne répond pas.

Aussitôt, Vals traverse la chambre et ouvre en grand la porte.

– Virgile, venez ! Occupez-vous de Cédric, le temps que j'examine le docteur Extebarra !

Puis, se tournant vers Martin :

– Suivez-moi ! Nous allons la transporter dans une chambre de garde ! Je vais lui faire un électrocardiogramme et prendre sa tension... Ne vous inquiétez pas trop, commandant : ce n'est qu'un malaise !

Aussitôt, il saisit les poignées du fauteuil roulant qu'il pousse dans le couloir, escorté Martin. « Ne pas m'inquiéter ! C'est moi qui ai forcé Alexandra à procéder à cette expérience, sachant les risques qu'elle encourait ! Elle m'a suffisamment parlé autrefois du danger que représentait le “sondage” d'un esprit ! »

Parvenus devant la chambre, les deux hommes déposent Alexandra inanimée sur le lit, et Vals, après avoir ouvert le chemisier de la jeune femme, usant de gestes précis, professionnels, dispose les électrodes de l'électrocardiogramme sur sa poitrine.

La machine se met à cliqueter. Elle déroule bientôt sa mince bande de papier montrant le tracé du comportement cardiaque d'Alexandra qu'il examine au fur et à mesure de sa sortie.

Il arrête l'appareil.

– La tension, maintenant...

Martin le regarde agir, mourant d'envie de griller une cigarette.

– Tout est normal ! déclare enfin Vals avec un soulagement visible. Sa tension est juste un peu basse. Elle devrait revenir rapidement à elle. Je peux vous la confier, le temps que j'examine Cédric ? Je suis de retour dans quelques minutes !

Martin acquiesce et tire une chaise pour s'asseoir près du lit.

Au bout d'un certain temps, Alexandra rouvre les yeux et lui sourit en lui prenant la main.

– Qu'est-ce que tu fais là ? demande-t-elle comme si elle sortait d'un très long cauchemar.

– Je veillais sur toi en attendant le retour de Vals...

– Un véritable ange gardien !

Martin feint d'ignorer la tendresse de cette remarque. Souad aussi l'a appelé ainsi ! « Voici ce que je suis devenu : l'ange gardien de deux femmes. »

– Que s'est-il passé ? enchaîne-t-il.

Alexandra secoue la tête, pensive.

– Il y a toujours une part d'impondérable dans ce type d'expérience. Sans doute l'avons-nous poussée trop loin pour une première fois. Et Cédric ? Comment s'en est-il sorti ?

– Je ne sais pas... Mais il a dû être ébranlé, lui aussi ! D'après Vals, il convulsait ! Comment expliques-tu sa réaction ?

– Il est évident qu'il a été victime dans la grotte d'un violent traumatisme, ce qui l'a contraint à refouler profondément ses souvenirs... En réactivant ceux-ci, je lui ai probablement fait subir un autre choc... Il aura pris cette réminiscence pour la réalité et m'a repoussée hors de lui avec une effroyable violence.

– Tu crois pouvoir répéter l'expérience ?

– Je l'ignore. Pas avant longtemps, en tout cas...

Soudain, leurs regards se croisent, leurs mains s'étreignent un peu plus fermement. Martin se retient de se lever et de l'embrasser, devinant qu'elle ne le repousserait pas. Plus tard, songe-t-il en reboutonnant le chemisier d'Alexandra tout en veillant à ne pas lui effleurer la peau. « Plus tard, peut-être. »

À cet instant, la porte s'ouvre sur Vals dont le visage trahit une inquiétude évidente. Ses lèvres sont agitées de tics.

– Vous m'avez fait peur, docteur ! dit-il à Alexandra.

– Ce n'était rien ! Juste un étourdissement ! répond celle-ci. Comment se porte Cédric ?

– Je vais lui faire passer un scanner, dans l'espoir qu'il n'aura pas subi de lésions cérébrales lors de ses convulsions. Quoi qu'il en soit, il n'est pas question de réitérer cette expérience. Je pense que vous serez d'accord avec moi ?

Alexandra acquiesce d'un hochement de tête. Du coup, Martin n'ose insister et se lève. À l'insu de Vals, il lance un regard appuyé à Alexandra, lui faisant comprendre qu'il reprendra contact très prochainement avec elle. Il lui tend la main.

– Bon rétablissement, docteur Extebarra.

– Merci, et désolée de ne pas vous avoir donné entière satisfaction, commandant.

– Vous m'avez apporté beaucoup, au contraire... Nous pouvons au moins supposer que les deux gamins n'étaient pas seuls dans la grotte...

Vals intervient en dessinant un geste vague dans l'espace :

– Devez-vous accepter une vision comme preuve crédible ? Je crains fort que ce qu'a vu Alexandra ne puisse figurer noir sur blanc dans un rapport d'enquête !

Martin marque un temps sur le seuil de la porte. Se retournant sur Vals :

– Vous avez raison, professeur. Le juge d'instruction me prendrait pour un fou ! Néanmoins, ce ne sont pas les visions du docteur Extebarra qui seront retenues, mais ce qu'a prononcé Cédric Tissier ! Vous l'avez entendu tout comme moi dire : « Deux hommes... Ils sont deux... »

Les lèvres de Vals se crispent une fraction de seconde. Il cligne plusieurs fois des yeux, et lance très vivement :

– Une information donnée par un malade dans le coma !

– Cela me suffit pourtant, professeur. Pour l'instant !

Martin a un dernier regard pour Alexandra allongée sur le lit, puis se dirige vers l'ascenseur, poings serrés dans ses poches, tête rentrée dans les épaules, marchant d'un pas nerveux.

Quelque chose le contrarie au point de faire naître en lui une sourde colère qu'il ne parvient pas à maîtriser. Une angoisse, aussi... Sont-ce les deux ombres évoquées par Cédric qui en sont la cause ? Ou ne serait-ce pas plutôt l'ensemble de son enquête qui lui fait l'effet de n'être qu'une accumulation d'ombres ?