Выбрать главу

Les bougies

De retour au QG, Martin trouve Souad assise à son bureau. Celle-ci l'accueille avec un large sourire.

– Alors ? Cédric s'est-il montré bavard ?

Martin lui résume la séance, omettant d'évoquer le recours au spiritisme, parlant juste des questions posées en présence de deux médecins et livrant les réponses de Cédric à qui on avait prescrit des tranquillisants plus légers, le matin. Après l'avoir informée de la possible présence de deux hommes dans la grotte le jour du drame, il demande :

– Seignolles n'est pas là ?

– Non ! Il m'a dit qu'il allait fouiner aux archives... Tu commences à le connaître : quand il a une idée en tête...

– Les disparus ? Il est toujours là-dessus ?

– Il est persuadé qu'il y a un rapport avec notre affaire.

Martin allume une cigarette et pose les pieds sur le plateau de son bureau, cherchant à déployer au maximum son grand corps maigre aux muscles noués par ce « quelque chose » qui ne cesse de le tracasser depuis qu'il a quitté les Sorbiers.

– Et toi, où en es-tu ?

– Je t'attendais justement pour interroger Gwen...

– Tu penses pouvoir lui soutirer de nouveaux aveux ? Tu peux m'expliquer ?

– Non ! Je te réserve une surprise !

Martin esquisse un sourire et se lève.

– Eh bien, dans ce cas, ne tardons pas... J'ai hâte d'assister à ton petit numéro.

Souad lui emboîte le pas, emportant dans un sac en plastique les morceaux de bougies récupérés par Seignolles lors de sa descente dans les ruines de l'église de Clairac. Martin s'en étonne :

– Tu me convies à un spectacle pyrotechnique ?

– En quelque sorte... En tout cas, je te promets des étincelles !

Ils pénètrent dans la cellule de transit de Gwen. Une grande pièce austère avec, pour tout mobilier, un lit, une table et deux chaises. Dans un réduit ont été installés un évier et des toilettes. Le sol est recouvert d'un grossier carrelage gris. Pas même de fenêtre ni d'imposte aux murs enduits d'un plâtre croûteux.

À leur arrivée, Gwen bondit, furieuse, du lit où elle était assise. Ses traits se sont creusés, des cernes sont apparus sous ses yeux que l'insomnie a rougis. Elle a perdu en quelques heures de son agressive beauté. Tout l'éclat qui illuminait son visage s'est éteint. Les lèvres, sans leur maquillage, sont pâles et la vieillissent.

– Quand allez-vous vous décider à me relâcher ? s'exclame-t-elle. Ou me présenter à un juge d'instruction ?

– Patience, se contente d'ironiser Martin.

Tandis qu'il demeure debout, silencieux, Souad sort du sac les deux bougies qu'elle pose sur la table.

– Si on les allumait pour mettre un peu d'ambiance ? Je trouve cette pièce sinistre... Organisons une peyotl-party à trois !

Gwen la dévisage, le regard dur. Martin se demande à quel jeu se livre sa partenaire. La réponse lui est rapidement donnée ; Souad saisit l'une des bougies et, d'un coup sec, la brise en deux tronçons sur l'une des arêtes de la table, découvrant ainsi que la bougie blanche en surface est brune à l'intérieur.

– Astucieux, le peyotl noyé dans la paraffine ! lance Souad. Pour cela, il faut disposer de quelques connaissances en chimie, non ?

Contre toute attente, Gwen s'effondre. Restée assise sur le lit, elle se plie, enfouit son visage dans ses mains et émet un long soupir, donnant l'impression qu'elle va laisser couler ses larmes.

Martin est sceptique, convaincu qu'elle force le rôle. En même temps, il admire Souad qui a pris de l'assurance. Visiblement, son expérience sur le terrain l'a métamorphosée. Il convient intérieurement qu'elle est faite pour cela. Elle avait besoin de déployer ses ailes... « Cette gosse possède un sacré caractère ! Elle se remet à peine d'une overdose et d'une tentative de viol, et la voilà qui repart en guerre comme un vaillant petit soldat ! »

– OK ! lâche Gwen en se redressant. À quoi bon le nier ? Avec quelques étudiants, j'explorais le psychisme humain... On utilisait le peyotl pour atteindre un état altéré de conscience ainsi que le font les chamans...

– Et ton baratin sur les cathares, qu'est-ce qu'il venait foutre là-dedans ? s'emporte Souad.

À ces mots, Gwen se raidit, l'air excédée.

– Ce n'était pas du baratin ! Si l'on parvenait à allier nos connaissances actuelles avec ce que nous a légué Robert Sicard, je suis certaine qu'on pourrait enfin prouver qu'il existe bien un deuxième monde ! Malheureusement, les chercheurs d'aujourd'hui ne voient pas plus loin que le bout de leur microscope !

Souad sourit ironiquement.

– Je suis un peu comme eux ! En l'occurrence, tu donnes le sentiment de dissimuler un minable trafic de drogue derrière de la recherche appliquée ! Mais je reconnais être victime de mon pragmatisme...

Martin s'approche de Souad tout en gardant le silence, façon de montrer qu'il la soutient en la laissant diriger l'interrogatoire. La jeune femme a compris et lui en est reconnaissante ; elle lui lance un des sourires dont elle seule a le secret.

– Cela te rapportait combien ? demande Souad.

Gwen lui répond d'un ton méprisant :

– Je me fous du fric ! C'est la recherche qui m'intéresse ! Exclusivement la recherche ! Tu ne t'en es pas rendu compte ?

Souad désigne la bougie brisée.

– En attendant, les analyses sont formelles : ces bougies contiennent du peyotl ayant la même composition que celui qu'on a retrouvé dans le sang d'Estelle... Une dose qui l'a tuée ! Mais quelle merveilleuse idée de dissimuler la drogue dans de la paraffine !

Cette fois, Martin décide d'entrer en scène. Il fait deux pas en avant, l'air si menaçant que Gwen esquisse du buste un mouvement de recul.

– Ne vous inquiétez pas ! s'amuse Martin. Je n'ai pas l'intention de vous frapper ! Ce serait le meilleur moyen de mettre fin à ma carrière. Je voudrais juste comprendre ce qui s'est passé. Comment Estelle est entrée dans votre groupe...

Une lueur de pure méchanceté voile brièvement le regard de la chargée de TD.

– Une petite salope, celle-là ! Elle avait découvert que je couchais avec son père et elle m'a fait chanter. Soit je l'admettais dans le Cercle, soit elle lui racontait tout : mes recherches sur les cathares... le peyotl...

– Mais enfin, pourquoi désirait-elle faire partie du Cercle ? Quel intérêt pensait-elle y trouver ?

– Pour briller aux yeux de son père ! Elle voulait marcher sur ses traces, sans d'ailleurs en avoir, et de loin, les moyens. Je crois surtout qu'elle tentait d'obtenir un peu d'attention et d'amour de ce monstre d'égoïsme ! Raphaël s'imaginait qu'il avait réussi à tisser des liens privilégiés avec sa fille. Il était persuadé qu'ils partageaient des instants de connivence, alors qu'il l'écrasait, l'étouffait... l'asphyxiait !

– Et comme elle menaçait de tout balancer, enchaîne Souad, tu as décidé de la supprimer en lui administrant une forte dose de peyotl...

– Bien sûr que je haïssais cette perruche sans cervelle ! Bien sûr que je la méprisais... Mais je n'ai jamais eu l'intention de la tuer ! Ce soir-là, je ne lui ai donné que de quoi flipper un peu !

– Alors, comment a-t-elle pu faire une OD ?

– Je n'en sais rien ! Elle avait peut-être des problèmes cardiaques...

Martin se lève et allume une cigarette.

– Ses antécédents médicaux et l'autopsie ont révélé qu'elle ne souffrait d'aucun trouble cardiovasculaire, lâche-t-il. Par contre, son sang n'était plus que du concentré de peyotl... Et ça, ce n'est pas très bon pour vous, mademoiselle Leroy... Pas vraiment !

– C'est impossible, murmure Gwen. Je sais très exactement ce que je lui ai donné...