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– Tu ne crois tout de même pas que nous allons avaler ton histoire ! réagit brusquement Souad. Tu avais la drogue, le mobile...

– Allez vous faire foutre ! réplique Gwen sans baisser les yeux. Je n'ai tué personne. Accusez-moi de tout ce qui vous chante, mais pas de meurtre !

Martin frappe à la porte de la cellule pour qu'on vienne leur ouvrir.

– Comme tu voudras ! lance Souad.

Ils s'apprêtent à quitter la pièce quand Gwen demande d'une voix radoucie :

– Est-ce que je peux avoir une cigarette ?

– Non ! répond Souad. Il est interdit de fumer dans les locaux...

Martin sort alors son paquet et son briquet, allume une cigarette qu'il tend à Gwen sous l'œil interloqué de Souad.

Une fois dans le couloir, la jeune enquêtrice s'offusque :

– Pourquoi lui avoir donné satisfaction ?

Martin éclate de rire et accélère le pas pour rejoindre leur QG.

– Tu as été super. Rien à redire...

– Hé ! Ce n'est pas de cela que je parle... Le coup de la cigarette...

– Bah ! Rien d'autre qu'une nouvelle version du gentil flic et du méchant... Sauf que nous avons interverti les rôles : là, c'était la femme qui interprétait le méchant... Et je dois admettre que tu as été parfaite. Tu t'es conduite comme un vieux brisquard...

– Merci !

– Le premier jour où j'ai pris mes fonctions, Bornand, le divisionnaire, m'a dit tout le bien qu'il pensait de toi.

– Tiens donc ! se réjouit Souad.

– Je me souviens exactement de ses paroles : « Je lui donne peu de temps pour tous nous bouffer en une seule bouchée ! »

– Tu es sûr que c'est un compliment ? fait mine de s'inquiéter la jeune femme.

– Je reconnais que mon côté macho m'a fait prendre cela pour une menace.

– Et maintenant ?

Martin ouvre la porte de leur QG et s'efface ostensiblement pour inviter Souad à entrer la première.

– Et maintenant, reprend Martin, je crois que je ne pourrais plus me passer de toi !

– Professionnellement ?

Il lui décoche un petit sourire.

– Professionnellement, bien sûr !

Revenu plus tôt de la salle des archives, Seignolles est plongé dans un monceau de documents qu'il a soigneusement entassés sur son bureau. À l'instar de son caractère précis, méthodique, rigoureux, pas une pile de dossiers ne dépasse de ses voisines.

– On dirait que vous avez l'air content, remarque le gendarme. Vous faites penser à deux ados qui viennent de se bécoter au cinéma !

Martin ignore l'allusion et, perdant son sourire, se contente de répondre :

– Nous progressons, en effet... La chargée de TD a lâché de petites choses intéressantes.

– Petites ? s'indigne Souad en feignant d'être outrée par le peu de cas que Martin fait de sa découverte. J'ai trouvé comment les membres du Cercle transportaient le peyotl, et nous avons désormais confirmation que c'est Miss Gourou qui en a fourni à Estelle, la veille de sa mort.

Martin, qui s'est rapproché du tableau, a retrouvé l'expression songeuse et contrariée qu'il arborait en revenant de la clinique des Sorbiers. Souad s'en étonne :

– Vous devriez être heureux, commandant !

– Oui... Oui..., répond Martin sans conviction. Le peyotl dans les bougies, c'était très réussi. Mais, je ne sais pas pourquoi, je ne parviens pas à trouver cette fille coupable de tout. Elle n'était pas dans la grotte... Il y a autre chose qui nous échappe.

– Quoi ? s'exclament à l'unisson Souad et Seignolles.

Martin demeure un instant silencieux et s'assoit. Il s'adresse plus particulièrement au gendarme auquel il n'a pas eu le temps de parler de l'interrogatoire de Cédric. Il le lui résume avec les mêmes termes qu'il a utilisés à l'intention de Souad : les deux hommes dans la grotte... la fuite de Cédric...

– Si vous permettez, Martin, j'insiste à nouveau pour qu'on examine le cas des disparus du fameux triangle des Bermudes, comme l'a appelé Barrot. Je suis quand même frappé par les similitudes entre ces affaires et la nôtre... En particulier celle du fille Lebrun qui s'est volatilisé il y a cinq ans.

– Celui du pic de Soualrac ? demande Martin.

Seignolles le dévisage avec insistance, étonné qu'il se rappelle l'affaire dans le détail alors qu'ils n'ont fait que l'évoquer brièvement dans le bureau du juge d'instruction.

– Chapeau pour la mémoire ! s'exclame-t-il. Effectivement, il s'agit de lui. D'ailleurs, j'ai en ma possession la déposition de son père, André Lebrun, qui n'a jamais cru à la thèse de l'accident. On pourrait peut-être le rencontrer et le questionner sur cette ancienne affaire. Qui sait ?

Martin le regarde, pensif, tout en coinçant une cigarette entre ses lèvres.

– Pourquoi pas ? Faisons confiance à votre flair... D'autant que si ces disparus avaient été victimes d'accidents, on aurait dû retrouver leurs corps à un moment ou à un autre.

Souad ne peut s'empêcher d'éclater de rire.

– Si des chiens de chasse pouvaient parler, ils tiendraient les mêmes propos ! Mais quel rapport avec Gwen ?

– Aucun ! admet Martin en se levant. Pour l'instant, en tout cas... Quoi qu'il en soit, c'est une piste comme une autre, que nous ne devons pas négliger. Puis, revenant à Seignolles, il ajoute : Filons chez le juge pour obtenir l'autorisation d'interroger Lebrun.

À nouveau Souad s'esclaffe. D'un rire factice, cette fois :

– Et moi ? Je m'occupe du ménage et de votre lessive ?

– Ce ne serait pas de refus, réplique Martin, mais tu as mieux à faire ; par exemple, prendre la déposition de Gwen...

Souad regagne son bureau en maugréant.

– Merci pour le boulot de secrétariat !

Martin ne l'a pas entendue. Il enfile son blouson et rejoint Seignolles qui l'attend déjà sur le seuil.

– À tout à l'heure ! lance Martin d'un ton léger.

– Bon courage ! ajoute Seignolles.

Souad, qui leur tourne délibérément le dos, ne répond pas.

Le stylographe

Depuis dix minutes, le juge Barrot ne décolère pas. Derrière son immense bureau, engoncé dans son costume anthracite, sa chemise légèrement bleutée au col empesé, sa cravate grise que moire un soupçon d'argent, il s'est empourpré et ne cesse de jouer avec son Montblanc qu'il décapuchonne, revisse, pose, reprend, dévisse à nouveau...

Martin reste imperturbable, bien droit sur sa chaise, son blouson plié sur ses cuisses. Seignolles, lui, croise et décroise les jambes, mal à l'aise.

– Je ne comprends pas ce qui a provoqué un tel revirement de votre part ! aboie Barrot. Lors de notre dernier entretien, vous trouviez absurde l'idée du lieutenant Seignolles de revenir sur ces disparitions !

– C'est vrai ! admet Martin. Mais, depuis, nous avons acquis de nouveaux éléments. Cédric Tissier a évoqué la présence de deux hommes dans la grotte. Deux hommes qui paraissaient l'avoir terriblement effrayé...

Barrot hausse les épaules et soupire :

– Ce ne sont que les élucubrations d'un patient en plein délire, extorquées de manière ubuesque par un médecin psychiatre qui se pique de médiumnité et de télépathie...

Martin ne dissimule pas même son agacement. Il lance un coup d'œil à Seignolles pour l'inviter à prendre le relais. Ce magistrat gominé, teint, soigné à l'excès, lui fait penser à un personnage d'opérette rendu respectable par la seule qualité de sa fonction.

– Monsieur le juge, peu importe par quel moyen nous sommes parvenus à faire parler Cédric Tissier ; il n'empêche que ce dernier a été profondément marqué par ces deux inconnus ! Cela mérite une enquête, ne trouvez-vous pas ? suggère Seignolles.