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– Le salaud ! jure Seignolles. Je n'ai jamais vu un type courir aussi vite !

Les deux policiers atteignent le chemin pour voir une voiture noire démarrer en trombe dans un nuage de poussière ocre, tanguer dans les ornières, déraper, mordre sur le talus, reprendre sa route et s'enfoncer dans une forêt.

Martin se plie en deux, pose ses mains sur ses cuisses et cherche à récupérer son souffle, les poumons en feu, au bord de l'asphyxie.

– Vous fumeriez moins..., le sermonne Seignolles.

– Je sais... Ils étaient deux dans la voiture, n'est-ce pas ?

– Oui. Le conducteur l'attendait. Notre intrus a fait pression sur Lebrun ; c'est pourquoi il s'est ravisé.

– J'ignore de quoi il l'a menacé, mais il crevait de peur !

Seignolles tape rageusement du pied dans une motte de terre. Martin se redresse, livide, une sueur glacée lui mouillant le dos.

– La poussière m'a empêché de distinguer le numéro d'immatriculation.

– Je ne suis pas certain que cela nous aurait servi... Je parierais pour une voiture volée ou maquillée. Venez, Martin, retournons cuisiner Lebrun.

Martin le retient par le bras.

– Inutile ! Il débitera des salades et nous perdrons notre temps. Envoyons plutôt l'un de vos gendarmes s'occuper de lui, quoique je n'espère aucun résultat. Nous, on rentre !

– Mais, bon Dieu ! s'écrie Seignolles, comment ont-ils appris que nous venions ? Et à cette heure précise...

Martin a fourré ses mains dans ses poches, poings serrés. Son front s'est creusé de ses deux rides horizontales coutumières. Il a envie de vomir. Cette course l'a épuisé et lui a fait toucher du doigt combien sa condition physique s'est délabrée : le tabac, l'alcool, ses interminables nuits d'insomnie...

– Comment croyez-vous qu'ils l'aient su ? raille-t-il. Sinon par quelqu'un qui sait tout de nos faits et gestes ?

– Merci ! Ça, je l'avais compris comme aurait pu le faire un gosse de dix ans. Nous ne sommes pas tous des demeurés, dans la gendarmerie !

Martin se force à sourire.

– Je n'ai jamais pensé une chose pareille, Luc. Jamais ! Surtout depuis que je travaille en équipe avec vous.

– C'est sympa... Ce que je me demandais, c'était : QUI ? Qui a renseigné ces deux malfrats ? Qui, parmi les rares personnes qui nous côtoient...

Martin marche un moment en silence, tête en avant, épaules basses. Puis il s'arrête soudainement, se retourne vers Seignolles et dit :

– Nous sommes sortis de chez le juge, nous avons sauté dans notre voiture, nous avons parcouru dix kilomètres... et un type était déjà fourré dans la cuisine de Lebrun !

– Non... ! souffle le gendarme comme s'il exhalait toute la terreur que les phrases de son collègue ont fait naître en lui. Non ! répète-t-il. Pas lui !

Martin reprend sa marche en ajoutant :

– Et vous ne croyez toujours pas au complot ?

La chute

Alexandra est absorbée par l'étude des dossiers des patients dont le professeur Vals lui a confié la charge. Il s'agit pour la plupart de pathologies chroniques propres aux adultes, schizophrénie et paranoïa, avec leur cortège de troubles, bouffées délirantes aiguës, intentions suicidaires... Et ces ténèbres profondes dans lesquelles ces malades se sont enfoncés.

Parviendra-t-elle à les aider à revenir progressivement au jour ? C'est ce qu'Alexandra se demande. Outre le recours aux thérapies usuelles, médicaments et cures de sommeil, devra-t-elle s'investir différemment, ainsi qu'elle le faisait auprès des enfants, à Nantes ?

Sonder certains esprits... en extirper la souffrance par d'invisibles caresses ?

Elle se sent lasse aujourd'hui, sans en comprendre la cause. Depuis quelques nuits, son sommeil est agité, ses rêves se nourrissent de souvenirs aigres qui la laissent fourbue, au matin, le corps ankylosé. Des fourmillements dans ses jambes mortes !

Elle repose la fiche médicale qu'elle était en train de parcourir, se redresse, appuie sa nuque contre le dossier de son fauteuil et inspire profondément. Son regard se fixe sur la fenêtre, traverse la vitre, erre dans le ciel lumineux, s'y perd un instant.

Soudain, quelque chose lui érafle le cerveau. Elle se raidit sous l'effet de la douleur, redoutant d'être à nouveau assaillie par une de ses hallucinations !

C'est une voix lointaine. Un appel d'abord indistinct, noyé dans une épaisse brume de réverbérations. Puis, surgissant brutalement de cet enfer sonore :

« Au secours ! »

Ce n'est pas la voix de Mélisse...

« Au secours ! Venez à mon aide... »

Cédric ! C'est Cédric qui tente d'entrer en communication avec elle. Cédric qui n'est plus que frayeur et épouvante. Hurlant en elle son désespoir terrible, glacial et tranchant.

Le regard d'Alexandra, que tranquillisait la tiède luminosité du ciel, se ternit, voilé par une angoisse qui se déverse en elle, empruntant les voies les plus tortueuses de son âme pour venir la frapper au cœur de ses propres terreurs.

La mort... La mort qui la fouaille, plante ses crocs comme le ferait un loup au pelage noir.

Soupçonnant qu'un drame inéluctable est en passe de s'accomplir, comprenant que Cédric en sera la victime, elle actionne le système électrique de son fauteuil, traverse le bureau, se précipite dans le couloir en direction de l'ascenseur... Il lui faut rejoindre au plus vite la chambre du jeune homme.

Manquant de renverser une infirmière, elle s'engouffre dans la cabine de l'ascenseur, presse le bouton du troisième étage, la voix de Cédric toujours présente en elle, répétant son appel.

Puis elle voit...

Cédric se penche au-dessus de la rambarde de l'escalier de secours... Il menace de tomber... Elle gémit à l'unisson avec lui... Car une force extérieure pousse le jeune homme vers le vide... Il se débat, agite les bras, cherche à s'agripper au garde-fou, sans résultat...

La vision est d'une violence telle qu'Alexandra manque de s'évanouir. Suffoquant, elle sort de l'ascenseur tandis qu'un long cri lui vrille les tympans. Cédric a basculé par-dessus la rampe ; avec les yeux du jeune homme Alexandra voit le sol se rapprocher, monter vers elle... vers Cédric...

Elle se rue dans le couloir, donnant sa pleine vitesse à son fauteuil. Un éclat noir vient percuter son cerveau en feu. La voix mentale de Cédric s'est tue...

Elle doit ouvrir la porte à deux battants pour atteindre le secteur dans lequel le garçon a été hospitalisé.

Virgile est adossé au mur, tout près de la porte béante de la chambre de Cédric. Il se tient le front ; un filet de sang coule de son arcade sourcilière gauche.

Parvenue à sa hauteur, Alexandra demande d'une voix blanche :

– Que s'est-il passé ? Puis, jetant un regard dans la chambre vide : Où est Cédric ?

Virgile se retourne sur elle, une lueur d'étonnement dans les yeux.

– Il s'est échappé ! Je lui avais ôté ses sangles pour lui faire sa toilette... et il m'a surpris en se jetant sur moi comme un chien enragé !

– Malgré ses calmants ? Nous lui avions administré une véritable camisole chimique !

– C'est incompréhensible, concède Virgile. Et, après un temps de réflexion : Pourquoi êtes-vous venue, docteur ? Vous avez déboulé comme si vous saviez...

Elle ne répond pas. Son esprit projette ses antennes dans toutes les directions, en une vaine exploration... Mais Cédric ne l'appellera plus.

Alexandra n'a jamais entendu la voix des morts.

Le tube de barbituriques