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Souad alerte immédiatement l'officier de permanence qu'elle charge d'appeler le Samu, et joint Seignolles sur son portable. Le gendarme ne met pas deux minutes pour arriver et trouver sa collègue penchée sur Gwen, l'oreille collée à sa poitrine.

Se redressant, Souad constate :

– Elle respire à peine. Elle est en train de mourir !

Seignolles se baisse pour ramasser un tube de barbituriques vide.

– Oui, je l'ai remarqué, dit Souad. Comment a-t-elle pu le dissimuler sur elle ? Elle a été fouillée, non ?

– Naturellement ! C'est une mise en scène... Une très mauvaise mise en scène ! Mais qui devrait suffire à contenter et nos supérieurs et la presse.

Souad commence à comprendre. Elle redoute ce que va lui répondre Seignolles.

– Jansen ?

Le gendarme hoche la tête en signe d'assentiment et précise :

– Dès que tu es sortie du bureau, j'ai donné quelques coups de fil. Je n'ai pas la prétention de connaître tous les avocats de Toulouse, mais ce nom ne me rappelait rien du tout... Et Dieu sait si j'en ai vu défiler, des baveux !

– Je me suis fait feinter, c'est cela ?

Seignolles lui passe un bras autour du cou et, d'une voix tendre, consolatrice, lui dit :

– Tu ne pouvais pas deviner, petite. Ce salopard t'a présenté ses papiers et tu n'avais aucune raison de te méfier. Mais il n'y a jamais eu de Jansen au barreau de Toulouse. Ni même ailleurs...

Le son lointain d'une sirène d'ambulance parvient jusqu'à la cellule. Souad regarde Gwen gisant sur le bat-flanc, le bras gauche dans le vide, sa belle main aux longs doigts et aux ongles peints frôlent le sol.

La mort a entrepris son œuvre ; elle a plaqué un masque cireux sur le visage aux traits légèrement asiatiques, y déposant déjà sa laideur.

La naissance

Je ne dispose que de très peu de temps. Marie est sortie faire des courses, maman est à la clinique des Sorbiers et je dois reprendre mes cours dans un peu plus d'une heure.

Je me suis souvenu que lorsque les déménageurs ont apporté nos affaires, maman leur a spécifié de descendre à la cave certains cartons. Ce n'est pas dans la chambre de maman que j'aurais dû fouiller par priorité, mais au sous-sol, bien sûr !

Je descends donc à la cave où je n'ai pas encore mis les pieds. Quelques marches, une porte à ouvrir. Je presse l'interrupteur pour donner de la lumière dans cet endroit exigu aux murs de parpaings.

Il y a là trois piles de cartons qui n'ont pas été déballés. J'entreprends aussitôt de les ouvrir tous... Le premier ne renferme que de gros pulls et un anorak, le deuxième de la vaisselle, le troisième de vieux jouets m'ayant appartenu... Le quatrième, enfin, est empli de livres de psychiatrie, de factures EDF, de modes d'emploi de la télé, du magnétoscope... et d'une enveloppe en papier kraft ne portant aucune inscription, qui attire forcément mon attention.

J'en extrais des lettres pliées en quatre : correspondance à des membres de la famille, des amis... Puis un brouillon écrit au crayon par ma mère. L'esquisse d'une lettre qui a réclamé de multiples corrections ; de nombreux mots y sont biffés, remplacés en marge par d'autres que maman a jugés plus appropriés. Des phrases entières ont été barrées.

C'est le modèle d'une lettre datée de 1994, adressée à « Martin, mon chéri », dont les dernières phrases sont : « Je te demande instamment, par respect pour l'amour qui a été le nôtre, de ne jamais rien tenter pour me retrouver. Oublie-moi à tout jamais... »

Outre ce brouillon, la pochette contient une coupure de presse avec la photographie de ma mère très jeune. Je parcours l'article en hâte : « Une étudiante échappe de peu à la mort dans un accident de montagne... La jeune Alexandra Extebarra a été victime d'un éboulement au cours d'une expédition dans le massif du Loubier, en compagnie de son ami Martin Servaz. Étudiants en sciences physiques à Toulouse, ils avaient projeté, sous la responsabilité de leur professeur, Raphaël Sormand, de passer une journée en montagne, tous trois partageant la passion de la randonnée. Le plafond de la grotte dans laquelle le petit groupe de promeneurs s'était aventuré s'est effondré, blessant grièvement la jeune fille aux jambes. Le professeur Sormand et Martin Servaz sont sortis indemnes de cet accident inexplicable. On craint malheureusement qu'Alexandra Extebarra ne conserve de terribles séquelles physiques de ce drame. »

Je remets la coupure de presse et le brouillon de lettre dans l'enveloppe. Mes mains tremblent et mon cœur me fait mal ; il bat à tout rompre.

Je referme le carton, le remet en place dans sa pile et quitte la cave. En remontant, je ne peux interdire à mon esprit de se projeter dans le passé...

J'y devine maman. Nue dans les bras de cet Martin, nu lui aussi... Et le professeur Sormand qui leur parle...

Je cours m'asseoir sur le canapé du salon, car la tête me tourne et je crains de m'évanouir. Des images affluent par vagues. D'énormes lames surgies du passé, qui recouvrent le présent en le désagrégeant comme s'il n'était que tas de sable.

Je vois cette chose magnifique et terrible... Cet acte superbe et monstrueux ! Maman et cet Martin s'accouplent sous les yeux de leur professeur qui ne cesse de leur parler de sa voix lourde et insistante, hypnotique...

Il leur dit qu'ils ouvrent le passage donnant accès au deuxième monde ! Et je me vois, moi... Moi qui ne suis alors rien d'autre qu'un atome de vie, une particule de matière organique, une infime partie du Tout... Moi, projeté dans le corps de ma mère !

Incrédulité

Conduisant d'une main, téléphonant de l'autre au professeur Vals, Martin a pris connaissance des circonstances du drame. Mais les explications du médecin lui ont paru à la fois confuses et contradictoires.

Et lorsqu'il traverse le hall des Sorbiers, fendant une foule composée de docteurs, d'infirmiers et de patients que des surveillants tentent de repousser, il découvre le corps de Cédric au pied de l'escalier. Un médecin qui l'examinait est en train de se redresser.

D'un simple coup d'œil, Martin constate qu'il n'y a plus rien à espérer pour le jeune homme. Celui-ci a le crâne fracassé et gît tel un pantin désarticulé, les membres brisés, le cou décrivant un angle épouvantable.

Puis Martin élargit son champ d'observation. La scène se dessine à lui par touches rapides qui ébranlent sa raison. Le fauteuil roulant d'Alexandra est renversé près du cadavre, un peu de sang sur l'une de ses roues. Virgile est assis sur la première marche de l'escalier et se tient la tête ; l'une de ses arcades sourcilières a été ouverte. Une infirmière portant une trousse médicale s'approche de lui pour soigner sa blessure...

– Là-haut... Au troisième étage, indique Virgile à Martin. Le docteur Extebarra...

« Mon Dieu, Alexandra... Que fait là son fauteuil ? »

Martin se précipite dans l'escalier qu'il grimpe quatre à quatre, oubliant la fatigue de ses muscles et son manque de souffle. Il ne pense plus qu'à Alexandra. Ne comprend pas... Vals lui a dit plus tôt qu'elle avait certainement poussé Cédric par-dessus le parapet de la cage d'escalier !

« C'est complètement fou ! Comment aurait-elle pu commettre un tel acte ? Et surtout, pourquoi ? »

Il atteint le palier du troisième, le cœur si douloureux qu'il donne l'impression de vouloir exploser à chacun de ses battements.

Un nouveau tableau l'attend, que Martin analyse en une fraction de seconde : Alexandra est étendue, inanimée, sur le palier, au bord des marches. Le professeur Vals lui tâte le pouls. Derrière lui, deux infirmiers arrivent avec un brancard.