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Vals relève la tête, prend conscience de la présence Martin, le regarde avec une expression désolée qui sonne aussi faux qu'une mimique de mauvais acteur, puis dit :

– Je vais la faire conduire dans une chambre libre, au second ; on la placera sous oxygène... Ce n'est qu'un simple évanouissement...

– Pouvez-vous me dire... ? commence Martin.

– Je préfère que Virgile vous explique ; il a assisté à... à l'événement. Je vous ai résumé tout à l'heure le peu que je savais.

Les deux infirmiers chargent Alexandra sur le brancard et, usant de grandes précautions, entament la descente vers le deuxième étage. Les suivant, Vals sur ses talons, Martin téléphone au QG pour demander qu'on envoie les techniciens de la police scientifique aux Sorbiers sans plus tarder. Il laisse alors les infirmiers porter Alexandra jusqu'à la chambre où elle sera prise en charge, et poursuit sa descente, Vals le talonnant comme son ombre.

De retour au rez-de-chaussée, Martin retrouve ses réflexes professionnels, se maudissant de ne pas les avoir eus dès son arrivée. Il impose un périmètre infranchissable autour du cadavre de Cédric, conscient que, malheureusement, des dizaines de personnes ont piétiné le sol, et que le corps a été touché et forcément déplacé.

Virgile et l'infirmière qui pose deux points de suture à son arcade blessée sont allés s'installer sur l'un des bancs du hall. Martin les y rejoint.

– Que s'est-il passé ? demande-t-il à Virgile.

– C'est ahurissant, commence l'infirmier à la tête de catcheur. Cédric se tenait à la rambarde et le docteur Extebarra était juste derrière lui... Debout !

– Debout, vous vous foutez de moi ? hurle Martin que l'incrédulité met hors de lui.

– J'ai eu du mal à le croire ! Mais oui ! Elle était bien là, derrière lui, debout... Et elle l'a poussé ! Comme ça ! Brutalement... Sans raison apparente.

– Elle l'a poussé ? répète machinalement Martin qui se retient de frapper cette brute qu'il ne peut pas, qu'il ne doit pas croire !

– Oui ! Enfin, je pense...

– Vous pensez, ou vous êtes sûr ? Vous étiez sur les lieux, n'est-ce pas ?

– Elle l'a poussé !

Vals intervient, le visage parcouru de tics :

– Puisque Virgile vous le dit, commandant ! Ne doutons pas de sa parole, voyons !

Martin se tourne brusquement vers le professeur.

– Je ne crois pas aux miracles, docteur ! Alexandra Extebarra est paralysée des deux jambes depuis dix-sept ans et vous voulez me faire gober qu'elle s'est mise debout par magie pour tuer un patient ? De plus, vous m'avez dit au téléphone que Cédric, qu'on venait de détacher, s'est rué sur un homme qui doit mesurer un mètre quatre-vingt-dix et peser plus de cent kilos !

– C'est ce qui s'est réellement produit, affirme Virgile tandis que l'infirmière poursuit ses soins.

« Bien sûr, mon bonhomme ! Tu me prends pour une buse ! »

– Vos explications manquent de précision, accuse Martin. Elles ne permettent pas de reconstituer la scène de manière cohérente. Si je vous suis bien, Cédric se débarrasse de vous, le docteur Extebarra se trouve dans le couloir à ce moment précis, Cédric se dirige vers le garde-fou de l'escalier contre lequel il s'adosse, attendant patiemment qu'Alexandra le rejoigne ; cette dernière se dresse sur ses jambes, le fait basculer par-dessus la rambarde et, pour une raison mystérieuse, projette son fauteuil roulant...

– Ils se sont peut-être battus, suggère Vals.

– Se sont-ils battus ? demande Martin à Virgile.

L'infirmier ne répond pas ; son regard implore Vals.

– Se sont-ils battus ? reprend Martin.

– Non... Je ne pense pas. Enfin, je ne les ai pas vus faire, là où j'étais.

– Ah ? Là où vous étiez ! ironise Martin.

Le hurlement des sirènes de police interrompt leur conversation. Seignolles investit bientôt les lieux avec une cohorte de policiers dont quatre techniciens en combinaisons stériles qui enfilent aussitôt des chaussons pour se diriger vers le corps de Cédric.

Martin livre à Seignolles un résumé succinct des informations qu'il a récoltées à partir du moment où il a pénétré dans le hall...

– Je vous laisse procéder aux premières analyses et interroger les témoins, lui dit Martin. Moi, je monte recueillir la version d'Alexandra.

Seignolles le retient par le bras.

– Patron...

– Oui ?

– On a fait avaler à Gwen des barbituriques. Le Samu l'a embarquée, mais elle est fichue !

– Qui ça, on ?

– Ce Jansen... L'avocat. C'était un imposteur.

Martin garde ses pensées pour lui et se dirige vers l'ascenseur. « Le grand nettoyage a commencé ! Les cloportes se sont transformés en scorpions... Combien de victimes vont-ils devoir tuer pour protéger leur secret ? »

– Mais quel secret ? prononce-t-il à voix haute, seul dans l'ascenseur.

Nouveau coup de gomme

Alexandra est à demi allongée, le dos appuyé contre un gros oreiller. Quand Martin pénètre dans la chambre, une infirmière est en train d'ôter le masque à oxygène du visage de la jeune femme, laquelle a repris connaissance.

– Veuillez nous laisser, mademoiselle.

L'infirmière se retire non sans jeter un dernier coup d'œil à Alexandra, comme pour se rassurer sur son état.

– Merci, Mathilde, lui dit Alexandra.

Martin approche une chaise du lit et s'assied, se retenant de prendre les mains de son amie dans les siennes.

– Comment te sens-tu ?

– Moyen, moyen... Mais tu peux me parler, et il est inutile de me ménager, Martin ! Cédric est mort, n'est-ce pas ? Si je pouvais comprendre ce qui est arrivé...

Elle remarque aussitôt la déception Martin.

– J'espérais que tu allais me le dire ! Virgile m'a débité une fable invraisemblable. Tu sais que je veux t'aider, Alexandra. Je suis de ton côté ; néanmoins, je dois connaître ta version des faits pour l'opposer aux inepties dont on vient de m'abreuver.

Alexandra regarde droit devant elle, tentant de rassembler ses souvenirs. Puis, d'une voix hésitante :

– J'étais dans mon bureau à travailler ; je révisais les dossiers de mes malades... Tout à coup, j'ai perçu la voix de Cédric dans mon esprit... Il m'appelait au secours... Souhaitait mon aide... Il était terrorisé ! J'avais l'impression qu'il se débattait contre quelqu'un qui tentait de le pousser par-dessus la rambarde de l'escalier... Je reconnaissais parfaitement les lieux... J'ai pris l'ascenseur ; Cédric ne cessait de m'appeler... Arrivée à l'étage, j'ai trouvé Virgile qui m'a appris que Cédric s'était échappé après l'avoir agressé... Je me suis rendue sur le palier, me suis approchée du garde-fou et...

– Et... ? s'impatiente Martin.

Alexandra, qui a gardé son regard braqué droit devant elle durant son récit, se tourne vers Martin.

– Je suis désolée... À partir de cet instant, je ne me souviens plus de rien.

– Tu t'es évanouie à l'endroit précis où je t'ai découverte en montant ?

– Sans doute. Je te répète que je n'en ai plus souvenir... Cependant...

– Oui ? fait Martin, se penchant en avant.

– Quelque chose me revient.

Martin se penche encore, si près du visage d'Alexandra qu'il sent son parfum. Tel qu'il le retrouve à chaque fois qu'il la rencontre. Toujours le même ! Depuis si longtemps...

Alexandra précise :

– Il me semble avoir reçu un choc. Du moins ai-je le sentiment que, juste avant de perdre connaissance, j'ai ressenti une douleur dans la nuque.

– Redresse-toi un peu.

La jeune femme prend appui sur ses avant-bras et décolle son dos de l'oreiller pour que Martin puisse soulever ses cheveux et examiner son cou.