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– Excusez-moi, répète Seignolles, attendri par cette femme à la voix douce qui le considère avec des yeux d'enfant triste.

Martin frappe dans ses mains pour interrompre l'échange.

– Nous prendrons le temps de disserter plus tard sur les phénomènes paranormaux ; pour l'heure, l'important est ce que vient de révéler le docteur Extebarra. C'est la première fois qu'on établit un lien sérieux entre l'affaire Estelle et ces disparus ! On marque là un point qui vaut de l'or ! Et, d'après ce que tu nous dis, Alexandra, Vals dissimulerait Mélisse Richet !

Seignolles, qui a enfilé sa veste, comme s'il se doutait déjà de ce qui allait suivre, s'adresse à Alexandra :

– Vous croyez vraiment que Mélisse Richet se trouve encore aux Sorbiers ?

– Il n'y a qu'un moyen de le savoir ! s'exclame Martin sans attendre la réponse d'Alexandra. Jouons la surprise !

– Une nouvelle infiltration ? plaisante Souad. On se déguise en infirmiers, et on fouille partout... C'est cela ?

– À un détail près ! explique Martin. On emmène le docteur Extebarra avec nous... Et pas besoin de blouse blanche ! C'est la police qui déboule à visage découvert !

Curieusement, Seignolles demeure sur la réserve.

– Cela vous pose un problème ? s'enquiert Martin.

– En quelque sorte... Il est impossible d'effectuer cette intrusion dans le domaine privé de la clinique sans avoir un mandat de perquisition... Autrement dit, il me semble qu'il faudrait convaincre Barrot de...

– Au diable le juge ! le coupe Martin. Moins je vois ce roquet, mieux je me porte. Nous sommes en position de réaliser un flag ; on ne va pas traînailler dans les couloirs du palais de justice à attendre une demi-douzaine de tampons !

Seignolles émet un long soupir, lève les yeux au ciel et, s'avouant vaincu :

– Dire que, jusqu'à ce que je vous connaisse, j'étais un fonctionnaire modèle, respectueux des règlements !

– Tu es d'accord pour nous accompagner, Alexandra ? demande Martin.

– Évidemment ! Cette petite Mélisse, toute maigrichonne, ne cesse de me hanter.

– Dans ce cas, allons-y ! ordonne le commandant, entraînant sa petite troupe dans un élan d'espoir.

De cet espoir qui lui manquait depuis qu'il a pris conscience de se battre contre des moulins à vent. Cette fois, se persuade-t-il, quelque chose de tangible est à portée de main.

Une gamine à retrouver. Une petite morte à ressusciter...

Le crâne

Les deux hommes ont effectué leur balade dans un quasi silence, d'un pas lent et régulier de montagnards aguerris qui savent s'interdire tout effort inutile risquant de compromettre une fin de course. Achever une randonnée hors de souffle, le cœur endolori, serait un sacrilège !

Prenant le temps d'admirer le paysage qu'à chaque pas il découvrait plus grandiose, goûtant ce sentiment de solitude pacifique qui chassait son angoisse, Sormand y a trouvé un plaisir qu'il pensait avoir définitivement perdu.

Ils se sont reposés quelques minutes sur un promontoire pour se désaltérer, n'échangeant que de rares paroles, puis Perkas lui a proposé de redescendre par une autre voie à travers la forêt.

De retour au chalet en fin d'après-midi, ils se sont attablés sur la terrasse, l'esprit imprégné des multiples sensations éprouvées au cours de leur excursion. Puis une conversation s'est imposée d'elle-même, décousue au début, prenant forme ensuite, faite d'une succession de questions que les deux hommes, qui ne se sont pas revus de plusieurs années, ont déroulée comme un jeu.

Depuis plus d'une heure ils devisent ainsi avec nonchalance, s'absorbant parfois dans la contemplation du soleil qui disparaît derrière les cimes. Bientôt la température fraîchit au point que Perkas propose à Raphaël :

– Nous ferions bien de rentrer ; la journée a beau avoir été superbe, le froid reprend toujours ses droits, à cette altitude.

Raphaël quitte à regret cette terrasse qui lui fait penser au pont d'un navire dominant un océan de champs d'un vert tendre que l'ombre du soir commence à grisailler.

Une fois dans la large pièce commune, Perkas fouille dans une armoire pour en sortir un vieux chandail à col roulé qu'il tend à Sormand.

– Passe-le ! Tu ne le regretteras pas... Je l'ai acheté au Canada. Tu as cependant le droit de critiquer la couleur !

Sormand sourit pour répondre :

– Disons que c'est la première fois que je mets du jaune moutarde !

Tout en enfilant l'ignoble pull, Raphaël suit son ami qui le conduit dans un vaste salon aux murs de pierre, décoré sobrement. Quelques agrandissements photographiques représentent tous des paysages magnifiques : souvenirs minutieusement choisis des nombreux voyages que Perkas a effectués à travers le monde durant sa longue carrière. Des rayonnages contiennent des centaines de volumes aux tranches blanchies par la poussière. Des meubles si rustiques qu'ils en deviennent des caricatures... Une énorme cheminée qui ouvre sa gueule noire... Mais une ambiance faite de paix, de bien-être, de frugalité.

Perkas se penche sur l'âtre et allume un fagot déjà prêt. Dès que les flammes s'élèvent, il y jette deux grosses bûches et attend leurs premiers crépitements pour se retourner vers Raphaël. Celui-ci s'apprêtait à se laisser tomber dans un fauteuil en cuir qui ne demandait qu'à recevoir son corps lourd et fatigué.

– Avant le repos, un peu de travail ! lance Perkas, retenant le geste de son hôte.

Perplexe, Raphaël lui emboîte le pas. Ils traversent le salon pour passer dans un minuscule vestibule et descendre une dizaine de marches qui les mènent dans un étroit couloir. Ils l'empruntent pour atteindre une porte blindée. Perkas l'ouvre en pianotant sur les touches d'un boîtier électronique fiché sur le chambranle.

Puis il appuie sur un commutateur et s'efface cérémonieusement pour laisser entrer Sormand en déclamant :

– Cher et distingué professeur Sormand, vous avez l'insigne honneur de pénétrer dans mon laboratoire personnel !

Raphaël fait quelques pas et se fige sur place à la vue du matériel de pointe dont la pièce est emplie.

– Nom d'un chien ! Tu es mille fois mieux équipé qu'à la fac !

Un sourire d'enfant lui illuminant le visage, Perkas se redresse un peu en bombant le torse. Ses gros yeux de poisson se mettent à rouler en tous sens.

– Mieux que n'importe quel autre labo, Raphaël ! précise orgueilleusement l'anthropologue en lui faisant visiter la vaste salle aux murs aveugles.

– C'est un véritable bunker ! s'extasie Raphaël. Et tous ces ordinateurs, ces microscopes électroniques, ces scanners ! On est loin de la petite trousse d'anthropologue de tes débuts... Je me souviens que tu partais sur tes chantiers avec tes pinceaux-brosses, ta fameuse « truelle losangique » et tes outils de dentiste !

– J'utilise toujours ces instruments, précise Perkas. Crois-tu que je déterre mes précieux ossements au marteau-piqueur ? Non, ici j'analyse mes découvertes, je les date, les interroge, leur soutire tous leurs secrets ! À partir d'une phalange, je suis en mesure de reconstituer un bonhomme, te dire à quel âge il est mort, de quelle maladie, comment il se nourrissait, s'il était bûcheron ou apothicaire ! Les os sont de grands bavards, mon ami. Pour les faire parler, il suffit d'un peu de physique, de chimie, du bon sens et une pointe de connaissances... Je fais un travail de flic, à ma manière.

Sormand se campe au milieu du laboratoire, les mains sur les hanches et, après avoir émis un petit sifflement d'admiration, s'exclame :

– Ce matériel vaut une fortune !

– MA fortune ! précise Perkas. J'ai investi tout ce que je possédais dans cet équipement. Mon propre argent ! Jusqu'au moindre centime... J'ai revendu mon appartement toulousain, mon studio à Quiberon, quelques bijoux, un paquet d'actions... et j'ai même grignoté sur mon assurance-vie ! Et depuis, comme tu vois, je suis devenu le roi du monde !