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– Ça ne vous dérange pas que je fume ? interroge Martin en montant dans la voiture.

– Vous faites des progrès ! remarque Seignolles. Vous demandez l'autorisation, maintenant ?

Martin sort son paquet de cigarettes de la poche gauche de son blouson. Toujours la poche gauche ! Il s'apprête à porter une cigarette à ses lèvres quand Souad lui dit :

– Moi, ça me gêne un peu, Martin. Pas dans la voiture... Pas ce soir... J'ai une telle envie de vomir !

Il escamote la cigarette sans rechigner. Il a compris : à sa manière, Souad vient de répondre à la question muette qu'il a formulée dans le square. Elle ne souhaite pas qu'il monte chez elle.

Pas ce soir...

Le jardin secret de Vals

Ce matin, Seignolles est venu chercher Martin à son hôtel après un détour, dès cinq heures, par les Sorbiers où il a passé au peigne fin le bureau de Vals.

– Vous, remarque Martin en lui ouvrant la porte de sa chambre, vous avez le sourire matutinal de quelqu'un qui a une bonne nouvelle à annoncer !

– Ça se pourrait bien ! Je vais vous raconter si vous m'offrez un café et une tonne de croissants sur votre terrasse... Vous avez vu ce temps magnifique ?

Martin donne un coup de fil à la réception pour commander deux copieux petits-déjeuners, et les deux hommes vont s'asseoir sur la terrasse déjà baignée d'une belle lumière tiède.

– Au fait, interroge Seignolles, « matutinal », ça veut dire quoi ?

Martin sourit :

– Rien d'autre que matinal en plus littéraire !

Ils attendent l'arrivée du service d'étage pour entamer sérieusement la conversation, s'offrant l'un de ces rares moments de trêve dont ils ont désormais besoin pour supporter cette enquête sans précédent.

Martin grille une cigarette sous le regard accusateur de Seignolles.

– Vous allez en crever, chef !

– Je sais, Luc...

Un garçon d'étage frappe bientôt et apporte un grand plateau chargé d'une cafetière, de jus d'orange, de viennoiseries, de confitures et de fromages. Une fois qu'il est ressorti, Seignolles attaque :

– Je n'arrivais pas à dormir, cette nuit. Trop choqué par ce que nous avons découvert hier... J'ai donc décidé de me rendre aux Sorbiers, histoire de dénicher un indice quelconque dans la paperasse du bureau de Vals. Figurez-vous que quelque chose m'a frappé. Outre le fait qu'il possède un appartement en plein cœur de Toulouse, j'ai relevé qu'il louait une cabane sur une parcelle de jardin ouvrier en proche banlieue. Curieux, non ?

– Effectivement, admet Martin en servant le café ; je vois mal ce docteur Mabuse en train de cultiver des salades et des poireaux à ses heures perdues... L'image ne colle pas trop avec le personnage !

– C'est la raison pour laquelle je me demandais s'il ne serait pas utile d'aller y jeter un œil...

– Je suis évidemment d'accord... Mais Barrot va exploser ! Déjà qu'on a perquisitionné la clinique sans son assentiment, imaginez qu'on récidive avec la cabane... Un tas de planches avec une porte et une fenêtre n'en demeure pas moins une propriété privée !

Seignolles éclate de rire.

– C'est vraiment l'hôpital qui se moque de la charité ! Vous n'avez pas cessé de nous dire qu'il fallait se foutre des procédures quand cela permettait d'avancer, et là, vous m'infligez une leçon de procédure...

– C'était une plaisanterie, Luc ! Juste pour voir si vous aviez bien pris le pli. Naturellement, nous allons aller fouiller cette baraque et la démonter planche par planche, s'il le faut ! Quant à Barrot, vous savez maintenant de quel côté je le situe. Au fait...

– Oui ?

– Ce nabot de Legendre n'a pas pointé le bout de son museau, hier...

– Je l'avais remarqué, souligne Seignolles en dévorant un croissant.

– Le diable ne revient pas toujours sur les lieux de son crime... La vase que nous sommes en train de remuer doit commencer à l'indisposer.

– Vous pensez toujours qu'il tire les ficelles, n'est-ce pas ?

– Plus que jamais, Luc. Et Barrot n'est rien d'autre que le majordome de Satan !

Après que Seignolles a vidé la corbeille de viennoiseries et que Martin a fumé trois cigarettes et avalé deux cafés, les deux enquêteurs se rendent en proche banlieue où ils trouvent la parcelle no 31 attribuée au professeur Vals. Au milieu de tous les jardinets parfaitement entretenus par de consciencieux retraités, le lot de Vals détonne par son état d'abandon. Ce ne sont qu'orties, liserons, buissons épineux... Au fond de cette jungle naine s'élève un cabanon vermoulu au toit de tôle ondulée.

– Pas très soigneux, ce Vals ! dit Martin en descendant de la voiture.

– Cela ressemble fort à une couverture...

– Ce qui m'incite à penser qu'on risque de trouver quelque chose... Mais la porte donnant accès à cette forêt vierge est cadenassée. Avez-vous vu la taille de la chaîne ?

– Pas de problème ! répond Seignolles. J'ai tout ce qu'il faut dans la voiture. J'avais prévu le coup ! J'ai emporté quelques outils...

Le gendarme fouille dans le coffre pour en sortir une grosse pince coupante.

À peine deux minutes plus tard, le cadenas lâche sous la morsure des mâchoires d'acier. Satisfait, Seignolles pousse fortement la porte qui résiste, coincée par les hautes herbes.

– Personne n'est venu ici depuis longtemps, note Martin. Vous n'auriez pas pris une machette, des fois ?

– Désolé, nous allons devoir sacrifier le bas de nos pantalons...

Ils s'aventurent dans cette brousse, s'y enfoncent jusqu'à mi-cuisses et atteignent le baraquement comportant, outre sa porte, une unique fenêtre aux volets clos.

La porte ne résiste pas à trois coups d'épaule solidement appliqués par le gendarme. Les deux hommes s'engouffrent dans la cabane et ouvrent les volets. La lumière entre à flots ; ils s'étonnent alors du décor qu'ils ne s'attendaient pas à trouver entre ces vulgaires panneaux de bois.

Un superbe tapis recouvre le sol ; un lit de camp militaire est adossé à l'un des murs ; un poêle à charbon trône au milieu de la pièce. Viennent compléter le mobilier une armoire, un petit bureau et un confortable fauteuil en cuir roux.

– Un véritable penthouse ! s'exclame Seignolles.

– Étrange personnalité que celle de ce dingue ! Vals devait venir s'isoler ici, loin de la clinique, à l'écart de chez lui...

– J'aimerais bien en connaître la raison..., s'interroge Seignolles.

– Peut-être se droguait-il. Ou buvait-il. Ou assouvissait-il je ne sais quel fantasme solitaire.

– Ou se laissait-il aller à des crises de démence.

– Oui, dit pensivement Martin. Sans doute éprouvait-il le besoin de se retrouver seul face à ses propres démons. Même les pires tortionnaires ne perdent pas totalement conscience de l'abjection de leurs actes. Il pleurait peut-être tout simplement sur sa propre folie et sur ce qu'il faisait subir à ses victimes !

Le gendarme hausse les épaules.

– Ne le rendez pas trop humain, Martin... Cette ordure mérite de crever en prison.

– Lui et ses comparses, Luc. C'est pourquoi nous devons retourner cette turne ! Celle-ci constituait son petit monde secret... Elle doit nécessairement receler un élément qui nous aidera à progresser dans notre enquête.

Respectant sa méthode, Seignolles s'est planté au milieu de la pièce, tout près du poêle, et s'est mis à pivoter lentement sur lui-même, photographiant mentalement chaque pan de ce décor qu'il dissèque, subdivise en minuscules secteurs, en inventoriant le moindre détail...

– Vous commencez à me donner le tournis, Luc !

– Mille excuses, patron... mais je vais nous faire gagner du temps.

– Non ! ? Sherlock a déjà découvert le trésor ?