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– Tu considères donc qu'Oscar avait peur de Barrot ?

– Je ne l'affirmerai pas, Martin. Il serait présomptueux de ma part de certifier une chose aussi grave à partir d'une unique et brève observation ! Je te livre juste mon sentiment...

– Sentiment ou intuition ? demande Martin en souriant.

– Je suis médecin avant d'être médium, souligne Alexandra en lui rendant son sourire.

Tendresse

De retour au QG, Martin trouve Souad avec, à son habitude, les pieds posés sur le plateau de son bureau, occupée à consulter une liasse de feuillets et arborant un large sourire. Elle a téléphoné à Martin alors qu'il sortait des Sorbiers.

– Que voulais-tu me dire de si important ? demande Martin en tapotant les bottes de la jeune femme. Que tu viens d'acheter une nouvelle paire de pompes imitation croco, par exemple ?

– Par exemple ! réplique Souad en s'asseyant. Tu les trouves comment ?

– Trop chères ! juge Martin en se débarrassant de son blouson. Sais-tu que leur fabrication a sans doute nécessité la valeur de deux litres de pétrole ? Pas facile d'être écolo et bio, par les temps qui courent !

– Très drôle ! dit Souad en lui faisant une grimace. Tu as progressé ?

– Comme ci comme ça... Et toi ?

– Pas mal, figure-toi ! J'ai les résultats du labo concernant la drogue que Vals instillait dans le sang des « disparus »...

– Oui ? demande Martin en se dirigeant vers l'une des fenêtres qu'il ouvre pour s'autoriser une cigarette.

– Tu ne devineras jamais ce que Vals injectait à ses victimes...

– Du peyotl !

– Gagné, commandant ! Mais pas du peyotl extrait de cactus mexicains...

– Ah ? Il en existe d'autres ? s'étonne Martin.

– Du peyotl de synthèse ! Une bombe qui décuple carrément les effets de cette drogue !

– Inventif et diabolique !

Souad quitte son bureau pour rejoindre Martin à la fenêtre. Ce dernier évite de la regarder droit dans les yeux. Il doit d'abord penser à son enquête. Rien qu'à cela... Ne pas se laisser troubler !

– Du coup, poursuit la jeune femme, j'ai demandé au labo de refaire les analyses du sang d'Estelle à partir de cette information supplémentaire. Et là, j'ai remporté le gros lot ! Le peyotl naturel fourni par Gwen a masqué la présence du peyotl de synthèse. Oui, on en a aussi injecté à la gamine ! D'où mon hypothèse : Vals ou Virgile – ou les deux – étaient présents dans la grotte de Sainte-Engrâce.

Martin hoche la tête avec une moue dubitative.

– Je n'y crois pas...

– Pourquoi ?

– Vals est un trop gros poisson dans cette affaire ; il n'est pas du genre à jouer les hommes de main... Quant à Virgile, je pense que son rôle se cantonnait à surveiller les « disparus » et à assister son patron... Par contre, s'agissant des deux types dans la grotte, je croirais plutôt à...

– Des gars de la DGSE ? le coupe Souad.

– Certainement... Mais d'autres candidats ne sont pas à exclure. Surtout, je te le répète, je suis convaincu que nous sommes face à une organisation puissante, disposant de nombreuses complicités. Capable de tout verrouiller ! Ce qui ouvre grand le champ des possibilités...

– Ne me dis pas que tu n'as pas une intuition ! Tu es réputé pour être un spécialiste des sectes. La mise en scène du meurtre de Virgile Dupré est un truc de fêlés se réunissant dans des caves avec des cagoules sur la tête et dansant autour d'un crucifix renversé ! Depuis le début de notre enquête, on ne rencontre que des bougies, des cercles de pierres, des signes cabalistiques, de la drogue, des voyages dans des univers parallèles... Nous ne cessons de patauger jusqu'au cou dans le Krishna...

Martin ne peut s'empêcher de sourire et, cette fois, de croiser son regard. Trop tard : Souad l'accroche d'une pupille élargie et d'une infime brillance qui ressemble presque à une larme.

Il allait lui répondre. Lui dire que la punition des lèvres cousues d'or lui rappelait vaguement un très lointain souvenir. Une réminiscence abandonnée en lisière de sa mémoire. Rien de plus qu'un écho. Il allait lui répondre, mais il jette sa cigarette par la fenêtre et prend la jeune femme dans ses bras pour l'attirer à lui. Un geste qu'il n'a pas fait depuis si longtemps... Un mouvement lent, empreint d'une imperceptible gaucherie, qui le rend encore plus émouvant.

Les yeux de Souad l'embrassent déjà.

« Les lèvres ne sont pas faites pour être cousues d'or... »

Elle lui tend les siennes. Il pose sa bouche sur cette chair tendre, humide et tiède. La chaleur de la vie, de la jeunesse. La chaleur d'un corps qui n'appelle que des caresses prévenantes et affectueuses.

Il l'étreint, sentant les seins de la jeune femme sur sa poitrine. Elle se presse contre lui en passant les bras autour de sa taille.

Puis ils s'abandonnent dans un long baiser calme tout en se regardant. Se regardant pour ne jamais oublier cet instant.

Ils ne se désunissent que lorsque Seignolles fait irruption dans le QG. Le gendarme ne fait aucune allusion ; il se contente de se rendre à son bureau comme si de rien n'était, s'assied, allume son ordinateur et se plonge dans ses dossiers.

« Ils en ont mis, du temps, ces deux-là, pour en arriver là ! »

Il regrette seulement de ne pas être à la place de Souad.

La recette du cassoulet

C'est avec joie que Raphaël Sormand se gare au pied du chalet de son ami Perkas. Son ami ! Ce n'est plus qu'ainsi qu'il le nomme depuis qu'après leurs retrouvailles ils se sont appelés chaque jour au téléphone, se lançant dans d'interminables conversations, Raphaël allant jusqu'à se confier... Par bribes, au début ! De menues confidences distillées goutte à goutte, puis de plus en plus intimes, profondes, pour enfin les laisser couler à flots, roulant ses chagrins comme des galets, ses rêves émiettés, ses derniers espoirs.

C'est une matinée frisquette, resplendissante de lumière, picotée par l'arôme de l'herbe et des sapins. Sur la table vermoulue de la terrasse attendent déjà une bouteille de vin blanc, deux verres et des tranches de saucisson coupées à la diable.

Perkas est en bras de chemise tandis que Raphaël a conservé sa veste. Les deux hommes s'assoient face à face, à leurs places respectives, selon un rituel qui ne demande qu'à se répéter.

– Si tu passais quelques jours dans mes montagnes, tu finirais par t'habituer à la température ! D'ailleurs, on s'habitue à tout...

– Par exemple ? interroge Raphaël.

Perkas, emplissant leurs verres :

– Par exemple à la vie d'ermite ! Regarde-moi... Je me suis lové dans la solitude comme un enfant dans les bras de sa mère. Je n'ai jamais aussi bien dormi, je me sens plus jeune qu'avant, je ne fais plus l'amour depuis la mort de ma femme, et ne pense plus au sexe. La liberté totale du parfait anachorète !

– Je t'admire ! soupire Raphaël. Moi, j'en serais bien incapable. Je ne peux pas me passer de séduire, ou d'être séduit !

– Cela satisfait ta vanité, mon ami ! Tu as toujours été un type orgueilleux.

– C'est vrai. Et je mourrai ainsi.

– Et tu seras le cadavre le plus orgueilleux du cimetière, car même mort tu penseras encore que tes livres continueront d'être lus et que des adeptes poursuivront tes recherches...