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Il accueille les visiteurs avec l'enthousiasme débordant des passionnés, se lançant d'entrée de jeu dans un exposé minutieux sur l'appareillage mécanique qui anime la roue motrice, appelée « vulgairement » turbine, souligne-t-il.

– Il serait plus convenable de la nommer rotor, précise-t-il. En réalité, ces deux machines sont des turbines Kaplan, les plus appropriées au débit de l'eau que nous leur apportons.

Martin lève les yeux au ciel.

– Ce que vous nous apprenez là est passionnant, monsieur Friedel ; en temps ordinaire, j'aurais suivi votre conférence avec grand intérêt ; malheureusement, nous sommes venus pour que vous nous montriez cette usine sans rien omettre, pas même les placards à balais !

Friedel se rembrunit et, manifestant sa déception, entraîne Souad et Martin d'un sec « Suivez-moi ! »

La visite se déroule alors au pas de charge : montées d'escaliers métalliques, traversées d'interminables galeries, suivis de labyrinthes...

Martin arrête Friedel alors qu'ils viennent de passer devant une porte marquée d'un agressif éclair jaune.

– Pourquoi n'entrons-nous pas ici ?

– C'est le transformateur, commandant.

– Parfait, jetons-y un coup d'œil !

Friedel ébauche un sourire en coin.

– Il faudrait d'abord couper le courant !

– Eh bien, allez-y !

Détachant chaque syllabe comme s'il s'adressait à un enfant, Friedel martèle :

– Vous ne saisissez pas ce que je veux dire, commandant. Couper le courant, c'est priver d'électricité toute une partie de Toulouse !

Martin insiste néanmoins, malgré Souad qui lui a pris le bras pour l'inciter à renoncer.

– Faites-nous entrer là ; je vous promets que nous ne toucherons à rien !

– Que vous touchiez ou non à quelque chose, commandant, reprend patiemment Friedel, vous prendriez de toute manière quarante mille volts produits par l'arc électrique. Je ne peux donc vous laisser entrer.

– J'en prends la responsabilité, persiste Martin, le front buté.

– Non, monsieur ! Je ne peux le faire que sur l'ordre écrit d'un juge ! Un protocole particulier devra ainsi être observé, et la population prévenue d'une coupure de courant à une certaine date, à une heure donnée et pour un certain temps ! On ne décrète pas de la sorte de priver une ville de son électricité... Je ne suis absolument pas habilité à prendre cette décision. De plus, ce n'est pas aussi simple que vous l'imaginez ; il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton pour couper le jus !

Souad exerce une pression des doigts sur l'avant-bras Martin.

– Commandant, M. Friedel a raison. Si nous pénétrions dans cette salle, nous serions aussitôt transformés en poussière de charbon ! Laissons tomber ! Pour l'instant...

Leur visite s'achève au rythme où elle a commencé, Friedel souhaitant évidemment se débarrasser au plus vite de ces visiteurs.

Revenus dans le hall, Martin et Souad retrouvent Seignolles et l'ensemble des enquêteurs. Prévenu de leur départ, Zimmer est venu les saluer avec son sourire publicitaire.

– Alors, commandant, avez-vous trouvé quelque chose ?

– Non, monsieur le directeur ! Je crains cependant de devoir revenir... Je persiste à penser que les bandes vidéo ont été trafiquées. Quelqu'un – Vals ou qui que ce soit d'autre – a emprunté cette fameuse porte que vous n'utilisez pour ainsi dire jamais.

– Vous portez là une accusation grave, dit Zimmer sans se départir de son sourire définitivement greffé sur son visage lifté. Pourtant je me tiendrai à votre disposition pour vous donner entière satisfaction. Vous avez vu que mon seul travail consiste à produire de l'électricité. Si cette abominable créature qu'était le professeur Vals a eu la malencontreuse idée de s'aventurer dans l'enceinte de la centrale pour se faire trucider, je n'en porte pas la responsabilité. Mais, naturellement, mon personnel se soumettra à tous les interrogatoires auxquels vous le convierez.

– Je vous en remercie, conclut froidement Martin en se dirigeant vers la sortie.

Dehors, les policiers trouvent la pluie. Une averse fine, prélude à un automne précoce.

Martin monte dans la voiture à la place du conducteur.

– Je prends le volant, cette fois.

Il a hâte de revenir au QG boire un café et fumer.

– Nous nous sommes déplacés pour rien ! ose Seignolles.

– Pas vraiment, le contredit Martin en mettant le contact. Non, pas vraiment... Il y a quelqu'un dans cette usine qui a bidouillé les bandes vidéo ! Les fantômes ne laissent pas de traces de pas dans la boue, Luc. Le garde forestier a croisé Vals, ce que tu as confirmé en m'assurant qu'il avait pris sa voiture... Et Vals n'apparaît pas sur les films ! Ni lui ni personne d'autre que nous deux, le jeudi.

Au même moment, dans un couloir de la centrale, Mathieu Friedel, après s'être assuré qu'il est seul, compose un numéro sur son téléphone portable.

– Ils sont partis, colonel... Oui... Ils reviendront sans doute bientôt... Non... Les bandes vidéo ont été traitées ; pas de problème de ce côté-là... Oui, dimanche soir... Vous maintenez la réunion ? Bien.

Puis il raccroche, fourre son téléphone dans sa poche et reprend la direction de la salle des turbines. Tous les traits de son visage expriment une profonde contrariété. « Nous allons devoir agir rapidement ! Très rapidement... Au risque de compromettre l'Expérience ! »

Ce que nous apprenons...

Neuf.

Ce samedi soir, ils sont neuf...

Ils doivent toujours être neuf autour de la grande table circulaire noire. Quand l'un des membres de la Loge Muette vient à disparaître, il est aussitôt remplacé par un impétrant qui attendait d'être appelé.

Déjà instruit de certains des mystères de la secte, le néophyte qui a été coopté par l'un des titulaires subit de longs entretiens avec celui que l'on nomme le Porteur de Voix, qui préside les séances. Cela se fait dans la pénombre d'une cave où le candidat a été conduit les yeux bandés. Il est soumis à un minutieux interrogatoire qui sera ensuite corroboré par des enquêtes secrètes que mèneront les Sœurs et Frères. Toute sa vie, tout son passé seront analysés, fouillés, disséqués...

De lui tout sera su, et il ignorera que son téléphone est placé sur écoutes, que son courrier est lu, que la moindre de ses arrière-pensées est traquée.

Puis, l'heure venue, il – ou elle – prêtera le serment en présence de ceux qui deviendront ses Frères et Sœurs : « Je m'engage à servir la cause de la respectable Loge Muette, à taire ce qui sera prononcé par sa voix, à en respecter les us et coutumes imposés par nos aînés, à me placer au Centre de la Vérité et à en défendre l'entrée à quiconque n'appartient pas à sa confrérie. Je jure de garder secrètes les délibérations de chacune de ses séances, sachant que ma vie propre ne compte pas, que je me soumets à la loi générale pour n'être que l'un des instruments de sa pérennité, que j'accepte d'être rejeté hors du Centre si je venais à défaillir, à mentir à mes Sœurs et Frères ou à trahir la Cause. Il en a été ainsi, il en est ainsi et en sera toujours ainsi ! »

Ce soir, donc, les Sœurs et Frères de la Loge Muette sont neuf et le Porteur de Voix ouvre la séance en claquant du plat de la main droite sur la table et en demandant :

– Qu'en est-il ?

Le chœur des huit autres répond aussitôt :

– Il en a été ainsi, il en est ainsi et en sera toujours ainsi !

Ils sont neuf, assis dans l'ombre du temple humide, alors que l'un des leurs a eu récemment les lèvres cousues d'un fil d'or.

Aussi le Porteur de Voix reprend-il la parole pour expliquer :