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Ces petits jouvençaux qui jouent les gangsters me font gondoler. Les J3 pervers ! Ils méritent une chouette trouille et je m’en vais la leur flanquer !

La petite môme s’avance dans le hall ; intimidée, semble-t-il. Elle a presque aussi peur que Mme Bisemont. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession, à cette gosse ! Si c’est pas malheureux de se lancer dans l’arnaque lorsqu’on est fabriqué comme la Vénus de Milo et qu’on a des bras, par-dessus le marché, avec la manière de s’en servir… Moi, ça me colle des vapeurs dans le vase d’expansion !

Elle aperçoit l’enveloppe. Elle a un frémissement de cupidité et s’approche. Je la laisse s’en emparer afin qu’elle ne puisse pas nier ensuite les mobiles de sa visite illégale. Elle la prend, la serre contre elle, s’apprête à gagner la sortie.

— Doucement, mignonne ! fais-je en ouvrant la lourde.

Elle émet un petit cri d’orfèvre. Mais elle a dû avoir un horloger dans ses antécédents car elle ne manque pas de ressort.

La voilà qui me considère de son regard intense, ardent, lumineux…

— Que voulez-vous ? demande-t-elle…

— Vous dire deux mots, ma beauté !

— Que faites-vous ici ?

J’ai déjà vu bien des filles culottées (j’en ai vu des déculottées aussi, d’ailleurs) mais à ce point, j’avoue que j’en suis sur ma rampe de lancement.

— Et vous-même, ma jolie ?

Elle fronce les sourcils.

— Cessez vos familiarités, je vous prie, dit-elle, sévère… De quel droit m’appelez-vous ma beauté, ma jolie ! Nous n’avons jamais gardé les vaches ensemble !

Alors là, la moutarde me grimpe au naze, et je puis vous assurer (comme on dit à L’Urbaine et la Seine) que c’est de l’extra-forte !

— Ça ne saurait tarder, affirmé-je. Et les vaches que nous garderons sont très turbulentes, je vous préviens !

Je m’approche. Elle glisse l’enveloppe sous son bras.

— Vous êtes prise sur le fait, Josée !

Elle tique tout de même en constatant que je connais son pré-blaze. Mais elle se reprend. Elle a le cran, la témérité des jeunes délinquantes… Plus tard, lorsqu’elle sera marida et qu’une demi-douzaine de lardons se moucheront dans ses jupes, elle ne reconnaîtra sans doute plus ses souvenirs. Elle ne croira plus qu’elle a été ce petit chat sauvage, prêt à nier l’évidence, prêt à insulter la vérité !

— Je suis ici chez ma tante, Mme Bisemont ! et vous, qui êtes-vous ?

— Un flic, ça ne se voit donc pas ?

— Vous avez un mandat vous autorisant à perquisitionner ?

— Non, mais j’ai deux mains que vous allez prendre sur la figure, mon chou, avant longtemps, parole de poulet !

Je marche sur elle. Elle fait un saut en arrière pour m’échapper. Dans ce mouvement désordonné, elle bouscule l’armure qui bascule sur le carrelage avec un bruit de lessiveuse dégringolant un escalier. Le bruit la fait sursauter. Elle s’immobilise. J’en profite pour lui arracher l’enveloppe.

— Vous croyez tenir le magot, Josée ! Eh bien vous l’avez in the baba (les pensées délicates, je les exprime toujours en anglais afin de pouvoir être compris sans difficulté par Sa Gracieuse Majesté).

J’éventre l’enveloppe et en retire le journal.

— Inscrivez « pas de chance » et dites à votre petit copain Hervé que pour avoir du pèze, le meilleur moyen c’est de se graisser les articulations à l’huile de coude et de travailler !

Elle est abasourdie. Adieu veau, vache, cochon, couvée. Perrette ! Les beaux projets s’en vont, au fil de l’eau, comme chiens crevés !

— Cette petite histoire va vous coûter chérot, mon enfant ! Chantage, le tarif est élevé !

Je m’attends à ce qu’elle regimbe, nie, me vampe, ou se sauve… Je m’attends à tout et à n’importe quoi, sauf, évidemment, à sa réaction : voilà la vendeuse de romances qui pousse un hurlement à côté duquel un meeting d’avions à réaction aurait l’air d’un soupir de jeune fille violée.

Après son récital de sirène, elle s’écroule, en proie à une terrifiante crise de nerfs… Je m’agenouille au bord d’elle pour la ranimer. C’est une opération pour laquelle j’ai des dispositions naturelles. Son corsage est une porte qu’on est tenté d’ouvrir à deux battants, manière de lui permettre de respirer convenablement. Les portes d’un jardin ! J’en cultive les fleurs les plus rares.

Elle rouvre ses yeux d’archange maudit.

— Au secours ! au secours ! crie-t-elle.

— Allons, allons, pas de manières comme ça. Si vous me faites de la musique, je vous préviens, chère disqueuse, que c’est superfétatoire, car je connais à fond ce genre de partition !

Mais son regard est fixe. Il se révulse à nouveau. Je suis la direction qu’il semble indiquer… Alors le gars San-Antonio sent un frisson glacé démarrer de la plante de ses nougats jusqu’au sommet de sa girouette, avec escale à l’antenne. Il a ses ratiches qui se soudent, son estom’ qui lui grimpe dans le gosier, son sang qui opte pour l’état solide, son bulbe qui fonctionne en roue libre, ses lampions qui jouent à la Loterie nationale, ses rotules qui font bravo ; son intestin grêle qui passe au variable, son foie qui se cirrhose, sa rate qui se sclérose ; ses poils de bras qui s’apothéosent ; son battant qui se métamorphose ; et son compteur Geiger qui détecte un gisement de pétrole dans les abords immédiats.

Bref, je me révulse, me convulse, m’abîme, me liquéfie, me dissous (si vous insistez, je me vingtsous), m’anéantis, me pétrifie, me solidifie, me détériore, me flétris, me sape, me détraque, me patraque, m’avertis, m’invertis (un homme inverti en vaut deux), m’oublie, etc. J’en passe, des pires d’ailleurs, ce qui est tout bénéfice pour vous !

Tout cela pour vous apprendre ceci, bande de démantelés, c’est que l’armure que la môme Josée a renversée en se débattant n’est pas creuse, comme le sont les armures de nos jours.

Elle comporte un locataire. Le haume s’est ouvert en tombant et j’aperçois par l’ouverture ce que la gosse a aperçu avant moi, c’est-à-dire le visage révulsé d’un jeune homme défunt qui, si mon instinct n’est pas branché sur une ligne de caramel mou, doit être ce brave Hervé Suquet, étudiant en sexualité sénile à la faculté de coïts de Montroux (canton de Bâle).

CHAPITRE VII

Dans lequel je constate que la réalité dépasse la fiction !

Du coup, je révise une foule de jugements que je pensais solides et qui n’ont pas plus de consistance maintenant que le rêve érotique d’un eunuque couché aux côtés de Pauline Carton.

La môme Josée est toujours en digue-digue. Ça se conçoit d’ailleurs. Il n’est jamais agréable de découvrir un cadavre ; mais lorsque le cadavre est celui de votre amant, lorsque, par surcroît, il occupe une armure damasquinée, avec articulations montées sur roulements à billes, traction avant, toit ouvrant et braguette soudée à l’autogène, alors là, comme disent les médiums : on croit rêver !

Je me penche sur l’armure. Certaines pièces se sont détachées, et le mort apparaît par bribes… Je le débarrasse de sa surprenante carapace afin de l’examiner dans son ensemble.

Point n’est besoin d’avoir passé sa vie dans un hôpital en qualité de visseur de couvercles de cercueils pour comprendre que l’aimable jeune homme est décédé depuis une bonne douzaine d’heures… Il est un peu raide sur les bords, le chéri à sa mémère Bisemont ! Il a été étranglé au moyen d’une corde qu’on lui a d’ailleurs laissée autour du cou, comme une ultime cravate, sans doute pour qu’il soit plus convenable lorsqu’il carillonnera à la lourde de saint Pierre.