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— Pas encore… Je le lui apprendrai moi-même dans un instant ! Je vous demande de ne pas l’avertir avant !

— Comme vous voudrez, mais ménagez-là !

— C’est juré !

Il se lève. Depuis un moment des petits voyants de couleur s’allument sur le vaste cadran de son poste téléphonique. Il a hâte que je les mette. Business is business ! Ce cher cornard doit avoir des tonnes de coton à acheter et des wagons de sucre à vendre… Je ne peux rien pour lui, en fait de coton je n’en ai même pas (comme c’est le cas de Pinuche) dans les éventails à moustique et en fait de sucre, aux toutes dernières analyses, on n’a pas trouvé trace de diabète dans les urines lumineuses de votre cher petit San-Antonio !

En sortant, je refile mon sourire chlorophyllé à la demoiselle des renseignements. Je m’approche d’elle lorsque Bisemont a réintégré son burlingue.

— Dites-moi, mignonne, puisque vous êtes préposée aux renseignements, je vais vous en demander un.

— À votre service, gazouille-t-elle.

— Qu’est-ce que vous faites ce soir ?

— Le dîner de mon mari, dit-elle en brandissant son annulaire comme s’il s’agissait de la châsse contenant les reliques de la bienheureuse Broutemiche qui défendit contre les Conoques venus d’Asie : Mantes-la-Jolie, Perte-la-Blanche, et Varennes-la-Saint-Hilaire !

Vous remarquerez la puérile fierté qu’éprouvent les femmes à avoir un anneau au doigt ! Il semblerait que l’état d’épousée leur conférât une suprématie alors qu’il n’est fait que de servitudes. Ces dames épousent des ivrognes, des brutes, des cocus et elles en sont fières parce que le quidam en question leur a filé son blaze. Elles veulent bien torcher des gosses, repriser des chaussettes, ramasser des trempes, à condition de s’appeler Mme Durand !

Je n’insiste donc pas.

— Si un jour vous trouvez votre vie trop lourde, mon cœur, venez chez moi, j’ai une paire de balances : on la pèsera pour vérifier la surcharge !

* * *

Lorsque le larbin m’annonce à la mère Bisemont, cette digne personne a le moral qui fait « tilt ». On m’introduit jusqu’à elle et je la découvre, ravagée, sur un canapé crapaud, qui lui va à ravir. On dirait un tas d’or dans un écrin. Elle a l’œil plus pesant qu’un sac de pommes de terre et ses lèvres ont un petit air de gargouilles.

— Pourquoi êtes-vous venu ! soupire-t-elle.

Elle est affolée par ma visite. Tout chavire, tout chancelle autour d’elle. La pauvre piocheuse de slips se croit perdue dans les sables mouvants. Elle se dit que je vais faire éclater la vérité à bout portant et que ça va saigner pour son standing.

Je lui décoche un petit sourire cordial et je m’assieds en face d’elle avant qu’elle m’ait invité à le faire, car je vais au-devant des désirs de mon prochain, parfois.

Je lui bonnis toute l’histoire, telle que je viens de la raconter au mari. Au fur et à mesure, une expression d’horreur intégrale se répand sur sa frime. Le coup de l’armure la fait grelotter. Son râtelier se décroche et s’avance dangereusement hors de sa bouche. Elle le rattrape de justesse à la dernière seconde.

— Je vis un cauchemar, fait-elle.

Pour la calmer, je la rappelle aux réalités, et pour la rappeler aux réalités, il me suffit de lui poser une minuscule question :

— Qu’avez-vous fait, madame Bisemont, cette nuit, entre onze heures du soir et une heure du matin ? Excusez-moi, mais je suis obligé de vous poser une telle question. Votre mari, que je quitte, y a répondu d’une façon satisfaisante.

Pour une fois les voilà logés à la même enseigne tous les deux.

— Comment, ce que j’ai fait… Je n’ai rien fait de particulier, pourquoi me demandez-vous…

Elle bée. Puis son regard devient fixe. Son souffle se précipite.

— Que cherchez-vous à insinuer ?

— Je n’insinue rien, je vous pose une question précise à laquelle je vous demande de faire une réponse également précise.

— Je suis allée au cinéma pour essayer de me changer les idées.

— À quel cinéma ?

— Le Normandie…

— À la dernière séance ?

— Oui.

— Vous êtes rentrée aussitôt après ?

— Oui. Et je suis revenue chez moi à pied car j’avais le feu à la tête.

Comme quoi les foyers peuvent se déplacer, les gars ! Ils décrivent même une marche ascensionnelle, vous le voyez !

— Si bien que vous êtes arrivée chez vous ?

— Vers une heure, je suppose !

Elle sort un mouchoir de soie de son corsage généreux dans lequel elle aurait aussi bien pu loger une famille de quakers.

— Alors le petit misérable me faisait chanter ! Seigneur ! Eh bien, il n’a eu que ce qu’il méritait.

Sa colère est ignoble ! Elle se fout qu’on ait tué Suquet maintenant qu’elle a la preuve de sa vilenie. Je ne puis m’empêcher de songer — en tout bien tout honneur — que l’assassin aurait pu s’offrir la mère Bisemont du temps qu’il y était, sans que rien manque au monde, immense et radieux !

Sa colère lui enflamme les bajoues, allumant, du coup, des reflets de soleil couchant sur ses bijoux.

— Le misérable ! il me trompait ! Oh ! le voyou ! Il abusait de moi !

Alors là, je trouve que Mme Rendsmoifolle envoie le bouchon un peu loin. Je veux bien qu’elle ait du tempérament, et même un brasero à la place du fignedé, mais tout de même elle charrie !

— Vous ne pensiez pas que ce gamin ne s’envoyait que des grand-mères ! fais-je brutalement, ne pouvant me contenir davantage.

Troïka sur la piste blanche ! Si vous entendiez tintinnabuler sa quincaillerie ! Elle se dresse, comme font ces dames de la Comédie-Française quand elles déclament du Corneille de la bonne année.

— Sortez, monsieur !

Je me trisse sans rien ajouter.

Ajouter quoi, d’ailleurs !

En passant le seuil du salon, je perçois un gémissement, puis un choc mou. Je me retourne. La mère Bisemont vient d’aller aux pâquerettes en port payé. Elle gît au travers du sofa, les jupes retroussées sur ses jambons…

J’interpelle le larbin.

— Dites, mon vieux, si vous avez des sels, allez en saupoudrer les salades de votre patronne !

Et sur cette bonne saillie (Mme Bisemont est une personne qui provoque la saillie) je me prends par la pogne et je m’emmène balader.

CHAPITRE X

Dans lequel je fais la connaissance d’une charmante personne ; et dans lequel la charmante personne m’apprend à la mieux connaître !

L’annuaire du cinéma m’indique l’adresse d’Anne Dotriche. Il me propose en outre sa photographie et je constate que la personne en question est une pin-up blonde, au regard langoureux, qu’il doit faire bon avoir dans son lit lorsqu’on est enrhumé.

J’apprends, toujours grâce à cet annuaire édifiant, qu’elle a tourné dans plusieurs grands films, dont La Quenouille en bâton ; N’égratigne pas mon cœur ; Une môme formide et Brioche fromage et constipation, grand prix de l’Esquimau Gervais à la biennale de Fouilly-dans-le-Tiroir. En outre elle a joué des pièces à succès telles Tu m’veux tu m’as (en indien yma sumac) et Y a de l’essence dans la lampe à souder, drame en trois actes et un point de soudure.

Lorsque je carillonne au beffroi du meublé qu’elle habite, son Pathé de campagne Marconi distille une musique qui vous oblige à planquer les pots de crème si on craint de les voir se transformer en beurre.

La môme vient m’ouvrir. Je la reconnais illico. Une belle pièce de collection à la mise très sobre. Elle porte un pantalon collant en imitation peau de panthère véritable. Des mules en lamé avec boutons de verre sur la tête de mule. Un corsage tango, décolleté jusqu’au pubis de Chavannes, et, dans sa merveilleuse chevelure d’or, un foulard d’Hermès représentant une arête de hareng sur une assiette.