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— Vous désirez ?

— Quelques minutes d’entretien…

Elle se dit que je suis un admirateur et me fait pénétrer dans un studio nucléaire qui doit coûter une fortune à Bisemont.

— C’est pourquoi ? minaude-t-elle. Vous voulez un autographe ?

— Oui, là-dessus.

Je lui présente ma carte de poulet. Elle fronce les coups de crayons qui lui tiennent lieu de sourcils.

— Vous êtes flic ?

— Jusqu’au bout des ongles.

— Mais je…

Je la scrute. Elle joue peut-être admirablement les bonniches ahuries sur une scène, mais dans la vie, elle feint très mal la stupeur. Je suis prêt à vous parier une dent de sagesse contre la sagesse des nations que le père Bisemont l’a déjà avertie tubophoniquement de la probabilité de ma visite.

— Je viens par acquit de conscience vous poser une petite question, mademoiselle Dotriche.

— À votre service…

Elle est agréablement surprise de trouver un policier aussi beau gosse (si vous trouvez que je me fais trop mousser le pied de veau, dites-le-moi franchement, j’irai me faire dorer la pilule ailleurs). Elle me coule des regards qui sont de plus en plus vaselinés.

— M. Bisemont, que vous devez connaître, prétend avoir passé plusieurs heures en votre compagnie après que vous êtes sortie du théâtre hier soir, est-ce exact ?

J’ai droit à un sourire revu et corrigé par Louise Mariano.

— C’est exact, monsieur le commissaire.

Voici la preuve que l’homme d’affaires a prévenu la môme de ma visite. Car je n’ai montré à celle-ci que ma carte de police où mon grade n’est pas mentionné.

— Donc, en sortant des Variétés, vous êtes venus ici ?

— Oui.

Je soupire.

— M. Bisemont a beaucoup de chance…

— Flatteur !

— Je pense ce que je dis. Je vous ai vue dans Assieds-toi sur le brise-jet. Vous étiez fantastique.

— Oh ! je n’avais qu’un rôle insignifiant.

— Mais vous lui avez donné votre âme, chère Anne Dotriche, il ne pouvait donc plus l’être.

Alors là, c’est la trémousse style « je me suis installée sur une fourmilière ». Elle ne se sent plus.

— Je ne savais pas qu’il existait des policiers aussi courtois ! murmure-t-elle avec une voix qui lui vient de l’œsophage…

Elle se dresse, l’œil en point-virgule.

— Vous prenez un drink ?

— Volontiers…

Elle nous sert deux scotches carabinés. Et du bon. Ce n’est sûrement pas avec ce qu’elle gagne sur les planches qu’elle peut s’offrir du breuvage de first quality.

Avec ses cachets, elle peut toujours s’acheter de l’aspirine pour ses migraines. Et peut-être les bas Nylon que les plaisantins font sauter lorsqu’ils ont un ongle qui accroche !

Nous avalons nos scotches…

— Je suis bien aise de terminer ma journée par vous, dis-je, ça me permet de m’attarder…

J’ajoute, plein d’une fausse inquiétude :

— Vous devez peut-être vous préparer ?

— Du tout, ce soir il y a relâche, et Bisemont ne vient pas, à cause de…

Elle se mord les lèvres. Cette fois pas de doute, il l’a prévenue… Je joue la bonne bouille qui se laisse écraser sans relever le numéro de la bagnole.

— Vous allez peut-être trouver que je vais mal pour un flic, mais si vous êtes libre, on pourrait peut-être unir nos deux solitudes et casser une graine ensemble, qu’en dites-vous ?

— On peut dire que vous êtes un policier à la bonne franquette.

— On peut même ajouter qu’en dehors de mes heures de pointe, je ne suis pas policier pour un rond !

Bref, ça s’emmanche merveilleusement, si je puis me permettre cette image hardie. Une demi-heure plus tard, nous voilà installés chez Max, rue de l’Arcade, devant un homard à l’orange qui pourrait figurer sur la couverture d’un magazine gastronomique.

— Je te mets un coup de brut ? me demande Max.

— Et comment !

Maintenant, pour les ceuss qui ont un œuf en gelée à la place du cerveau, il est temps que je lève le voile de mes intentions. Mon secret désir n’est pas un désir secret, ainsi que vous seriez en droit de le penser ; mais j’aimerais bien faire pinter un peu miss Bonniche pour lui extraire les vers du pif. On ne me sortira pas de l’idée qu’avec des démonte-pneus et une charge de plastic que j’ai des choses intéressantes à apprendre sur Bisemont. De toute évidence, il a chapitré Anne Dotriche et si je sais manœuvrer, avant la fin de la soirée, l’aimable récolteuse de bravos m’aura vidé son sac. Voilà pourquoi je me montre aussi peu poulet que possible avec cette cocotte !

On écluse une première rouille avec le homard, une seconde avec la selle d’agneau aux aromates et on démarre une troisième avec le soufflé monseigneur.

Anne a une descente sur les pentes de laquelle on pourra organiser le slalom géant l’hiver prochain. Ça fait plaisir de sortir une péteuse qui consomme ce qu’on lui sert. Mesdames, souvenez-vous que les hommes ont un faible pour les femmes qui mangent !

Ils ont horreur des chichiteuses, des grignoteuses de biscottes, des mômes qui se contentent de foutre du rouge à lèvres sur les parois de leur verre, des abandonneuses de pilon de poulet, des égratigneuses de steak tartare, des lécheuses de gigot, des décapiteuses d’asperges, des fondeuses de sorbets, bref, des emmerdeuses maniérées…

Anne Dotriche mange bien, boit sec, que dis-je, boit brut (elle est bath celle-là, non ?), ce qui ne l’empêche pas toutefois de me casser les vestibules avec tous les potins du ciné. J’apprends que Jim Nastique est en ménage avec un agent cycliste ; que Dorothé Lipton va divorcer d’avec son quatorzième mari pour épouser le quinzième dans le seizième arrondissement et que l’actrice japonaise Fousy-o-Pô a chopé la jaunisse en visitant une usine de réglisse.

Après le dessert, nous nous éclipsons. La môme est à point. Elle se marre sans raison, tout bonnement parce qu’elle trouve la vie chouette à consommer, et je suis obligé de la soutenir par une manette pour la guider jusqu’à ma calèche.

Une fois de retour à son studio, elle me tend les bras.

— T’es le plus chic flic de la terre, assure-t-elle. Tu mérites que je t’embrasse.

Fort de cette distinction, je supprime la distance qui sépare nos bouches et je prends possession de mon lot. Ça ne vaut pas celui de la tranche spéciale de Noël, mais il est bon à ramasser. C’est du très bon ciné. Du ciné en relief, la fameuse invention des frères Tactils !

La petite Dotriche a du répondant. Elle sait faire face à ses engagements. J’ai peut-être rencontré (et croisé) des tortilleuses de croupion plus averties, mais aussi consciencieuses qu’elle, jamais ! Cette gosse c’est la réception de la reine d’Angleterre à elle toute seule : feu d’artifice compris !

Il a raison, Bisemont, de lui voter des crédits ; elle les mérite. En tout cas, les intérêts sont payés recta. Je me fais rembourser trois coupons et je téléphone à la caserne Champerret pour demander l’assistance de ces messieurs casqués de cuivre. Et puis, j’aime faire les choses sur une grande échelle.

Je n’ai pas l’habitude d’entrer dans des détails scabreux ; ou s’il m’arrive d’y entrer, j’en ressors toujours la tête haute ; mais je peux vous confier que je vis dans le studio de la belle Anne des instants de qualité.

Lorsque je lui ai fait la démonstration de mon appareil à débloquer les tiroirs de commode, elle me dit qu’elle l’adopte et m’en commande trois caisses avec robinets. Brèfle, l’entente la plus cordiale s’établit entre nous, bien qu’il n’y ait pas lerche de place, je vous le garantis par contrat renouvelable par tacite reconduction.