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— Je paniquais, Marcus ! Cet été-là, j’avais tellement de mal à écrire. Je pensais que je n’y arriverais jamais. J’écrivais ce livre, Les Mouettes d’Aurora, mais je trouvais que c’était très mauvais. Nola disait qu’elle l’adorait, mais rien ne pouvait me calmer. J’entrais dans des crises de rage folle. Elle me tapait mes pages manuscrites à la machine, moi je relisais, et je déchirais tout. Elle me suppliait de cesser, elle me disait : « Ne faites pas ça, vous êtes si brillant. De grâce, finissez-le. Harry chéri, je ne pourrais pas supporter que vous ne le finissiez pas ! » Mais je n’y croyais pas. Je pensais que je ne deviendrais jamais écrivain. Et puis un jour, Luther Caleb est venu sonner à ma porte. Il m’a dit qu’il ne savait pas à qui s’adresser, alors il était venu me trouver moi : il avait écrit un livre et il se demandait si cela valait la peine de le montrer à des éditeurs. Vous comprenez, Marcus, il pensait que j’étais un grand écrivain new-yorkais et que je pourrais l’aider.

*

20 août 1975

— Luther ?

En ouvrant la porte d’entrée de la maison, Harry ne masqua pas son étonnement.

— Bon… Bonvour, Harry.

Il y eut un silence gênant.

— Puis-je faire quelque chose pour vous, Luther ?

— Ve viens vous voir à titre personnel. Pour un confeil.

— Un conseil ? Je vous écoute. Voulez-vous entrer ?

— Mer fi.

Les deux hommes s’installèrent dans le salon. Luther était nerveux. Il avait apporté avec lui une épaisse enveloppe qu’il gardait serrée contre lui.

— Alors, Luther ? Qu’y a-t-il ?

— Ve… V’ai écrit un livre. Un livre d’amour.

— Vraiment ?

— Oui. Et ve ne fais pas fi f’est bon. Ve veux dire, comment fait-on qu’un livre vaut la peine d’être publié ?

— Je ne sais pas. Si vous pensez que vous avez fait de votre mieux… Avez-vous ce texte avec vous ?

— Oui mais f’est un exemplaire manuscrit, s’excusa Luther. Ve viens de m’en rendre compte. V’en ai une version dactylographiée, mais ve me suis trompé d’enveloppe en partant de chez moi. Voulez-vous que v’aille la ferfer et que ve repaffe plus tard ?

— Non, montrez-moi toujours.

— F’est que…

— Allons, ne soyez pas timide. Je suis certain que vous écrivez lisiblement.

Il lui tendit l’enveloppe. Harry en sortit les pages et en parcourut quelques-unes, sidéré par la perfection de l’écriture.

— C’est votre écriture ?

— Oui.

— Nom d’un chien, on dirait que… C’est… c’est une écriture incroyable. Comment faites-vous ?

— Ve l’ignore. F’est mon écriture.

— Si vous êtes d’accord, laissez-le moi. Le temps de le lire. Je vous dirai honnêtement ce que j’en pense.

— Vraiment ?

— Bien sûr.

Luther accepta volontiers et il repartit. Mais au lieu de quitter Goose Cove, il se cacha dans les taillis et il attendit Nola, comme il faisait toujours. Elle arriva peu après, heureuse de savoir leur départ proche. Elle ne remarqua pas la silhouette tapie dans les fourrés qui l’observait. Elle entra dans la maison par la porte principale, sans sonner, comme elle faisait désormais tous les jours.

— Harry chéri ! appela-t-elle pour s’annoncer.

Il n’y eut aucune réponse. La maison semblait déserte. Elle appela encore. Silence. Elle traversa la salle à manger et le salon, sans le trouver. Il n’était pas dans son bureau. Ni sur la terrasse. Elle descendit alors les escaliers jusqu’à la plage et cria son nom. Peut-être était-il allé se baigner ? Il faisait ça lorsqu’il avait trop travaillé. Mais il n’y avait personne non plus sur la plage. Elle sentit la panique l’envahir : où pouvait-il bien être ? Elle retourna dans la maison, appela encore. Personne. Elle passa en revue toutes les pièces du rez-de-chaussée puis monta à l’étage. Ouvrant la porte de la chambre, elle le trouva assis sur son lit, en train de lire un paquet de feuilles.

— Harry ? Vous étiez là ? Ça va faire dix minutes que je vous cherche partout…

Il sursauta en l’entendant.

— Pardon, Nola, je lisais… Je ne t’ai pas entendue.

Il se leva, rempila les pages qu’il tenait dans ses mains et les glissa dans un tiroir de sa commode.

Elle eut un sourire :

— Et que lisiez-vous de si passionnant que vous ne m’ayez même pas entendue hurler votre nom à travers la maison ?

— Rien d’important.

— C’est la suite de votre roman ? Montrez-moi !

— Rien d’important, je te montrerai à l’occasion.

Elle le regarda d’un air mutin :

— Vous êtes sûr que ça va, Harry ?

Il rit.

— Tout va bien, Nola.

Ils sortirent sur la plage. Elle voulait voir les mouettes. Elle ouvrit grands les bras, comme si elle avait des ailes, et courut en décrivant de grands cercles.

— J’aimerais pouvoir voler, Harry ! Plus que dix jours ! Dans dix jours nous nous envolerons ! Nous partirons de cette ville de malheur pour toujours !

Ils se croyaient seuls sur la plage. Ni Harry, ni Nola ne se doutaient que Luther Caleb les observait, depuis la forêt, au-dessus des rochers. Il attendit qu’ils retournent dans la maison pour sortir de sa cachette : il longea le chemin de Goose Cove en courant et regagna sa Mustang, sur le chemin forestier parallèle. Il se rendit à Aurora et gara sa voiture devant le Clark’s. Il se précipita à l’intérieur : il devait absolument parler à Jenny. Il fallait que quelqu’un sache. Il avait un mauvais pressentiment. Mais Jenny n’avait aucune envie de le voir.

— Luther ? Tu ne devrais pas être ici, lui dit-elle lorsqu’il se présenta devant le comptoir.

— Venny… Ve fuis dévolé pour l’autre matin. Ve n’aurais pas dû t’attraper le bras comme ve l’ai fait.

— J’ai eu un bleu après ça…

— Ve fuis dévolé.

— Il faut que tu partes maintenant.

— Non, attends…

— J’ai porté plainte contre toi, Luther. Travis dis que si tu reviens en ville, je dois l’appeler et que tu auras affaire à lui. Tu ferais bien de partir avant qu’il ne te voie ici.

Le géant eut un air dépité.

— Tu as porté plainte contre moi ?

— Oui. Tu m’as fait si peur l’autre matin…

— Mais ve dois te parler de quelque fove d’important.

— Rien n’est important, Luther. Va-t’en…

— F’est à propos de Harry Quebert…

— Harry ?

— Oui, dis-moi fe que tu penfes de Harry Quebert…

— Pourquoi me parles-tu de lui ?

— As-tu confianfe en lui ?

— Confiance ? Oui, bien sûr. Pourquoi me poses-tu cette question ?

— Il faut que ve te dive quelque fove…

— Me dire quelque chose ? Quoi donc ?