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Au moment où Luther s’apprêtait à répondre, une voiture de police apparut sur la place qui faisait face au Clark’s.

— C’est Travis ! s’écria Jenny. File, Luther, file ! Je ne veux pas que tu aies des ennuis.

*

— C’est bien simple, me dit Harry, c’était le plus beau livre que j’avais jamais lu. Et je ne savais même pas que c’était pour Nola ! Son nom n’apparaissait pas. C’était une histoire d’amour extraordinaire. Je n’ai plus jamais revu Caleb ensuite. Je n’ai plus eu l’occasion de lui rendre son texte. Car survinrent les événements que vous savez. Quatre semaines après, j’apprenais que Luther Caleb s’était tué sur la route. Et je détenais le manuscrit original de ce que je savais être un chef-d’œuvre. Alors j’ai décidé de le reprendre à mon compte. Voilà comment j’ai basé ma carrière et ma vie sur un mensonge. Comment pouvais-je imaginer le succès qu’allait connaître ce livre ? Ce succès m’a rongé toute ma vie ! Toute ma vie ! Et voilà que trente-trois ans plus tard, la police retrouve Nola et ce manuscrit dans mon jardin. Dans mon jardin ! Et à ce moment-là, j’ai eu tellement peur de tout perdre, que j’ai dit que j’avais écrit ce livre pour elle.

— Par peur de tout perdre ? Vous avez préféré être accusé de meurtre plutôt que de révéler la vérité sur ce manuscrit ?

— Oui ! Oui ! Parce que toute ma vie est un mensonge, Marcus !

— Donc Nola ne vous a jamais volé cette copie. Vous avez dit ça pour vous assurer que personne ne mettrait en doute que vous en étiez l’auteur.

— Oui. Mais alors, d’où sort l’exemplaire qu’elle avait avec elle ?

— Luther le lui avait déposé dans sa boîte aux lettres, dis-je.

— Dans sa boîte aux lettres ?

— Luther savait que vous alliez vous enfuir avec Nola, il vous avait entendus en parler sur la plage. Il savait que Nola allait partir sans lui, et c’est ainsi qu’il a terminé son histoire : avec le départ de l’héroïne. Il lui écrit une dernière lettre, une lettre où il lui souhaite une belle vie. Et cette lettre est dans le manuscrit qu’il va vous apporter ensuite. Luther savait tout. Mais voilà que le jour du départ, probablement dans la nuit du 29 au 30 août, il éprouve le besoin de boucler la boucle : il veut achever son histoire avec Nola comme s’achève son manuscrit. Alors il dépose une dernière lettre dans la boîte aux lettres des Kellergan. Ou plutôt un dernier paquet. La lettre d’adieu et le manuscrit de son livre, pour qu’elle sache combien il l’aime. Et comme il sait qu’il ne la verra plus jamais, il écrit sur la couverture : Adieu, Nola chérie. Il a certainement guetté jusqu’au matin, pour être sûr que ce soit bien Nola qui relève le courrier. Comme il faisait toujours. Mais en trouvant la lettre et le manuscrit, Nola a pensé que c’était vous qui lui aviez écrit. Elle a cru que vous ne viendriez pas. Elle a décompensé. Elle est devenue comme folle.

Harry s’effondra, il se tenait le cœur des deux mains.

— Racontez-moi, Marcus ! Racontez-moi, vous. Je veux que ce soient vos mots ! Vos mots sont toujours si bien choisis !

Racontez-moi ce qui s’est passé ce 30 août 1975.

*

30 août 1975

Un jour de la fin août, une fille de quinze ans a été assassinée à Aurora. Elle s’appelait Nola Kellergan. Toutes les descriptions que vous entendrez à son propos la décriront débordante de vie et de rêves.

Il serait difficile de limiter les causes de sa mort aux événements du 30 août 1975. Peut-être qu’au fond tout commence des années plus tôt. Dans le courant des années 1960, lorsque des parents ne voient pas la maladie qui s’installe dans leur enfant. Une nuit de 1967, peut-être, lorsqu’un jeune homme se fait défigurer par une bande de voyous éméchés, et que l’un d’eux, pétri de remords, s’efforce de se racheter une conscience en se rapprochant secrètement de sa victime. Cette nuit de l’année 1969, lorsqu’un père décide de taire le secret de sa fille. Ou peut-être que tout commence une après-midi de juin 1975, lorsque Harry Quebert rencontre Nola et qu’ils tombent amoureux.

C’est l’histoire de parents qui ne veulent pas voir la vérité à propos de leur enfant.

C’est l’histoire d’un riche héritier qui, dans ses années de jeunesse, un peu voyou, a détruit les rêves d’un jeune homme, et vit depuis hanté par son geste.

C’est l’histoire d’un homme qui rêve de devenir un grand écrivain, et qui se laisse lentement consumer par son ambition.

À l’aube du 30 août 1975, une voiture se gara devant le 245 Terrace Avenue. Luther Caleb venait dire adieu à Nola. Il était chamboulé. Il ne savait plus s’ils s’étaient aimés ou s’il avait rêvé ; il ne savait plus s’ils s’étaient vraiment écrit toutes ces lettres. Mais il savait que Nola et Harry avaient prévu de s’enfuir aujourd’hui. Lui aussi voulait quitter le New Hampshire et fuir loin, loin de Stern. Ses pensées se mélangeaient : l’homme qui lui avait redonné goût à l’existence était aussi celui qui la lui avait volée. C’était un cauchemar. La seule chose qui importait à présent, c’était de finir son histoire d’amour. Il devait donner à Nola la dernière lettre. Il l’avait écrite depuis presque trois semaines, depuis le jour où il avait entendu Harry et Nola dire qu’ils s’enfuiraient le 30 août. Il s’était empressé de terminer son livre, il en avait même soumis l’original à Harry Quebert : il voulait savoir si cela valait la peine de le faire éditer. Mais plus rien ne valait la peine à présent. Il avait même renoncé à récupérer son texte. Il en avait conservé une copie dactylographiée, il l’avait fait joliment relier, pour Nola. Ce samedi 30 août était le jour où il déposa dans la boîte aux lettres des Kellergan la dernière lettre qui devait clore leur histoire, ainsi que le manuscrit, pour que Nola se souvienne de lui. Quel titre devait-il donner à ce livre ? Il n’en savait rien. Il n’y aurait jamais de livre, pourquoi lui donner un titre ? Il s’était contenté d’en dédicacer la couverture, pour lui souhaiter bon voyage : Adieu, Nola chérie.

Garé dans la rue, il attendait que le jour se lève. Il attendait qu’elle sorte. Il voulait juste s’assurer que ce soit bien elle qui trouve le livre. Depuis qu’ils s’écrivaient, c’était toujours elle qui venait chercher le courrier. Il attendit ; il se dissimula du mieux qu’il put : personne ne devait le voir, surtout pas cette brute de Travis Dawn, sinon il lui ferait sa fête. Il avait reçu assez de coups pour toute sa vie.

À onze heures, elle sortit enfin de chez elle. Elle regarda aux alentours, comme à chaque fois. Elle était rayonnante. Elle portait une robe rouge, ravissante. Elle se précipita vers la boîte aux lettres, sourit en voyant l’enveloppe et le paquet. Elle se dépêcha de lire la lettre et, soudain, vacilla. Elle s’enfuit alors dans la maison, en pleurs. Ils ne partiraient pas ensemble, Harry ne l’attendrait pas au motel. Sa dernière lettre était une lettre d’adieu.

Elle se réfugia dans sa chambre et s’effondra sur son lit, emportée par le chagrin. Pourquoi ? Pourquoi la rejetait-il ? Pourquoi lui avoir fait croire qu’ils s’aimeraient pour toujours ? Elle feuilleta le manuscrit : qu’était-ce donc que ce livre dont il ne lui avait jamais parlé ? Ses larmes coulaient sur le papier et le tachaient. C’étaient leurs lettres, toutes leurs lettres étaient là, et la dernière qui venait clore le livre : il lui avait menti depuis toujours. Il n’avait jamais prévu de fuir avec elle. Elle avait mal à la tête, elle pleurait tellement. Elle voulait mourir tant elle avait mal.

La porte de sa chambre s’ouvrit doucement. Son père l’avait entendue pleurer.

— Que se passe-t-il, ma chérie ?