Выбрать главу

— Rien, Papa.

— Ne dis pas rien, je vois bien qu’il se passe quelque chose…

— Oh, Papa ! Je suis si triste ! Si triste !

Elle se jeta au cou du révérend.

— Lâche-la ! hurla soudain Louisa Kellergan. Elle ne mérite pas d’amour ! Lâche-la, David, veux-tu !

— Arrête, Nola… Ne recommence pas !

— Tais-toi, David ! Tu es un minable ! Tu as été incapable d’agir ! Maintenant je suis obligée de terminer le travail moi-même.

— Nola ! Au nom du ciel ! Calme-toi ! Calme-toi ! Je ne te laisserai plus te faire du mal.

— Laisse-nous, David ! explosa Louisa en repoussant son mari d’un geste vif.

Il recula jusque dans le couloir, impuissant.

— Viens ici, Nola ! hurlait la mère. Viens ici ! Tu vas voir ce que tu vas voir !

La porte se referma. Le révérend Kellergan était tétanisé. Il ne pouvait qu’entendre ce qui se passait à travers la cloison.

— Maman, pitié ! Arrête ! Arrête !

— Tiens, prends ça ! Voilà ce qu’on fait aux filles qui ont tué leur mère.

Et le révérend se précipita dans le garage et alluma son pick-up, montant le volume au maximum.

Toute la journée, la musique résonna dans la maison et aux alentours. Les passants jetaient un regard désapprobateur en direction des fenêtres. Certains se regardaient entre eux d’un air entendu : on savait ce qui se passait chez les Kellergan lorsqu’il y avait la musique.

Luther n’avait pas bougé. Toujours au volant de sa Chevrolet, dissimulé parmi les rangées de voitures garées le long des trottoirs, il ne quittait pas la maison des yeux. Pourquoi avait-elle pleuré ? N’avait-elle pas aimé sa lettre ? Et son livre ? Ne l’avait-elle pas aimé non plus ? Pourquoi des pleurs ? Il s’était donné tant de peine. Il lui avait écrit un livre d’amour, l’amour ne devait pas faire pleurer.

Il attendit ainsi jusqu’à dix-huit heures. Il ne savait plus s’il devait attendre qu’elle réapparaisse ou s’il devait aller sonner à la porte. Il voulait la voir, lui dire qu’il ne fallait pas pleurer. C’est alors qu’il la vit apparaître dans le jardin : elle était sortie par la fenêtre. Elle observa la rue pour s’assurer que personne ne la voyait, et elle s’engagea discrètement sur le trottoir. Elle portait un sac en cuir en bandoulière. Bientôt, elle se mit à courir. Luther démarra.

La Chevrolet noire s’arrêta à sa hauteur.

— Luther ? dit Nola.

— Ne pleure pas… Ve fuis vuste venu te dire de ne pas pleurer.

— Oh, Luther, il m’arrive quelque chose de si triste… Emmène-moi ! Emmène-moi !

— Où vas-tu ?

— Loin du monde.

Sans même attendre la réponse de Luther, elle s’engouffra sur le siège passager.

— Roule, mon brave Luther ! Je dois aller au Sea Side Motel. C’est impossible qu’il ne m’aime pas ! Nous nous aimons comme personne ne peut aimer !

Luther obéit. Ni lui ni Nola n’avaient remarqué la voiture de patrouille qui arrivait au carrefour. Travis Dawn venait de passer une énième fois devant chez les Quinn, attendant que Jenny soit seule pour lui offrir les roses sauvages qu’il lui avait cueillies. Incrédule, il regarda Nola monter dans cette voiture qu’il ne connaissait pas. Il avait reconnu Luther au volant. Il regarda la Chevrolet s’éloigner et attendit encore un peu avant de la suivre : il ne fallait pas la perdre de vue, mais surtout ne pas trop la coller. Il avait bien l’intention de comprendre ce qui poussait Luther à passer tant de temps à Aurora. Venait-il épier Jenny ? Pourquoi emmenait-il Nola ? Avait-il l’intention de commettre un crime ? Tout en roulant, il se saisit du micro de sa radio de bord : il voulait appeler du renfort, pour être certain de coincer Luther si l’arrestation tournait mal. Mais il se ravisa aussitôt : il ne voulait pas s’embarrasser d’un collègue. Il voulait régler les choses à sa façon : Aurora était une ville tranquille, et il comptait bien faire en sorte qu’elle le reste. Il allait donner une leçon à Luther, une leçon dont il se souviendrait toujours. Ce serait la dernière fois qu’il mettrait les pieds ici. Et il se demanda encore comment Jenny avait pu tomber amoureuse de ce monstre.

— C’est toi qui as écrit ces lettres ? s’insurgea Nola dans la voiture lorsqu’elle eut entendu les explications de Caleb.

— Oui…

Elle essuya ses larmes du revers de la main.

— Luther, tu es fou ! On ne vole pas le courrier des gens ! C’est mal ce que tu as fait !

Il baissa la tête, honteux.

— Ve fuis dévolé… Ve me fentais fi feul…

Elle posa une main amicale sur sa puissante épaule.

— Allons, ce n’est pas grave, Luther ! Parce que cela signifie que Harry m’attend ! Il m’attend ! Nous allons partir ensemble !

À cette seule pensée, elle s’illumina.

— Tu as de la fanfe, Nola. Vous vous aimez… Fa veut dire que vous ne ferez vamais feuls.

Ils roulaient sur la route 1 à présent. Ils passèrent devant le croisement avec le chemin de Goose Cove.

— Adieu, Goose Cove ! s’écria Nola, heureuse. Cette maison est le seul endroit ici dont je garde des souvenirs heureux.

Elle éclata de rire. Sans raison. Et Luther rit à son tour. Lui et Nola se quittaient mais ils se quittaient bien. Soudain, ils entendirent une sirène de police derrière eux. Ils arrivaient à proximité de la forêt, et c’était là que Travis avait décidé d’intercepter Caleb et de le corriger. Personne ne les verrait dans les bois.

— F’est Travis ! hurla Luther. F’il nous attrape, nous fommes finis.

La panique gagna immédiatement Nola.

— Pas la police ! Oh, Luther, je t’en supplie, fais quelque chose !

La Chevrolet accéléra. C’était un modèle puissant. Travis pesta et somma par le haut-parleur Luther de s’arrêter et de se ranger sur le bas-côté.

— Ne t’arrête pas ! le supplia Nola. Fonce ! Fonce !

Luther accéléra davantage. La Chevrolet distança un peu plus la voiture de Travis. Après Goose Cove, la route 1 suivait quelques courbes : Luther les prit très serrées et en profita pour gagner encore un peu d’avance. Il entendit la sirène s’éloigner.

— Il va appeler du renfort, dit Luther.

— S’il nous attrape, je ne partirai jamais avec Harry !

— Alors nous allons nous enfuir dans la forêt. La forêt est immenfe, perfonne ne nous y retrouvera. Tu pourras atteindre le Fea Fide Motel. Fi on me prend, Nola, ve ne dirai rien. Ve ne dirai pas que tu étais avec moi. Ainfi, tu pourras t’enfuir avec Harry.

— Oh, Luther…

— Promets-moi de garder mon livre ! Promets de le garder en souvenir de moi !

— Je promets !

À ces mots, Luther braqua subitement le volant et la voiture s’enfonça à travers les fourrés de la lisière de la forêt, avant de s’immobiliser derrière des épais buissons de ronces. Ils en descendirent précipitamment.

— Cours ! ordonna Luther à Nola. Cours !

Ils fendirent les taillis épineux. Sa robe se déchira et son visage se griffa.

Travis pesta. Il ne voyait plus la Chevrolet noire. Il accéléra encore, et ne remarqua pas la carrosserie noire dissimulée par les fourrés. Il continua tout droit sur la route 1.

Ils couraient à travers la forêt. Nola devant et Luther derrière, ayant plus de difficulté à se faufiler à travers les branches basses à cause de sa corpulence.

— Cours, Nola ! Ne t’arrête pas ! s’écria-t-il.

Sans s’en rendre compte, ils s’étaient rapprochés de la lisière de la forêt. Ils étaient aux abords de Side Creek Lane.