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— Mais… qu’est-ce que vous faites ? s’écria-t-il. Vous… Vous fouillez, Marcus ? Je vous invite chez moi et vous fouillez dans mes affaires ? Mais quel genre d’ami êtes-vous ?

Je bredouillai de mauvaises explications :

— Je suis tombé dessus, Harry. J’ai trouvé cette boîte par hasard. Je n’aurais pas dû l’ouvrir… Je suis désolé.

— Vous n’auriez effectivement pas dû ! De quel droit ! De quel droit, bon sang ?

Il m’arracha les photos des mains, ramassa les articles à la hâte et remit le tout pêle-mêle dans la boîte qu’il emporta avec lui jusque dans sa chambre où il s’enferma. Je ne l’avais jamais vu comme ça, je ne pouvais pas dire s’il s’agissait de panique ou de rage. À travers la porte, je me confondis en excuses, lui expliquant que je n’avais pas voulu le blesser, que j’étais tombé sur la boîte par hasard, mais rien n’y fit. Il ne sortit de sa chambre que deux heures plus tard et descendit directement au salon pour s’enfiler quelques whiskys. Lorsqu’il me sembla un peu calmé, je vins le trouver.

— Harry… Qui est cette fille ? demandai-je doucement.

Il baissa les yeux.

— Nola.

— Qui est Nola ?

— Ne demandez pas qui est Nola. S’il vous plaît.

— Harry, qui est Nola ? répétai-je.

Il hocha la tête :

— Je l’ai aimée, Marcus. Tellement aimée.

— Mais pourquoi ne m’en avez-vous jamais parlé ?

— C’est compliqué…

— Rien n’est compliqué pour les amis.

Il haussa les épaules.

— Puisque vous avez trouvé ces photos, autant que je vous le dise… En 1975, en arrivant à Aurora, je suis tombé amoureux de cette fille qui n’avait que quinze ans. Elle s’appelait Nola et elle a été la femme de ma vie.

Il y eut un bref silence au terme duquel je demandai, remué :

— Qu’est-il arrivé à Nola ?

— Sordide histoire, Marcus. Elle a disparu. Un soir de la fin août 1975, elle a disparu, après avoir été vue en sang par une habitante des environs. Si vous avez ouvert la boîte vous avez sûrement vu les articles. On ne l’a jamais retrouvée, personne ne sait ce qui lui est arrivé.

— Quelle horreur, soufflai-je.

Il hocha la tête longuement.

— Vous savez, dit-il, Nola avait changé ma vie. Et peu m’aurait importé de devenir le grand Harry Quebert, l’immense écrivain. Peu m’auraient importé ma gloire, l’argent et mon grand destin si j’avais pu garder Nola. Rien de ce que j’ai pu faire depuis elle n’a donné autant de sens à ma vie que l’été que j’ai passé avec elle.

Ce fut la première fois depuis que je le connaissais que je vis Harry pareillement ébranlé. Après m’avoir dévisagé un instant, il ajouta :

— Marcus, personne n’a jamais été au courant de cette histoire. Vous êtes désormais le seul à savoir. Et vous devez garder le secret.

— Bien sûr.

— Promettez-moi !

— Je vous le promets, Harry… ce sera notre secret.

— Si quelqu’un à Aurora apprend que j’ai vécu une histoire d’amour avec Nola Kellergan, ça pourrait causer ma perte…

— Vous pouvez avoir confiance en moi, Harry.

Ce fut tout ce que je sus de Nola Kellergan. Nous ne parlâmes plus d’elle, ni de la boîte, et je décidai d’enterrer à jamais cet épisode dans les abîmes de ma mémoire, loin de me douter que, par un concours de circonstances, le spectre de Nola allait resurgir dans nos vies quelques mois plus tard.

Je rentrai à New York à la fin du mois de mars, après six semaines à Aurora qui ne me permirent pas de donner naissance à mon prochain grand roman. J’étais à trois mois du délai imparti par Barnaski et je savais que je n’arriverais pas à sauver ma carrière. Je m’étais brûlé les ailes, j’étais officiellement sur le déclin, j’étais le plus malheureux et le plus improductif des écrivains phares new-yorkais. Les semaines défilèrent : je consacrai le plus clair de mon temps à préparer ardemment ma défaite. Je trouvai un nouvel emploi pour Denise, je pris contact avec des avocats qui pourraient m’être utiles au moment où Schmid & Hanson déciderait de me traîner en justice, et je fis la liste des objets auxquels je tenais le plus et qu’il me faudrait cacher chez mes parents avant que les huissiers ne viennent frapper à ma porte. Lorsque débuta le mois de juin, mois fatidique, mois de l’échafaud, je me mis à compter les jours jusqu’à ma mort artistique : trente petits jours encore, puis une convocation dans le bureau de Barnaski et ce serait l’exécution. Le compte à rebours avait commencé. Je ne me doutais pas qu’un événement dramatique allait changer la donne.

30.

Le Formidable

“Votre chapitre 2 est très important, Marcus. Il doit être incisif, percutant.

— Comme quoi, Harry ?

— Comme à la boxe. Vous êtes droitier, mais en position de garde c’est toujours votre poing gauche qui est en avant : le premier direct sonne votre adversaire, suivi d’un puissant enchaînement du droit qui l’assomme. C’est ce que devrait être votre chapitre 2 : une droite dans la mâchoire de vos lecteurs.”

Cela se produisit le jeudi 12 juin 2008. J’avais passé la matinée chez moi, à lire dans le salon. Dehors, il faisait chaud mais il pleuvait : il y avait trois jours que New York était arrosé par une bruine tiédasse. Aux environs de treize heures, je reçus un coup de téléphone. Je répondis, mais il me sembla d’abord qu’il n’y avait personne au bout du fil. Puis, je distinguai un sanglot étouffé.

— Allô ? Allô ? Qui est là ? demandai-je.

— Elle… elle est morte.

Sa voix était à peine audible, mais je le reconnus immédiatement.

— Harry ? Harry, c’est vous ?

— Elle est morte, Marcus.

— Morte ? Qui est morte ?

— Nola.

— Quoi ? Comment ça ?

— Elle est morte, et tout est ma faute. Marcus… Qu’ai-je fait ? Bon sang, qu’ai-je fait ?

Il pleurait.

— Harry, de quoi me parlez-vous ? Qu’essayez-vous de me dire ?

Il raccrocha. Je rappelai aussitôt chez lui, aucune réponse. Sur son portable ; sans succès. Je réessayai à de nombreuses reprises, laissant plusieurs messages sur son répondeur. Mais plus aucune nouvelle. J’étais très inquiet. J’ignorais à cet instant précis que Harry m’avait appelé depuis le quartier général de la police d’État, à Concord. Je ne compris rien à ce qui était en train de se passer jusqu’à ce que, vers seize heures, Douglas me téléphone.

— Marc, nom de Dieu, t’es au courant ? s’égosilla-t-il.

— Au courant de quoi ?

— Bon sang, va allumer ta télévision ! C’est à propos de Harry Quebert ! C’est Quebert !

— Quebert ? Quoi Quebert ?

— Allume ta télévision, bon sang !

Je me branchai immédiatement sur une chaîne d’information. À l’écran, je découvris, stupéfait, des images de la maison de Goose Cove et j’entendis le présentateur qui expliquait : C’est ici, dans sa maison d’Aurora, dans le New Hampshire, que l’écrivain Harry Quebert a été arrêté aujourd’hui après que la police a déterré des restes humains dans sa propriété. D’après les premiers éléments de l’enquête, il pourrait s’agir du corps de Nola Kellergan, une jeune fille de la région qui avait disparu de son domicile en août 1975 à l’âge de quinze ans, sans que l’on ait jamais su ce qu’il en était advenu… Soudain tout tourna autour de moi ; je me laissai tomber sur le canapé, complètement hébété. Je n’entendais plus rien : ni la télévision, ni Douglas, à l’autre bout du fil, qui beuglait des « Marcus ? T’es là ? Allô ? Il a tué une gamine ? Il a tué une gamine ? » Dans ma tête tout se mélangeait, comme dans un mauvais rêve.