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Francis Carsac

La vermine du lion

COLLECTION « ANTICIPATION » H. S.

EDITIONS FLEUVE NOIR

69, Boulevard Saint-Marcel – PARIS-XIe

PREMIERE PARTIE

ELDORADO

CHAPITRE PREMIER

PORT-METAL

— Nous sommes arrivés, miss Henderson.

— Inutile de me le dire. Je l’ai bien senti !

Le jeune lieutenant rentra son sourire aimable.

— Ma foi, miss, nous n’avons pu vous assurer le luxe auquel vous êtes sans doute habituée, mais le Sirius est un bon navire, et si un gravitron s’est déréglé au dernier moment, c’est un accident qui peut arriver…

— Même aux plus grands paquebots interstellaires ? Je le sais. Cela veut simplement dire que, même sur les meilleures lignes, il y a des mécaniciens incapables.

L’officier rougit, se figea.

— Bien, miss. Je vais faire enlever vos bagages.

Restée seule, Stella Henderson haussa les épaules. Quelle mouche l’avait piquée, de rabrouer ainsi ce pauvre Hopkins ? Il avait fait de son mieux pour lui rendre agréable cet interminable voyage de quarante jours, de Sean IV jusqu’à cette planète perdue de l’étoile de Van Paepe. Il n’eût tenu qu’à elle, d’ailleurs, que le voyage fût très agréable… pour lui.

Eldorado. G. C. 6143. Distance au Soleil 22 500 années-lumière. Troisième planète d’une étoile G. O. Densité, diamètre… elle ne s’en souvenait plus ; elle était un peu plus grosse que la Terre, avec une gravité de surface de 1,05 g, une atmosphère épaisse, un peu plus riche en oxygène. Reconnue en 2161 par l’expédition de Van Paepe. Indigènes humanoïdes, les plus humanoïdes connus. Stades primitifs de civilisation, atteignant par endroits celle des anciens Assyriens, mais ne dépassant généralement pas l’âge de pierre. Oubliée jusqu’en 2210, date à laquelle l’expédition Clément-Cogswell y effectua un court séjour. La découverte de très riches mines d’or, de métaux rares et de diamants lui avait valu son nom d’Eldorado, et entraîné la fondation d’une cité minière par le Bureau international des Métaux, dont son père, John Henderson, était le directeur.

Un steward entra, prit la valise de cuir fauve, le sac de voyage. D’un dernier regard, elle s’assura qu’elle n’avait rien oublié dans l’étroite cabine et le suivit.

Eblouie, clignant des yeux, elle s’arrêta un moment sur la plate-forme de débarquement. Le béton de l’astroport, blanc de soleil, s’étendait jusqu’aux misérables baraques de la Douane et de la Santé, puis, d’un seul coup, se dressait la forêt, se ruant en vagues vertes et pourpres à l’assaut de hautes montagnes neigeuses, à l’Est.

— Où donc est Port-Métal ? demanda-t-elle au steward.

— Derrière nous, miss. L’astronef vous cache la ville. Il est vrai qu’il n’y a pas grand-chose à cacher. Voulez-vous me suivre, pour les formalités de débarquement ? Il n’y avait que trois passagers, ce sera vite fait.

— Combien y a-t-il d’habitants à Port-Métal ?

— 35 000, miss. Avec les 2 ou 300 prospecteurs et les 4 500 mineurs, la population terrienne n’atteint pas 40 000. Mais si ce que j’ai entendu dire est vrai, cela changera bientôt, si le BIM obtient la charte de libre exploitation.

— Et il y a une douane ? Pour si peu ?

— Pas à l’arrivée, miss. Mais au départ les bagages sont visités à cause des diamants. Dans ce sens, il n’y a que le service de santé et la police.

La visite médicale ne fut qu’une formalité. Un docteur miteux et fatigué jeta un regard distrait sur les certificats de vaccination, montra la porte d’un geste. Le policier en charge était un jeune homme, et, peut-être parce qu’il voyait rarement de jolies passagères, fit durer l’entrevue.

— Henderson, Stella, Jane, 24 ans, 1 m 73, cheveux blonds, yeux verts. Bon, cela concorde. Profession, journaliste. Hum, hum ! Avez-vous quelque rapport de parenté avec le grand Boss ?

— Qui donc ?

— Le grand Boss. John Henderson, du BIM !

— Croyez-vous que dans ce cas je serais venue ici dans un vieux cargo décrépit comme ce Sirius ?

Non, bien sûr ! But de votre séjour ?

— Reportage sur Eldorado pour l’Intermondial…

Eldorado ? Ah oui ! c’est le nom officiel, en effet. Je l’avais presque oublié. Ici, nous l’appelons Hell, Diable-vert, Teufel, Tchort, tout dépend de notre nationalité d’origine. Mais tous les noms font mention du diable. Eldorado ! Oui, je suppose que c’est un Eldorado pour qui rêve de chrome, de tungstène, de béryllium, zirconium, praséodyme, rhodium, tantale, samarium ou simplement or ou platine !

— Vous êtes bien fort en chimie, pour un policier !

— Ici, miss, tout le monde parle de métal ! C’est le seul sujet de conversation, vous le verrez… avec la date d’expiration du contrat, et du retour vers un monde civilisé !

— Ce que j’ai vu pendant que nous attendions en orbite m’aurait fait penser qu’au contraire Eldorado est un monde agréable. Forêts, grandes plaines, mers, rivières, atmosphère respirable sans appareils…

— Oui, sans doute. Eldorado pourrait être agréable… si elle était vraiment colonisée. Mais nous sommes perdus au bout d’une ligne de quatrième ordre, et il ne se pose ici que quelques cargos faisant le tramp dans ce coin perdu de la galaxie ! Maintenant que nous pouvons produire nous-mêmes nos machines pour les mines ou les raffineries… Tout ce qui intéresse la Terre, c’est combien nous pouvons envoyer de tonnes de métal par semaine !

— Puis-je partir ?

— Oui, tout est en règle. Je me demande ce que vous espérez trouver ici, mais c’est sans doute votre affaire. Avez-vous retenu une chambre à l’hôtel ?

— Oui, au Mondial.

C’est le seul convenable. Vous trouverez, peut-être, un taxi à la porte. Sinon, revenez. Je retourne en ville dans une demi-heure, et je puis vous transporter dans la voiture de la police.

— Merci. J’espère ne pas avoir besoin de vous déranger.

— Tout le plaisir serait pour moi, miss.

Le Mondial, le plus grand hôtel de Port-Métal, n’aurait été, sur Terre, à New York, Chicago, Londres, Tokyo ou Paris, qu’un hôtel de troisième ordre au mieux. Cependant, sa clientèle étant composée principalement d’ingénieurs ou des rares envoyés du BIM, il était scrupuleusement propre. Dans le hall, un vieux réceptionniste moustachu lui fit remplir, une fiche. L’appartement donnait sur la rue principale de Port-Métal, et, s’il n’était pas luxueux, possédait cependant sa salle de bains, son studio avec la radio et le téléphone et un vaste balcon. L’hôtel se trouvait tout au bout d’une rue montante, et les toits s’offrirent à sa vue, pêle-mêle, sans ordre, jusqu’aux lignes noires qui marquaient les larges avenues perpendiculaires encadrant les usines du BIM. Derrière les longs bâtiments bas, hérissés de cheminées, de tours métalliques d’où partaient des câbles en longues arabesques, se devinaient le lac et la rivière. Plus loin encore, la forêt commençait, au-delà de quelques champs cultivés, et montait jusqu’à une deuxième chaîne de montagnes qui courait parallèlement à celle qu’elle avait entrevue lors de son arrivée. L’ensemble donnait une impression misérable de cité provisoire, instable, inachevée, bâtie sans amour, ne tenant à la terre que par le poids de l’immense usine. Se perdant rapidement entre les collines bleuâtres, la voie ferrée qui conduisait aux mines trouait la forêt, parcourue sans cesse par les longues chenilles grises des trains de minerai, presque invisibles, et qu’on ne devinait que par leur mouvement.