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L’aube vint enfin, et le froid avec elle. Stella grelotta sous ses vêtements légers, regretta sa cape abandonnée. Aux premiers rayons du soleil, Laprade stoppa sous un arbre, grimpa agilement. Stella s’adossa au tronc noueux, jambes raidies de fatigue.

— Je ne vois rien. Pourtant, à cette heure-ci, ils doivent s’être rendu compte que je les ai joués. En avant !

La marche reprit, impitoyable. Stella avait maintenant trouvé le second souffle, et ses jambes se mouvaient d’elles-mêmes. Vers neuf heures du matin, ils firent une courte halte pour manger. Quand elle voulut se relever, des crampes atroces la saisirent aux mollets.

— Zut ! Et nous avons à peine commencé !

Il se pencha cependant sur elle, ses mains énormes massant les muscles douloureux avec une surprenante douceur.

— Courage ! Le premier jour est le plus dur !

— Je le sais. J’ai eu les mêmes crampes, en grimpant l’Everest ! Ici, au moins, il ne fait pas froid !

Toute la journée ils avancèrent. Au crépuscule, Léo les avait rejoints. En quelques rauquements, il apprit à Laprade que la poursuite avait commencé, mais qu’il n’y avait pas davantage d’ennemis. Ils continuèrent une partie de la nuit, puis prirent quelques heures de sommeil, dans une ravine encaissée. Le lendemain passa comme dans un rêve. Ils allaient maintenant droit à l’Est, après avoir suivi pendant quelques kilomètres le lit d’un petit ruisseau pour brouiller leur piste. L’eau fraîche avait été douce aux pieds meurtris de Stella, mais ensuite la marche fut un supplice, jusqu’à ce que ses pieds aient à nouveau durci.

Deux autres journées coulèrent ainsi. Petit à petit, Stella s’épuisait. Gropas ne valait guère mieux, il titubait. Laprade, traits tirés par le manque de sommeil – il employait une partie de son temps de repos à revenir en arrière pour essayer de détecter l’approche de l’ennemi – allait toujours, à grandes enjambées, titanique. A midi, au quatrième jour, la jeune fille s’écroula lors de la halte et ne put se relever. Gropas, allongé, respirait profondément, par saccades. Laprade les regarda, amer.

— Fourbus ! Surtout lui ! Et ça veut prospecter ! Enfin, nous allons courir le risque. Nous ne partirons qu’à la nuit.

Béate, elle sombra dans le sommeil. Elle rêva qu’elle était en bateau, que le roulis la projetait contre le bord dur de sa couchette.

— Debout ! Vite ! Ils arrivent !

D’un sursaut, elle se dressa à demi, et cria. Tout son corps hurlait de douleur et de fatigue. Le ciel était pur, sans nuage, et les rayons du soleil déclinant éclairaient par-derrière la silhouette de Laprade, fusil en main.

— Vite, corne de bouc ! Léo les a repérés !

Elle se leva lentement, étendit ses membres épuisés.

— Je ne sais pas si je pourrai marcher !

— Oh si, vous marcherez ! Savez-vous ce qu’ils font à leurs prisonniers ? Ils commencent par leur arracher les cheveux un à un, puis les poils, puis ils leur brûlent les doigts, puis…

— Assez !

Le cri monta du sol où Gropas était encore étendu. Il se leva péniblement.

— Si nous avions pris un hélico, au lieu de marcher comme aux temps préhistoriques…

— C’est en hélico que tu les trouveras, tes filons, crétin, répliqua le géant, méprisant. Géologue de cabinet, va ! Marche, et ferme ta gueule !

Ils partirent. Rien encore ne se montrait à l’horizon, dans les herbes hautes. Stella en fit la remarque.

— Ils sont plus près que vous ne le croyez. Regardez bien le haut de cette ondulation. Tenez, vous avez vu ?

L’espace d’un éclair, une forme verticale courbée avait paru entre deux buissons.

— Courage ! Nous ne sommes plus qu’à dix kilomètres environ de la limite du territoire des Mihos.

Si nous y arrivons, nous sommes sauvés. Jamais des Ihimi n’oseront nous y poursuivre ! Les clans sont jaloux de leurs terrains de chasse, et ce serait un casus belli, même s’ils appartiennent tous à la même grande tribu. Courage, Stella !

Elle le regarda, étonnée. C’était la première fois qu’il l’appelait par son prénom. Elle en fut troublée et réconfortée.

Et la fuite continua, par les vallons et les collines, jusqu’à ce que Gropas s’écroulât au sol.

— Je n’en peux plus. Sauvez-la. Je vais essayer de les arrêter.

Sans répondre, le géant se courba, empoigna le jeune homme, le jeta comme un sac sur son épaule.

— En avant !

Mais, peu à peu, la fatigue fit son œuvre. Sa respiration devint courte et sifflante, et il posa l’ingénieur à ses pieds.

— Je ne peux plus vous porter. Essayez de nous suivre. Je vous laisse Léo.

Au bout de quelques minutes, un coup de feu claqua. Ils se retournèrent. Gropas épaulait de nouveau. Un cri monta des hautes herbes, puis une volée de flèches vint s’abattre autour du Grec. Téraï haussa les épaules.

— Il est fichu ! Dommage, avec quelques aventures de plus, il aurait pu faire un prospecteur passable !

— Ne pouvons-nous rien faire ?

— Oh si, bien sûr ! Nous faire tuer avec lui !

Téraï prit son fusil, scruta la brousse, tira, deux fois. De nouveaux cris montèrent, de haine et de douleur. Gropas courait maintenant vers eux, de la course épuisée d’un animal fourbu et, pendant quelques instants, ils crurent qu’il réussirait à les rejoindre. Mais il s’entrava dans une touffe d’herbes, tomba, et quand il se releva, il était trop tard. Deux flèches se plantèrent dans son dos. Il resta encore debout, vacillant, lâcha une rafale de sa carabine, croula la face contre terre. Avec un hurlement démoniaque, un Ihimi surgit des herbes, un court sabre levé,

— Ne regardez pas !

Elle resta immobile, figée par l’horreur. Le sabre s’abattit trois fois, l’homme se releva, tenant par les cheveux la tête de l’ingénieur. Une forme fauve se glissa derrière lui, se dressa, et le crâne de l’Ihimi éclata sous le coup d’une patte énorme. Déjà, Léo fonçait sur un autre ennemi.

— Filez, bon Dieu ! La limite est là, de l’autre côté du ruisseau ! Je vais venir ! Tilembé, Akoara ! Faga ! Faga !

Les trois hommes épaulèrent, et les coups de feu claquèrent sur la brousse, répercutés en échos par les collines proches. Les Ihimis apparaissaient une fraction de seconde entre les touffes herbacées, courant vers eux, penchés en avant. De temps en temps, l’un d’eux se dressait, bandait son arc, et la flèche, avec un doux bruit d’air froissé venait vibrer à quelques mètres des Terriens.

— Et de six, dit Laprade, glissant un nouveau chargeur dans son arme brûlante.

Léo escarmouchait pour son compte, bondissant de-ci de-là sur le dos des ennemis, maintenant tout proches. Tilembé gisait à terre, mais ses mains crispées sur sa gorge d’où sortait le bout empenné d’une flèche. Quelque chose cingla violemment l’épaule de Stella, un trait qui la manquait de peu. Le choc la tira de sa torpeur, et elle épaula à son tour, cherchant à saisir sur son guidon ces formes fuyantes. Brusquement, elle en tint une : le chef qui avait palabré avec eux, il y avait si longtemps, semblait-il. Elle pressa sur la détente et, pour la première fois de sa vie, tua un homme.

— Bravo, Stella, bien tiré ! C’est fini, Léo vient d’assommer le dernier, je crois.

Le silence retomba sur la brousse. Lentement, prudemment, Laprade avança. Rien ne bougeait. Il se pencha sur le cadavre décapité de l’ingénieur, fouilla dans ses poches, en tira un portefeuille qu’il ouvrit. Il en tomba une photo de jeune fille, portant au dos, en anglais : « Pour Achille, avec toute ma pensée, sa fiancée, Lucy ».