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— Il avait une fiancée, l’imbécile ! Qu’est-ce qu’il est venu foutre ici ? Et ces salauds du BIM qui envoient sur une planète sauvage un bébé à peine sevré ! Maintenant il va falloir l’enterrer dans ce sol inhumain ! Merde !

Elle le regarda, choquée, le reproche aux lèvres. Quelque chose dans le visage de Téraï l’arrêta. Sous les paupières lourdes, les yeux bridés semblaient humides.

— Eh voilà ! On est volontaire pour chercher de nouveaux filons, avec l’idée d’une promotion qui permettra de revenir plus vite sur Terre ! Et on crève comme un chien, sous les flèches de sauvages, loin de ce qu’on aime ! Putain d’espèce humaine ! Akoara, gadi ontoubé !

L’indigène approchait, portant le cadavre de son compagnon. Il décrocha de sa ceinture une courte pelle, commença à creuser la terre. L’humus était noir et chaud et exhalait une odeur étrangère.

— Connaissez-vous quelque prière ? Je pense qu’il était croyant. Moi…

— Il était sans doute orthodoxe, et je ne connais que le service protestant, dit-elle.

Téraï haussa les épaules.

— Ma chère amie, si Dieu existe, il se fout pas mal de ces subtilités. Allez-y. Je ne crois pas qu’il aurait aimé partir sans une prière.

Stella leva les yeux, sa prière finie. Téraï n’était plus à côté d’elle, il examinait d’un air mécontent le court sabre avec lequel le sauvage avait décapité Gropas.

— Je me demande où cet animal avait trouvé cette machette ! C’est la première fois que j’en vois une entre leurs mains ! Oh ! je suppose qu’il avait dû la voler à un prospecteur. Etes-vous prête ?

Il jeta un dernier regard sur les deux tombes fraîches, côte à côte.

— La dernière fraternité, peut-être la seule. Allons, marchons.

Il partit, son fusil à la main, celui de Gropas en bandoulière. Ils franchirent le ruisseau, montèrent une pente. Léo avait disparu en avant, en éclaireur. Loin, très loin, une colonne de fumée dorée par le soleil couchant montait au-dessus de la brousse, et le vent leur apporta le roulement sourd d’un tambour. Téraï s’arrêta si brusquement qu’elle vint buter contre son large dos.

— Mauvais. Les Mihos semblent eux aussi en guerre. Cette crapule de chef, que vous avez si bien descendu, m’avait raconté des histoires, j’en ai peur. Cela nous place dans une situation difficile !

— Qu’allons-nous faire ?

— Passer quand même. Une fois que nous aurons franchi l’Iruandika, tout ira bien. Mais il reste encore plus de cinquante kilomètres, et il nous faudra nous infiltrer de nuit entre deux villages.

La nuit passa sans incident. Au matin, la savane ondula devant eux en molles collines, sous le ciel sans nuage. Téraï marchait en avant, puis Stella, Akoara fermant la marche. Léo disparaissait pendant de longs moments, revenait faire son rapport, repartait. Vers midi, ils durent s’arrêter pour laisser passer un immense troupeau d’énormes animaux cornus, rappelant les bisons par leur bosse et leur barbe.

— Mauvais. S’ils filent si vite, c’est qu’ils ont des hommes à leurs trousses, et en nombre ! Il faut se cacher, attendre qu’ils nous aient dépassés. Akoara, etin niké tito mé ?

— Iga mé, Rossé Moutou !

Bon, il y a une grotte par-là, que connaît Akoara. Allons-y.

La grotte n’était qu’une cavité creusée dans la berge d’un ravin sec, à quelques centaines de mètres. Ils s’y enfoncèrent. Téraï traça une carte sommaire sur le sol de sable.

— Voici où nous sommes. A dix kilomètres d’ici, il y a les deux villages jumeaux de Tirn et Tirne, gardant l’entrée d’un large défilé où court la Bosu, affluent de l’Iruandika. Vingt kilomètres plus loin, c’est la rivière, et le territoire ihambé. Une fois là, je réponds de votre sécurité. Nous allons attendre la nuit, et essayer de passer. Que veux-tu, Léo ? Ils sont là ? Restez ici, vous autres !

Il courba sa haute taille, passa dans l’entrée étroite de la grotte, disparut de la vue de Stella. Le temps coula, interminable. Pas un bruit ne pénétrait au fond de la cavité. Lasse d’attendre, la jeune file prit son fusil, sortit prudemment la tête. Téraï était invisible. Tordant le cou, elle finit par l’apercevoir, collé contre la pente, la tête dépassant à peine le niveau de la plaine, derrière un buisson. Doucement, elle le rejoignit. Il eut un geste de contrariété en la voyant, puis dit, tout doucement.

— Attention ! Ils sont à moins de cent mètres.

Elle regarda à son tour. A gauche, les traînards du troupeau n’étaient plus que des ombres dans un nuage de poussière et, courant d’une allure souple et aisée, une centaine d’indigènes armés d’arcs et de flèches les poursuivaient.

— Grande chasse, souffla Téraï. Ceux-là ne sont pas dangereux, sauf s’ils remarquent nos traces, mais je les crois trop occupés par le gibier. D’ici peu, nous pourrons repartir.

Poursuivants et poursuivis s’effacèrent dans le lointain. Téraï poussa un soupir de soulagement.

— Ouf ! Nous voilà saufs pour le moment. Cent hommes, cela aurait été trop, même pour Léo et moi !

— Il en vient d’autres, à droite !

Des silhouettes venaient d’apparaître entre deux bosquets. Le géologue jura doucement.

— Qu’est-ce encore que ces em… Mais…

Il arracha ses jumelles de leur étui, les mit fébrilement au point.

— Mais ils ont des fusils, nom de Dieu ! Et ils ne chassent pas, ils sont sur le sentier de la guerre ! Regardez leur coiffure !

Il lui passa les jumelles. Les quatre hommes portaient le haut panache de plumes et la peinture était encore fraîche sur leur visage.

— Que faisons-nous ?

— Attendons. De toute façon, il me les faut !

— Pourquoi ?

— Il y a un ou des salauds qui jouent à nouveau le vieux jeu : armer une fraction des indigènes contre les autres ! Et ils ont choisi les Umburus, bien sûr ! Ce sont les seuls qui soient vraiment belliqueux. Il me faut ces fusils, comme preuve à envoyer au Bureau de Xénologie !

Stella se sentit froid dans le dos : le BIM emploierait-il ces méthodes, éprouvées, mais hors-la-loi ?

— N’ont-ils pu les échanger à des prospecteurs ?

— Personne n’est fou dans ce métier. Ces armes risqueraient trop de se retourner contre eux. Et ils savent aussi que j’aurais leur peau s’ils essayaient ce truc-là !

— Ils approchent !

— Tant mieux. Cela m’épargnera du chemin. Quand ils seront à trente mètres, tirez sur les deux premiers, je me charge des autres.

— Mais… c’est un assassinat ! Ils ne nous ont rien fait !

— Ils ne se gêneront pas, s’ils nous découvrent. Et, je vous l’ai dit, il me faut leurs armes !

— Je ne peux tout de même pas…

— Bon, ça va ! Vous flancheriez et vous nous feriez massacrer. Allez chercher Léo. Et mon appareil de photo. Allez, vite !

Elle obéit, subjuguée. Quand elle revint, les quatre guerriers, arrêtés à moins de cinquante mètres, examinaient attentivement le sol.

— Vite, mon appareil !

Téraï prit une série de photos au téléobjectif. Les indigènes avaient recommencé leur progression, armes prêtes, à pas lents et prudents. Soudain, le plus grand épaula. Téraï saisit Stella, lui posa une main énorme sur la bouche.

— Pwioun !

La balle passa en sifflant au-dessus de leurs têtes. Téraï relâcha son étreinte.

— Ils nous ont vus ?

— Non, ils tirent à tout hasard sur le buisson. Ils ont dû trouver nos traces. Etes-vous toujours décidée à ne pas…

— Je ne sais plus.

— Je n’aimerais pas risquer la vie de Léo, mais il le faut. C’est trop grave. Si on laisse des trafiquants vendre ou donner des fusils aux Umburus, d’ici à cinq ans la planète est à feu et à sang !