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— Comment pouvez-vous…, dit-elle en anglais.

Ses yeux se durcirent.

— Pas ici ! répondit-il dans la même langue. Elle comprendrait. Plus tard !

Il fit voler la couverture, se dressa, vêtu d’un simple slip. Il s’étira, et les muscles jouèrent sous la peau brune, énormes et pourtant souples, sans nodosités.

— Un beau type de mâle, n’est-ce pas, mademoiselle, dit-il, railleur. Quatre races mêlées, et j’ai pris le meilleur de chacune !

Il avança vers la porte, rejeta le rideau, s’étira encore, offrant son corps à la caresse du soleil.

— Il fait bon vivre ! C’est une chose que vos gens des cités ne connaissent plus ! Hier, je n’aurais pas donné cher de nos peaux, et aujourd’hui… N’est-ce pas, Léo ?

Le superlion venait d’apparaître, et il se frotta aux cuisses massives, les fouettant de sa queue.

— Où sont donc vos amis les Ihambés, demanda Stella. Le camp est désert.

— Les uns à la chasse, les autres à la rivière, ou ailleurs. Venez-vous prendre un bain ? L’eau doit être bonne, à cette heure-ci.

— Volontiers, mais que porte-t-on ici comme costume de bain ? Le mien est resté dans mes bagages à l’hôtel.

Il rit franchement.

— Sa propre peau ! C’est bien suffisant ! Venez-vous ?

Elle rougit, embarrassée. Il lui était arrivé de se baigner nue, sur certaines plages « chic » d’Honolulu ou de Floride, mais elle se sentait mal à l’aise sous son regard appuyé.

— Avez-vous peur de la comparaison ? Laélé, enta siké ! Tchabolité na Stella bigom !

La jeune femme sortit de la tente, dégrafa sa tunique de cuir, la laissa glisser à ses pieds. Elle était splendidement faite.

— Ici, mademoiselle, les conventions sont différentes de celles de la Terre. Personne n’hésite à se montrer nu, mais n’entrez jamais dans une tente pendant un repas sans y être invitée. Vous leur feriez une injure sanglante, et ils vous tueraient sans hésitation. Ne prononcez jamais non plus le mot de nourriture, ce serait moins grave, mais très mal élevé. Si vous avez faim employez une périphrase, demandez « ce qu’il faut pour vivre », par exemple. Venez-vous à la rivière, maintenant ?

C’était un petit affluent de l’Iruandika, aux eaux claires et calmes. Une centaine d’indigènes s’y affairaient déjà, péchant au harpon des animaux aquatiques, pisciformes, ou, plus loin, se baignant dans une crique. Une bande d’enfants des deux sexes, sans un fil sur eux, se précipita vers Téraï avec des cris de joie. Il en saisit un, le fit voltiger en l’air, le rattrapa, le planta sur ses pieds, en prit un autre. Ils y passèrent tous, ravis, se roulant au sol de plaisir.

— Mon peuple, mademoiselle. Ils sont meilleurs que les Terriens, ils n’ont aucune idée de ce que l’on appelle le péché et ils ne se prennent pas trop au sérieux. Allez, déshabillez-vous, et à l’eau !

Laélé nageait déjà. Téraï piqua une tête, fila vers le milieu de la rivière d’un crawl puissant. Elle regarda autour d’elle, cherchant instinctivement un endroit retiré, n’en trouva pas. Des hommes et des femmes passaient devant elle, nus, sans aucun embarras. Elle haussa les épaules.

— Soit ! Quand on est à Rome…

L’eau fraîche lava la sueur accumulée des derniers jours. Elle était bonne nageuse, et bientôt, toute gêne oubliée, elle s’ébattit avec les autres. Avec un soufflement de phoque, Téraï émergea à côté d’elle.

— Bravo, Stella ! J’ai cru un moment que vos préjugés terriens l’emporteraient, que vous n’alliez pas venir.

Ils se laissèrent dériver jusqu’à la plage de sable. Elle resta couchée dans l’eau, le dos au ciel, tandis qu’il s’asseyait au sec.

— Regardez-les ! Quelle belle race, n’est-ce pas ? Dommage qu’ils aient 54 chromosomes et 40 dents ! Je serais resté toute ma vie sur cette planète !

— Et qui vous en empêche ?

— Il faudra bien que je me marie un jour avec une Terrienne, si je veux avoir des enfants. Bah, j’ai encore le temps !

Il se pencha, la saisit, la retourna. Elle se débattit, furieuse.

— Bon sang, ne soyez pas si prude ! Je voulais simplement voir si je n’avais pas trop abîmé votre peau, quand je vous ai opérée du niamba ! Que croyiez-vous donc ?

Il la relâcha, riant. Laélé arrivait à la nage, s’allongea à côté de Téraï.

— Vous voyez, elle est déjà jalouse ! Les femmes ihambées ne valent pas mieux que les Terriennes, à ce sujet !

— Comment êtes-vous entré en rapports avec cette tribu ?

— Oh ! ce fut il y a longtemps. Je venais d’arriver, avec Léo, qui n’était pas encore adulte. Je suis parti prospecter. A cette époque, il était plus facile d’aller de Port-Métal à l’Iruandika, les Umburus n’occupaient pas encore leur territoire actuel. Je m’en fichais d’ailleurs, je cherchais plutôt la bagarre, me moquant de ma peau comme d’une guigne. J’ai eu la chance de tirer le père de Laélé, le chef, de l’étreinte d’un boa des marais. Sa reconnaissance, et Léo, ont fait que la tribu m’a admis comme un des leurs. N’ayant pas, et pour cause, de préjugés raciaux, je me suis facilement entendu avec eux.

Il se leva.

— Venez, j’ai à vous parler.

Elle attendit qu’il se soit éloigné pour sortir de l’eau, se rhabilla rapidement. Il s’était arrêté, goguenard, au sommet de la pente.

— Je vous ai demandé de venir parce que je ne veux pas que Laélé entende ce que je vais vous dire. Elle comprend bien le français, et connaît quelques mots d’anglais. Vous êtes choquée, n’est-ce pas, que je vive avec une indigène ? Pourquoi ?

— Ce ne sont pas des hommes, voyons !

— Non, ce ne sont pas des hommes. Comme je vous l’ai dit, 54 chromosomes et 40 dents. Et aussi le foie à la place de la rate, etc. Mais ils ont des corps magnifiques, et leurs âmes valent bien les nôtres, si toutefois l’âme existe. Pourquoi ne vivrais-je pas avec Laélé, puisque je l’aime, et que rien ne s’y oppose ? Les quelques différences anatomiques ? Sur Terre, il existe quelques personnes qui ont le cœur tourné vers la droite. Sont-ils moins humains ? Les Ihambés ne sont pas des animaux, mademoiselle. Si l’évolution convergente avait fait un pas de plus, si, par hasard, les deux humanités avaient été interfécondes, cela aurait posé un joli problème aux anthropologues pour définir l’espèce ! Vous savez, ils sont très proches de nous. Leur nourriture nous convient, leurs réactions sérologiques sont les mêmes que les nôtres, leurs maladies sont contagieuses pour nous, et réciproquement. Heureusement, ce sont aussi à peu près les mêmes, sans cela il y a longtemps qu’il n’y aurait plus que des squelettes sur Eldorado !

— Mais comment est-ce possible ?

— Vous me demandez ça à moi, alors que c’est un problème qui fait pâlir les membres de tous les instituts scientifiques de toutes les planètes connues ? Peut-être est-ce parce qu’Eldorado est le seul monde que nous connaissions qui gravite autour d’une étoile identique au Soleil, avec une année de 362 jours de 25 h 40 terrestres et une inclinaison de son axe de 24 degrés ! C’est étonnant à quel point la vie a suivi ici une direction parallèle à celle qu’elle a prise chez nous !

— Cependant…

— La vieille méfiance des Nordiques terrestres pour les « natives », hein ? En tout cas, je veux vous dire quelque chose : vous m’avez cassé les pieds pour que je vous amène ici…

— J’ai payé !

— Croyez-vous que je tienne tant à l’argent ? Maintenant, vous êtes ici pour votre métier, faites-le, mais si vous dites quoi que ce soit qui fasse de la peine à Laélé, je vous renvoie à Port-Métal, Umburus ou pas Umburus !

— Je n’ai jamais eu l’intention…