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— Je ne vous accuse pas, je vous avertis. Parlons sérieusement. Que voulez-vous voir ? Je suppose que vos lecteurs se moquent pas mal de la vérité. Ce qu’ils veulent, c’est du pittoresque. Vous en aurez. D’ici peu aura lieu la fête des lunes, après une grande chasse. Quand vous en aurez assez des Ihambés, je vous conduirai visiter l’empire de Kéno, où j’ai affaire. Après cela, je pense que vous serez satisfaite ?

— Je le crois.

— Bon. Je crève de faim. Il est près de midi, et nous n’avons pas eu un repas décent depuis longtemps. Pendant votre séjour ici, vous êtes mon invitée.

La place n’était plus déserte, mais fourmillait de chasseurs, de femmes et d’enfants, qui regardèrent Stella avec des yeux curieux. Devant les tentes, les femmes s’affairaient, cuisant le repas sur des feux de bois, dans des pots de terre. Laélé les attendait, souriante.

— Ma présence ne va-t-elle pas gêner votre compagne, puisqu’il semble y avoir un tabou sur les repas publics ?

— Non. Comme vous êtes notre hôte, cela n’a pas d’importance.

Ils entrèrent tous trois, et Téraï tira soigneusement la tenture devant l’ouverture. Assis sur des tabourets bas, devant une table ronde, ils mangèrent : viandes grillées, bouillie de céréales, galettes.

— Et comment fait-on pour… les nécessités de la vie quand on chasse et qu’il n’y a pas de tentes ?

— C’est différent. De même que sur Terre des gens qui ne songeraient jamais à se promener dans la rue sans vêtements se baignent nus à Waikiki ou à Saint-Tropez.

— Combien ce clan compte-t-il de personnes ?

— Cent environ.

— Comment se fait-il qu’ils aient l’air si tranquilles, alors que de l’autre côté de la rivière les Umburus sont sur le pied de guerre ?

Téraï sourit.

— Je pourrais vous dire que c’est parce que je suis là, mais la vérité est que la tribu dont fait partie ce clan compte 800 guerriers, et le peuple ihambé plus de 20 000, tandis que les Umburus, même en raclant leurs fonds de tiroir arriveraient à peine à 700. Les clans de la Trans-Iruandika ne représentent qu’une faible partie du peuple umburu, qui vit au-delà des monts Kikéoro, partie qui, à la suite de querelles tribales, a émigré de ce côté. Si la nation umburu bougeait en son entier, ce serait une autre affaire, mais, comme je vous l’ai dit, je suis là !

— Vous avez bonne opinion de vous-même !

— Surtout des quelques mitrailleuses que j’ai dans mon laboratoire. Voulez-vous que nous allions le visiter ?

Derrière le village de tentes, en haut d’une petite pente, se dressait la falaise creusée de grottes orientées au Sud-Ouest. Téraï la désigna du geste.

— C’est là que le clan habite en hiver. Une des grottes était trop largement ouverte pour être confortable. Je l’ai aménagée, et j’en ai fait mon laboratoire, mes réserves, et mon propre domicile hivernal.

L’entrée était barrée par un mur épais de blocs cimentés, et Téraï tira de sa poche une clef plate pour ouvrir la porte de métal. Il tourna un commutateur, et la caverne s’illumina. Profonde d’une trentaine de mètres, large de vingt, elle contenait une série d’armoires d’acier, toutes closes, de nombreuses étagères de planches brutes chargées de spécimens minéralogiques ou de caisses de provisions. Un côté avait été aménagé en laboratoire. Au fond, un petit générateur atomique Borelli était isolé du reste par un mur à mi-hauteur. Toute une partie, en avant, était fermée par une cloison, et meublée d’un lit, actuellement sans matelas, ni couvertures, d’une table, de chaises, de rayons de livres et d’une cuisinière électrique.

— Mon chez-moi, mademoiselle. Personne n’entre ici sans que je n’y sois. Voulez-vous parler avec Port-Métal ? Envoyer un premier article ? Mon appareil est là.

— Non, merci. Mes articles doivent faire un tout qui sera publié à mon retour.

— Comme vous voudrez. Asseyez-vous, prenez un livre, j’ai un message à transmettre.

Il s’installa devant l’émetteur :

— Ici RX2. Ici RX2. Enregistrez. Allô, Stachinek ? Ici Téraï. Code 3.

Il mit en marche le codeur automatique, puis continua.

— Nous venons d’arriver chez les Ihambés. Cela va mal. Gropas a été tué par un parti de Ihimi que nous avons anéanti. Tous les Umburus sont sur pied de guerre, mais j’ignore contre qui. Nous avons aussi tué quatre Mihos, armés de fusils. Oui, de fusils. Des Massetti. Tu as compris ? J’envoie un rapport par Akoara, Tilembé a été tué lui aussi. J’envoie aussi des photos et un des fusils. Rendez-vous habituel. Il sera là dans dix à douze jours, et fera le signal de fumée convenu. Miss Henderson ? Elle est là, avec moi, saine et sauve. Terminé.

— Vous avez une belle bibliothèque, monsieur Laprade.

— N’est-ce pas ? Elle m’a coûté cher de transport, depuis la Terre ! Il y a à peu près tous les chefs-d’œuvre de la littérature mondiale – ou tout au moins ce que je considère comme des chefs-d’œuvre. J’ai aussi une bibliothèque scientifique et technique qui ferait envie à bien des universités, sinon sur Terre, du moins sur les mondes coloniaux. J’essaie de ne pas trop me rouiller, de ne pas laisser la civilisation me filer entre les doigts.

— Je vois que vous avez peu d’auteurs terrestres modernes.

— Pourquoi m’embarrasser d’eux ? Ils ne valent généralement rien. Ils m’ennuient, avec leurs dissections minutieuses des sentiments et surtout des vices des hommes-insectes des cités. Oh ! je suppose que pour vous qui vivez habituellement dans les grandes villes, ils ont une certaine vérité. Mais pour moi, la description d’intrigues de salonnards détraqués, qui ne pourraient survivre un mois en dehors de leur bocal, n’a que peu d’intérêt.

— Cependant, Billingway…

— Le plus faux de tous ! J’ai horreur des amateurs d’aventures, ou plutôt des aventuriers amateurs, qui s’abattent sur quelque planète à peine colonisée, y passent quelques mois en « partageant les travaux et les risques des pionniers », comme ils disent, puis repartent pour leur boîte à coton terrestre, où ils pondent des romans où le sang coule à chaque page, et où on les prend pour des hommes véritables !

— Mais c’est leur métier ! Que faudrait-il qu’ils fassent ! Je suis dans le même cas.

— Qu’ils vivent vraiment ce qu’ils décrivent. Ils n’écriraient peut-être qu’un ouvrage, mais il serait plus vrai. Mais vous n’êtes pas ici pour entendre une conférence sur mes goûts littéraires. Venez, je vais vous présenter quelques personnalités de la tribu.

Téraï ferma soigneusement la porte derrière lui.

— Le camp est remarquablement propre. Est-ce votre influence ?

— Oui et non. Les Ihambés sont très soigneux de leurs personnes, mais l’étaient moins de leur environnement avant mon arrivée. Maintenant, ils nettoient leurs grottes et leurs tentes. Tant pis pour les archéologues futurs !

Un guerrier s’avançait vers eux, magnifique de proportions sous la haute coiffe de plumes.

— Voici Eenko, le frère aîné de Laélé.

Téraï fit un geste d’appel. L’homme s’arrêta, posa à terre le bout de sa longue lance.

Nientêy Eenko !

— Nienté, Rossé Moutou !

L’Ihambé regardait Stella bien en face, sans qu’un trait de son visage ne bougeât, et elle sentit errer sur elle des yeux perçants, à la fois noirs et froids.

— Je vous présente le plus grand chasseur et le meilleur combattant non seulement du clan ou de la tribu, mais aussi de tout le peuple. C’est lui qui va organiser la grande chasse prochaine. Offi enko Stella étahoté nien ? continua-t-il en s’adressant à l’homme.