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Om éto ré, siga !

Un large sourire s’épanouit subitement sur la face sauvage, et elle perdit son aspect de dureté cruelle pour devenir une face d’enfant réjoui.

— Il accepte votre présence avec joie, traduisit le géologue. Kénto hé, na !

Que signifie Rossé Moutou ? Cela fait plusieurs fois que je vous entends appeler ainsi.

— L’homme-montagne, mademoiselle. Quelques Ihambés, comme vous venez de le voir, approchent de ma taille, mais je rends trente bons kilos au plus épais ! Venez, j’ai d’autres personnes à vous présenter, ne serait-ce que le vieux chef, Ohémi, le père de Laélé et d’Eenko.

La nuit était tombée. Sur la place, un grand feu brûlait, crépitant, et tout autour de lui, assis sur des peaux de bêtes, veillaient guerriers, femmes et enfants. La flamme illuminait le cercle de tentes, projetant leurs ombres triangulaires, et le vent léger emportait les étincelles, essaims brillants qui s’évanouissaient dans l’obscurité. Une lune pâle montait au-dessus de la falaise, et sa clarté plaquait des plages bleues là où le rougeoiement du feu n’atteignait pas. De temps en temps une hurlée de bête en chasse, sur la plaine, coupait le silence.

Un guerrier se leva, s’avança jusqu’au foyer. Doucement, bouche fermée, il commença un chant nostalgique qui s’enfla peu à peu, devint articulé, monta sous les étoiles. Tout en chantant il dansait une danse lente, monotone comme une marche sous la pluie. La voix était grave et belle, et bien que Stella ne comprît pas le sens des paroles, elle se laissa emporter par le rythme mélancolique. La voix se tut, le silence pesa.

— Que chantait-il ? demanda-t-elle à voix basse.

— La vie, mademoiselle. C’était le chant rituel du huitième jour avant la Fête des Lunes. Demain, ce sera celui de la chasse, puis après-demain celui de la guerre…

— Pourrais-je l’enregistrer ? J’aimerais l’avoir dans ma phonothèque.

— L’an prochain, si vous êtes là.

— Vous auriez dû me prévenir !

— Il y a longtemps que je l’ai enregistré. Je pourrai vous en faire une copie. Regardez, maintenant.

Le vieux chef s’était levé à son tour. Il avança vers le feu, y jeta une poignée de poudre. La flamme jaillit, vert-bleu. Il la surveilla un moment, puis se rassit. Un jeune homme avança, contourna le foyer, s’assit en face du groupe des jeunes filles. Il commença une chanson vive.

— Que dit-il ?

— Hum ! c’est difficile à traduire. Il détaille les beautés de la fille qu’il aime. C’est ce soir, le soir de la Lune Bleue, que se font les demandes en mariage. Maintenant elle va répondre.

La réponse fut brève.

— Pas de chance ! Pauvre Bleï ! Il avait choisi Enika, une des plus jolies, mais aussi des plus cruelles !

— Que va-t-il faire ?

— Attendre l’an prochain… ou essayer avec une autre !

Un second jeune homme s’approcha, s’assit en face d’une autre fille. Cette fois, la réponse fut longue et favorable, et ils partirent ensemble.

— A partir de maintenant, ils sont considérés comme mariés.

— Et si les parents n’avaient pas accepté ?

— Ils l’auraient fait savoir au jeune homme avant ce soir. Cela n’empêche rien, d’ailleurs, la plupart du temps.

L’un après l’autre, une dizaine de couples se formèrent ainsi.

— Tiens ! Eenko ! Il se décide enfin. Qui va-t-il aller chercher ?

Le grand guerrier semblait hésitant. Il vint enfin s’asseoir en face de Stella.

— Bon sang ! Manquait plus que ça, grogna Téraï.

Affreusement gênée, Stella murmura :

— Que dois-je faire ? Que dit-il ?

— Femme d’ailleurs, ta peau est plus blanche que la plume du Iki, tes yeux brillent comme la lune bleue, tes cheveux sont jaunes comme la fleur de Téké ! Tu ne peux être une mortelle, mais bien plutôt la déesse Sine, venue chez les hommes pour les rendre fous de désir. Dis-moi où sont tes ennemis, je t’apporterai leurs têtes sanglantes. Dis-moi où tu veux aller, et j’étendrai sous tes pieds un tapis de fourrures précieuses et des plus belles fleurs de la steppe. Eenko est un grand chasseur, jamais ta tente ne manquera de la meilleure venaison, jamais ton cou de dents pour l’orner. Ô Déesse, exauce le mortel qui ose t’aimer !

— C’est très joli, Téraï, mais je n’ai aucune envie d’épouser un… enfin un homme d’ailleurs !

— Dites n’importe quoi, mais en le chantant. Je traduirai.

Stella regarda Eenko, triste et humble dans la lueur du feu.

— Dites-lui que je ne puis l’épouser, que ma religion m’interdit de me marier avec un homme étranger à mon peuple, que je le regrette, car il est certainement un grand et terrible guerrier, et un très bel homme, ajouta-t-elle à mi-voix.

Téraï traduisit, Eenko se leva et, sans mot dire, disparut de l’autre côté du foyer.

— Ennuyeux, ça ! J’aurais dû y penser et ne pas vous emmener ici ce soir. C’est que vous êtes très belle, savez-vous ?

Elle rit doucement.

— Une déclaration me suffit pour aujourd’hui ! Mais pourquoi dites-vous que c’est ennuyeux ? Croyez-vous que je courre quelque danger ?

— Non. Mais j’ai beaucoup d’amitié pour Eenko. C’est vraiment quelqu’un de remarquable, et il n’est plus tout jeune. Ce qui serait pour d’autres une rebuffade normale, sans conséquences, risque de le blesser. Ces Ihambés sont terriblement fiers et susceptibles.

Le feu ravageait la brousse. Il accourait de l’occident, poussé par le vent qui charriait sa fumée, sur un front de plusieurs kilomètres, vers la zone morte que les Ihambés avaient utilisée depuis des générations, bande latéritique compacte, stérile, où ne poussaient que de maigres buissons maintenant abattus. Et devant lui fuyait un flot de bêtes, carnassier et herbivores mêlés dans la grande fraternité de la peur.

Téraï se tenait debout sur un pointement rocheux, Stella à ses côtés. Malgré l’altitude, la fumée montait parfois jusqu’à leur niveau, suffocante, et la jeune fille se demandait comment les chasseurs, là-bas, dans la plaine, pouvaient la supporter sans étouffer. On les entrevoyait par moments, tirant flèches sur flèches contre les traînards qui, à peine tombés, étaient dépecés par les couteaux des femmes, et portés en courant hors du chemin du feu.

— Pas très sportifs, vos amis ! C’est plutôt une boucherie qu’une chasse !

— C’est effectivement une boucherie. La grande chasse d’automne, faite non pour s’amuser, mais pour manger. La viande va être boucanée, à leur manière, ou salée, comme je leur ai appris à le faire, et servira de provisions d’hiver. Il n’est pas facile de trouver du gibier, quand viennent les grandes pluies.

— Combien durent-elles ?

— Deux ou trois mois, selon les années. Par moments, le sol est tellement gorgé d’eau qu’on y enfonce jusqu’à mi-jambe.

— J’aurais cru qu’avec un tel climat la forêt se serait établie sur cette région.

— Elle existe en effet plus au Sud, comme vous l’avez vu vous-même. Mais nous ne sommes pas sur Terre, la végétation a des besoins différents, et les feux de brousse de l’été, naturels ou allumés, se chargent de maintenir les arbres en échec.

— Le temps se gâte.

— Nous aurons de l’orage d’ici peu, en effet. C’est pourquoi les Ihambés se hâtent. Regardez les femmes !

Derrière le pare-feu, de petites formes noires, maigres fourmis verticales, halaient des traîneaux couverts de monceaux de viandes rouges.

— Cinq kilomètres comme ça, jusqu’au camp ! Et elles danseront toute la nuit !

— la chasse est-elle bonne ?