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— Minuit ! Il devrait être là.

Il hésita un moment, prit un revolver, descendit à terre, s’adossa à son appareil. Rien que la nuit, et le bruit du vent dans les branches. Il attendit longtemps puis, tirant sa lampe de sa poche, avança vers les buissons. Un gémissement le guida vers Akoara, gisant sanglant sur le sol. Il se pencha vers lui. Un faible bruit le fit se retourner, et il leva le bras, dans un geste instinctif de défense. La lourde lame d’acier lui fendit le crâne.

Extrait des « Nouvelles de Port-Métal »

Encore un prospecteur assassiné.

Ce matin, la patrouille aérienne de police aperçut un hélicoptère abandonné au sommet des collines de Mito. Intrigué, le sergent Howell se posa à son côté. L’appareil était vide, mais à proximité, il trouva le corps de M. S. Igricheff, géologue. Une brève battue aux environs permit de trouver le meurtrier, un indigène du nom d’Akoara, blessé et armé d’un fusil volé. Après un bref échange de coups de feu, force resta à la loi. Cet indigène ayant été au service de M. Igricheff et de son associé, il est probable qu’il s’agit d’une vengeance personnelle.

CHAPITRE VI

LA FETE DES LUNES

— Je ne sais si le spectacle vous plaira, Stella. Il comporte quelques parties symboliques où le symbolisme est plutôt réaliste. La Fête des Lunes est aussi celle de la fécondité.

— Je ne suis pas tout à fait une oie blanche !

— Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

— Lequel ?

— Journaliste !

— Je me suis fâchée avec ma famille, il fallait bien que je gagne ma vie.

— Vous auriez pu en trouver un autre plus honorable.

— Qu’y a-t-il d’infamant à informer le public ?

— Vous appelez cela… informer ?

— Oh ! je reconnais que certains de mes confrères en prennent à leur aise avec les faits. Pour moi, je dirai la vérité, enfin la vérité telle que je la vois. Nul ne peut faire mieux.

Il eut un petit rire amusé.

— Je lirai votre prose avec intérêt.

— Vous ne me croyez pas ?

— Si, si ! Et que direz-vous d’Eldorado ?

— Que c’est une belle planète encore entre les mains de sauvages, mais qui sera un jour civilisée.

— Avec villes puantes, distributeurs de coca-cola et de Champagne artificiel, buildings de 300 étages et affiches de publicité abstraites ? Avec un prolétariat sous-payé, abruti par la télévision ? Avec partis politiques, parties de thé, parties de campagne ? Avec sécurité sociale vous prenant au berceau et vous menant jusqu’à la tombe ? C’est tout juste s’ils ne fabriquent pas eux-mêmes les enfants sur Terre, actuellement !

— Je reconnais que la civilisation a de mauvais côtés, mais elle forme un tout. Vous en faites partie vous-même, que vous le vouliez ou non.

— Si peu !

— Vous avez vos livres, votre générateur atomique, votre radio, vos médicaments, votre fusil même ! Tout cela, c’est le produit de la civilisation terrienne.

— Eh là ! Ne me prenez pas pour un primitiviste ! Je suis heureux de vivre parmi les Ihambés, j’ai la chance de connaître la vie barbare sans en avoir les inconvénients majeurs, mais je ne suis pas fou ! Ce n’est possible que pour quelques privilégiés. Mais de là à considérer la civilisation terrienne comme un modèle souhaitable pour tous les mondes de l’espace, il y a loin !

— Que désirez-vous alors pour Eldorado ?

— Qu’on lui fiche la paix ! Qu’on ne renouvelle pas une fois de plus les vieilles erreurs qui nous ont coûté si cher sur la Terre, sur Tellus, sur New Earth, sur les quelques dizaines de planètes que votre civilisation des masses a ravagées, exploitées, pillées, pour que les Terriens puissent continuer à encombrer leur vie de jouets inutiles.

— Autrement dit qu’on laisse croupir ces indigènes dans leur ignorance !

— Ils n’en sont pas plus malheureux ! Mais ce n’est en effet pas souhaitable. Le Bureau de Xénologie fait un excellent travail, quand on le laisse faire, quand de gros intérêts comme ceux du BIM ne se mettent pas en travers ! Oui, nous pouvons, nous devons aider les planètes primitives, à condition de les respecter, de n’introduire qu’avec beaucoup de prudence nos inventions, nos mœurs, nos habitudes, et en évitant si possible d’y introduire nos vices. Près de Port-Métal habitent deux tribus. Avant l’arrivée des Terriens, ils vivaient plus ou moins bien, mais avec dignité. Maintenant les hommes sont prêts à tout pour boire, les femmes se prostituent pour des bibelots importés, et ils crèvent peu à peu d’alcoolisme et d’ennui, leur vie devenue sans but. Cela faillit arriver à mes ancêtres polynésiens, quand les Européens se mirent en tête de les « civiliser ». Entre le whisky, le pernod et la Bible, il s’en est fallu de peu ! Avez-vous vu des photos de Tahiti avant la renaissance ? Toutes ces horribles baraques de tôle ondulée, ces danses abâtardies pour touristes ? Toute cette affreuse bimbeloterie en nacre ou noix de coco ? Pouah !

— Il faudrait donc réserver l’univers aux hommes du Bureau de Xénologie ?

— Non, seulement les planètes habitées par des êtres intelligents. Malheureusement, les autres sont souvent moins hospitalières, et le coût de l’extraction des minerais ou des produits végétaux s’en ressent ! De plus, les planètes habitées donnent une main-d’œuvre à bon marché. Ici, heureusement pour les Ihambés et les autres, le BIM n’a que la charte restreinte ! Mais êtes-vous jamais allée sur Tikhana ? Léo, cesse de te gratter, et viens ici !

Il passa ses mains dans la fourrure jaune, chercha les puces.

— Tenez, voici un parallèle : les explorateurs, les scientifiques, les médecins, certains missionnaires, sont la partie noble de l’humanité. Malheureusement, bientôt arrivent les marchands, les militaires pour les protéger, et les exploiteurs qu’ils traînent derrière eux comme Léo traîne sa vermine. La vermine du lion, voilà ce que sont le BIM et les autres !

— Croyez-vous que le trafic interstellaire durerait longtemps sans les grands trusts, publics ou privés ? Qui paye, au fond, tous ces paquebots de l’espace ?

— Oh, la Terre serait bien obligée de garder une flotte ! Que nous n’ayons pas jusqu’à présent rencontré d’intelligences hostiles dans le cosmos ne signifie pas que nous n’en rencontrerons jamais !

— Mais les réserves minérales de notre planète s’épuisent, et…

Il éclata de rire.

— Et vous dites ça à un géologue ! Oui, oui, je sais, Osborn ! La planète au pillage ! Ce vieux classique avait raison, d’un certain point de vue. Il est certain que bien des ressources ont été gaspillées. Il est certain également que depuis l’invention du transmetteur de matière subspatial, l’exploitation d’autres mondes a cessé d’être un non-sens économique pour devenir une entreprise lucrative. Il est finalement moins coûteux d’aller chercher du chrome sur Eldorado que de creuser des mines profondes exploitées par des robots. C’est là tout le secret du business : quand il devient cher d’exploiter chez soi, on va chez le voisin. Mais, il y a un inconvénient. Ou bien on assimile ou extermine le voisin, ou bien quand il arrive à son tour à l’âge mécanique, on ne lui a laissé que les gisements profonds, que sa technologie primitive ne peut utiliser. Tant pis pour lui, qu’il se débrouille ! Il n’y avait qu’une ressource minérale de quelque valeur en Polynésie, les phosphates de Makatéa. Une fois qu’ils eurent été épuisés, les Européens se sont gracieusement retirés, prenant prétexte de la pression des Nations-Unies, et ont laissé les Polynésiens à leur sort. Sans le génie de ma grand-mère, Nohoraï Oopa…