Выбрать главу

— La fédératrice de la Polynésie était votre grand-mère ?

— Oui. Elle réussit à réveiller les insulaires. Nous avons eu aussi l’aide technique des gouvernements des anciennes puissances colonisatrices, mais pas celle des grands trusts, ah non ! Nous n’avions plus d’intérêt pour eux.

— Nous ?

— J’ai passé ma jeunesse dans les îles, et je les considère comme ma patrie. Nous nous sommes débrouillés : fermes marines, troupeaux de baleines, énergie solaire, etc. Mais uniquement parce que nous avons pu nous appuyer sur une technologie avancée.

— Et vous craignez qu’il n’en soit de même ici ?

— Avez-vous vu Tikhana ? Là, vos précieuses compagnies ont pu jouer leur jeu à leur guise. Que reste-t-il des artistes de Khomara, la cité aux mille colonnes ? Que reste-t-il des Iles Bleues, qui furent décrites comme un paradis par les premiers explorateurs ? Que reste-t-il des Tikhaniens, de leur civilisation millénaire, mais non industrielle ?

— Il y a des Tikhaniens au parlement confédéral !

— Des Tikhaniens ? Ou de pâles copies de Terriens ? Ils ne parlent même plus leur propre langue, mais l’anglais abâtardi qui sert de lingua franco, interplanétaire ! Seuls quelques philologues, dans leurs universités, peuvent apprécier le Roubanika ou le Mohan-tariva !

Oui, et leur population qui n’était que d’environ cent cinquante millions au temps de leur indépendance est maintenant de plus de trois milliards !

— Et, un de ces jours, nous la recevrons sur le dos ! Ils ont perdu toute raison de vivre, sauf la haine qu’ils ont pour nous ! Non, je sais ce que je dis. Tous les discours de politicards ne changeront rien au fait qu’ils nous haïssent. Et je les comprends, et je les approuve ! Peu importe à nos grands trusts : on a extrait de Tikhana des millions de tonnes de métaux précieux ou utiles.

— Pourtant, vous travaillez pour le BIM.

— Mademoiselle, je travaille pour moi. Comme je vous l’ai dit, le BIM ne pourra jamais profiter des filons que je leur signale contre finances, car ils n’auront jamais la charte libre, et leur charte restreinte, qui expire dans vingt ans, ne sera peut-être pas renouvelée !

— Après tout, que m’importe. Je n’ai plus d’attaches avec le BIM. Dites-moi plutôt en quoi consiste cette Fête des Lunes.

— Venez, elle va commencer, je vais vous l’expliquer en marchant.

Téraï se dressa d’un mouvement souple, aida la jeune fille à se lever. La nuit était tombée, et les Ihambés, assis en cercle autour de la grande place centrale bourdonnaient un chant monotone.

— La mythologie de mes amis est luni-solaire. Le soleil est mâle, les trois lunes femelles sont ses compagnes. D’elles vient la fécondité qui permet à la tribu de réparer ses pertes et d’être toujours plus forte. Le mouvement des satellites est tel que tous les trois ans à peu près, ils se lèvent simultanément au-dessus des Montagnes des Ancêtres, à l’est du pays ihambé, entre les pics Kolontu et Biré-Otima. Ce sont les montagnes sacrées de la tribu…

— Je croyais que c’était le mont Hétio.

— Le Rossé Mozelli ? Ah ça, c’est autre chose ! Celui-là est tabou pour tous les peuples de ce continent boréal, et je voudrais bien savoir pourquoi ! Quoi qu’il en soit, quand cette conjonction se produit, c’est la Fête des Lunes. Autrefois, on leur sacrifiait trois jeunes filles. Mais, il y a plus de cent ans, le sort tomba sur Enliéa, qui était fiancée à Tlek, le plus redoutable guerrier ihambé d’alors. Il l’enleva avant la cérémonie, et quitta le camp avec ses partisans. Les Ihambés n’ont pas oublié la guerre civile qui suivit ! Un shaman astucieux interpréta alors la tradition orale, et on ne sacrifie plus de jeunes filles. On se contente de sacrifier leur vertu !

— Devant tous ?

— Oh non ! Dans la grotte sacrée, en présence des seuls grands initiés.

— J’espère que cette fois je ne risque rien.

Il rit.

— Non, vous n’avez rien à craindre !

Ils s’assirent à la place qui leur avait été réservée, entre le chef et Laélé. Tous les assistants étaient maintenant silencieux, tête baissée, seul un jeune homme, juché au sommet d’un très haut mât tripode lançait de temps en temps quelques mots d’une voix modulée.

— Le veilleur des Lunes, souffla Téraï. Il annoncera l’apparition des astres entre les pics.

Stella leva la tête, regarda vers l’Est. La nuit était claire, les étoiles scintillaient, et une intense voie lactée barrait le ciel en diagonale. L’Orient était encore obscur, mais une faible lueur semblait déjà poindre entre les monts.

— Encore quelques minutes, dit Téraï. Quand les Lunes seront levées, il faudra que je vous quitte. Je fais partie du clan. Restez avec Laélé, elle vous expliquera et vous protégera au besoin.

— Ah ! vous participez, répliqua-t-elle d’un air railleur.

— Pas à ce que vous pensez, dit-il sèchement. Je ne suis pas un grand initié. Pas encore.

Le temps coula. A l’orient, l’obscurité se dissipait lentement, le col entre les pics se découpa sur le ciel plus clair.

Anthia ! Tsana ! Noba ! cria soudain le jeune homme du haut de son mât.

Un point d’un jaune intense venait d’apparaître au-dessus du dos de la montagne. Majestueusement, Anthia se hissait.

Avec un long hurlement modulé, les Ihambés se dressèrent. Téraï les imita.

— Levez-vous, bon sang ! Vous voulez nous faire massacrer ?

Chuintantes, une, deux, dix, cent fusées multicolores montèrent vers le zénith. Stella les regarda, bouche bée.

— Vous leur avez donné des fusées ?

— Non, c’est une invention kénoïte. La poudre est faite avec des spores de la Roquetta Spraguei, un cryptogame commun ici, du soufre et du salpêtre. Le corps de l’engin est tiré de la tige d’un bambou léger. Et il y a longtemps que les indigènes connaissent la propriété de certains minéraux de colorer les flammes. A tout à l’heure !

Il rejoignit le groupe des guerriers, jetant derrière lui sa chemise et son short, restant vêtu d’un simple pagne de cuir. Un Ihambé lui tendit une longue lance, et il prit sa place, juste derrière le grand Eenko.

Bom ! Bom ! Bobom ! Le tam-tam roula, lentement d’abord, puis de plus en plus vite et, à mesure que son rythme s’accélérait, les hommes s’animèrent, commencèrent à danser autour d’un grand feu à flammes bleues. Les trois Lunes étaient maintenant levées, à peine séparées les unes des autres, en lourde grappe dans le ciel. Les guerriers hurlaient, lances brandies, la sueur luisait sur leurs muscles polis, leurs ombres gesticulaient sur le sol et sur les tentes. Le tambour battait maintenant à un rythme fébrile et Stella se sentit malgré elle prise dans le vertige, scandant la danse de tout son corps, sur place.

— Whoosh !

Une énorme langue de feu pourpre jaillit du centre du cercle, baignant la place dans une lueur de sang. Le sol s’ouvrit, et il en monta une plateforme de bois sur laquelle trois jeunes filles nues se tenaient, orgueilleusement dressées.

— Ma caméra !

Vite, elle détacha de son corsage la lourde agrafe qui déguisait un de ses appareils, actionna le dispositif multiplicateur de photons.

Rossé Moutou pas content, dit une voix à côté d’elle. Elle se retourna, surprise. Laélé indiquait l’agrafe du doigt.

— Mais je ne fais rien de mal !

— Ça machine à images. Rossé Moutou a la même, dans bouton.