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— Eh bien, qu’il ne soit pas content, je m’en moque ! repliqua-t-elle, furieuse.

— Toi aimer lui ?

— Moi ? Non, bien sûr ! Amis seulement !

— Toi aimer lui sans savoir, peut-être. Toi bien bâtie, lui donner fils forts. Moi pas pouvoir, ajouta-t-elle d’un air triste.

— Ah ça alors ! Il vous en a parlé ?

— Non. Mais moi voir son regard sur toi. Lui, moi, pas enfants. Lui prendre autre femme, normal. Si pas vrai, pourquoi toi refuser Eenko ?

— Parce qu’il n’est pas de ma race ! Chez nous, de plus, on ne se marie pas avec un inconnu !

— Toi, Rossé Moutou, enfants. Ecrit dans les Lunes. Si Antafarouto pas opposé.

— Antafarouto ?

— Dieu de la mort !

Elle cracha par terre, cinq fois, à droite d’elle.

Le tam-tam battait, démentiel, la ligne des guerriers ondulait, frénétique, les lances avaient été jetées en tas au pied des trois jeunes filles. Un vent léger s’était levé, qui courbait les flammes rouges et bleues des feux, et le tremblotement de la lumière ajoutait encore du mouvement à ce tourbillon de chair. Puis, d’un coup, sur un cri bref, les hommes s’immobilisèrent, se rangèrent face aux foyers.

— Maintenant nous danser, dit Laélé.

— Pas moi ! Je suis étrangère !

Toutes les jeunes femmes se plaçaient face aux guerriers, en ligne parallèle. Laélé prit Stella par le bras, d’une étreinte douce, mais ferme.

— Toi femme. Toi vouloir fécondité. Toi danser !

— Non !

— Toi venir !

L’étreinte se resserra sur son bras. Elle essaya de la rompre, en vain, voulut se dégager avec son autre main, s’arrêta net : Laélé tenait un long couteau d’acier.

— Toi venir !

Elle se laissa entraîner. Laélé bouscula trois femmes et d’une secousse plaça Stella en face de Téraï. Il ne la vit pas d’abord, il parlait à voix basse avec son voisin. La sueur ruisselait sur son corps et, sous la lueur des feux, il semblait un dieu de bronze surgi de quelque mythologie oubliée. Le tambour recommença à battre, lentement. Il se tourna, l’aperçut, et un sourire moqueur retroussa ses lèvres. La danse était très lente, cette fois. Les hommes firent trois pas en avant, les bras levés, en demande, les femmes reculèrent, mimant le refus. Le tambour accéléra ses battements, les guerriers avancèrent encore, saisirent les femmes par les poignets et Stella sentit les mains énormes de Téraï se nouer autour des siens. Il ne souriait plus, la regardait d’un air douloureux.

— Débattez-vous, souffla-t-il.

Elle obéit, maladroitement, ne pouvant détacher ses yeux de la face de l’homme qui la dominait d’une tête. « Il est beau comme un faune », pensait-elle. Dans la lumière affaiblie des foyers, le visage de Téraï avait perdu sa dureté, et les yeux obliques, les pommettes hautes, le nez arqué, le menton puissant dessinaient un masque étrange et séduisant.

Le tam-tam allait crescendo. Elle se sentit subitement soulevée, couchée à terre.

— N’ayez pas peur, ce n’est qu’un simulacre, glissa-t-il à son oreille.

— Même un simulacre est de trop !

— Je n’y puis rien ! Cela va être fini. Pourquoi êtes-vous entrée dans la danse ?

— Votre… femme m’y a forcée à la pointe d’un couteau ! Elle s’est mis dans la tête que, puisqu’elle ne peut vous donner d’enfants, c’est à moi de le faire.

Il eut un sursaut étonné, puis dit :

— Ce ne serait pas une mauvaise idée, savez-vous ?

— Ne comptez pas sur moi !

— Qui sait ?

Et, subitement, une lueur s’alluma dans ses yeux, et il l’embrassa sauvagement. Elle essaya de se dégager, puis s’engourdit, ne résista plus.

Le tam-tam cessa. Téraï se dressa d’un bond, aida Stella à se relever. Partout, autour d’eux, les autres couples en faisaient autant. Il brossa la poussière de son dos. Les jeunes filles avaient disparu, ainsi que certains des guerriers. Les flammes mourantes projetaient des ombres dansantes.

— La cérémonie est finie. Il ne reste que le banquet, auquel vous devez assister, puisque vous avez participé à la danse.

— Je… Vous… Vous avez abusé de votre force, espèce de brute !

— Cela ne semblait pas vous être trop désagréable ! Allez, venez, pas de querelles, les Ihambés considéreraient cela comme un mauvais présage. Mais quand je vous ferai signe, quittez le repas. Une fois que mes amis auront bu leur saoul d’alcool de béké, je ne répondrai pas de votre vertu !

CHAPITRE VII

LES FLOTS DE L’IRUANDIKA

Téraï posa sa pagaie, repoussa de la main son chapeau de paille, attrapa sa gourde et but goulûment l’eau coupée d’alcool de béké. Le soleil dardait ses feux sur l’Iruandika, et la berge indécise tremblait dans l’air saturé de chaleur.

— O the Erie was a-rising And the gin was getting low And I scarcely think we’ll get a drink Till we get to Buffalo-o Till we get to Buffalo !

Chanta Stella d’un air railleur. Il lui jeta un regard de colère.

— We were loaded down with barley, We were chock-up full of rye, The captain he looked me down With his goldurn wicked eye.

continua-t-elle. Il éclata de rire.

— Quelle est cette chanson ?

— Erie Canal. Une chanson du 19°siècle, de mon pays. Voulez-vous que je vous la chante en entier ?

— Volontiers. Mais j’ignorais votre talent de folkloriste.

— J’en connais des quantités ! Quand j’étais plus jeune, j’ai fait partie d’un groupe d’étudiants spécialisés dans le folklore.

— Vous avez fait des études ? De quoi ?

— Physique, si vous pouvez me croire ! Mais mon père n’a pas voulu que je continue. Cela me faisait fréquenter des gens « en dessous de mon milieu », disait-il. Des moins de 50 millions de dollars !

— Eh bien ! vous en fréquentez un actuellement. Je ne vaux guère plus de trente !

Elle le regarda, stupéfaite.

— J’ai des amis sur Terre, bien placés, qui ont fait fructifier mes gains !

— Et avec cette fortune, vous continuez à risquer votre vie, sur cette planète perdue ?

— Quel rapport cela a-t-il ? Quand je suis arrivé sur Eldorado, je n’avais plus un sou ! J’ai trouvé le gîte principal qu’exploite maintenant Port-Métal, avant que le BIM n’ait la charte, restreinte ou non, je leur ai vendu. Ils m’avaient donné le choix, dès qu’ils ont eu le monopole : vendre, ou rester indépendant, mais ne pouvoir écouler ma production. Je leur ai donné le choix à mon tour : payer cher, ou avoir les indigènes sur le dos. Je n’ai pas été fâché du marché. Je ne suis pas fait pour diriger une entreprise, je suis trop un loup solitaire. Et cela ne m’amuse pas de commander à mes semblables.

— Et qu’est-ce qui vous intéresse ?

— Trouver du nouveau. Et, plus encore, chercher. J’ai dans mon laboratoire la matière pour une centaine de publications sur la géologie d’Eldorado, que je ferai, un jour, quand le BIM n’aura plus le monopole.

— J’aurais cru que sur une planète aussi riche, ils n’auraient pas besoin de passer par vos conditions,

Téraï haussa les épaules.

— Eldorado est riche, oui, à en crever. Encore faut-il repérer les points les plus rentables. Je leur ai épargné quatre ans de prospections, et surtout je leur ai assuré la paix. Vous connaissez les termes de la charte restreinte : pas plus de 40 000 hommes, et l’accord des indigènes. Mais tout ceci nous éloigne de notre conversation. Où avez-vous fait ces études de physique ?