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— Université de Chicago, de 2228 à 2230.

— Moi, j’ai fait les miennes à Paris, de 2218 à 2220, puis à Toronto, de 2220 à 2223. Mais je suis souvent allé à Chicago voir le vieux Mac Kenzie. Dites-moi, y avait-il toujours des écureuils sur le campus ? A mon dernier séjour, quelques imbéciles parlaient de les exterminer sous prétexte qu’ils pouvaient être parfois enragés.

— Il y en avait plus que jamais !

— Tant mieux ! J’aurais été navré qu’on les ait massacrés.

Il recommença à pagayer, au rythme d’un chant polynésien. Stella regarda en arrière. A cent mètres suivait la deuxième pirogue, portant Laélé et son frère, puis la troisième, chargée de quatre Ihambés.

Téraï avait protesté quand le chef avait exigé qu’il se fasse accompagner de quelques guerriers. Les relations entre les tribus de la plaine, au nord de l’Iruandika, et l’empire de Kéno étaient bonnes, d’autant plus qu’espacées, la chaîne des Monts Hétio les séparant, et il ne voyait pas la nécessité d’une escorte. Mais Ohémi avait été inflexible :

— Il y a eu des changements chez les Kénoïtes, Le vieil empereur a été assassiné.

Puis avait suivi une longue conversation en langue indigène, que Téraï n’avait pas jugé utile de traduire, mais Stella avait pu voir qu’il semblait ébranlé. Elle le regardait pagayer, en face d’elle. Les muscles jouaient sous la fine peau brune, soyeuse, se gonflant à chaque coup de pelle.

— Une force effrayante, pensa-t-elle.

Elle se souvint de Gorilk Joe, le garde du corps préféré de son père. Lui aussi était un géant, mais au corps noueux, et au cerveau rudimentaire. Il se vantait d’être l’homme le plus fort du monde.

— Je me demande ce qu’il dirait s’il voyait Laprade. Probablement essayerait-il de le tuer pour prouver que nul ne peut lui résister… Mais je parierais sur Téraï. Il doit exister un homme comme lui par siècle : une intelligence de premier ordre, et un corps de fauve. Quel dommage qu’il soit de l’autre bord…

Jusqu’à présent, tout s’était bien passé. Son compagnon ne soupçonnait rien. Elle avait déjà tourné plusieurs centaines de mètres de microfilms qui, astucieusement montés, permettraient de montrer les indigènes d’Eldorado sous un jour défavorable, et d’emporter au Parlement mondial le vote qui donnerait au BIM la charte large. Elle imagina la colère de Téraï et frissonna.

C’était dommage. Elle aurait pu aimer un homme de cette envergure, s’il avait été plus réaliste, s’il ne s’était pas laissé entraîner par les rêveries de ces imbéciles de xénologues. Donner à chaque race sa chance, oui, pour qu’un jour elles se retournent contre l’homme ! Stella descendait d’une longue lignée de pure race blanche, la plus blanche de toutes, les nordiques. Son père n’avait pas encore accepté l’humiliation du vote de 2010 au Parlement mondial, qui avait donné libre droit d’immigration aux races colorées en Europe et en Amérique. Elle se rappela le jour déjà lointain où son père lui avait fait visiter, alors qu’elle était encore tout enfant, les immenses fonderies du BIM., sur la côte Pacifique. Ils étaient montés tout en haut de la tour centrale, et d’un geste large il avait désigné les centaines et les centaines de toits d’ateliers, les hauts fourneaux électriques, le complexe réseau de voies ferrées qui apportaient le minerai terrestre ou le raffiné du grand central de réception qui dressait son énorme masse blanche à 20 kilomètres de là et où arrivait, par transmetteur subspatial, la richesse minérale de cent planètes.

— La puissance du BIM., et aussi la puissance de la Terre ! Tout cela, c’est nous, les hommes, qui l’avons bâti ! Aucune autre race dans le cosmos n’en aurait été capable. Souviens-toi bien, Stella : Dieu a donné l’Univers aux hommes !

Elle avait pourtant hésité, lors de sa vingtième année. Un de ses camarades d’Université était un jeune physicien, charmant, brillant et empressé auprès d’elle. Elle avait alors décidé d’étudier la physique.

— Hum ! nous avons des ingénieurs pour cela, lui dit son père. Mais, après tout, il serait utile qu’il y ait quelqu’un dans la famille qui puisse comprendre leurs grands mots. Votre frère, n’est, comme moi, qu’un businessman.

Puis Paul s’était tué, bêtement, en voiture. Et la physique avait perdu son charme. Sa mère était morte à son tour, et Henderson l’avait rappelée. Elle avait alors dirigé la maison, organisé les réceptions, les fêtes, les bals. Elle s’était rapprochée de son père, avait commencé à s’intéresser aux mille affaires que brassait le directeur général du BIM., avait pris goût aux intrigues. Un jour, il y avait six mois de cela, il l’avait fait venir dans son bureau personnel, tout en haut du Stellar Building, à New York.

— Je suis ennuyé, Stella. Nous perdons de l’argent ! Nos fonderies ne travaillent qu’à 70 % de leurs possibilités. Je comptais obtenir la charte large pour Eldorado, mais la malchance nous poursuit : le sénateur Dupont s’est tué à la chasse en Afrique, le sénateur Willis a été battu, et mon vieil ami Schmidt, le second secrétaire du Président, est en congé de longue maladie ! Le Bureau de Xénologie intrigue contre nous, et on ne nous prolongera même pas la charte restreinte, j’en ai peur. Philips, en sous main, m’accuse d’incapacité. Vous voyez le tableau. Il paraît que les indigènes d’Eldorado sont tout à fait humains. La belle affaire ! Si c’est vrai, notre civilisation leur conviendra très bien ! J’aurais besoin que quelqu’un de sûr s’y rende, qui pourrait me faire un rapport détaillé sur la situation. Il y a sur cette damnée planète un individu du nom de Laprade, qui nous tire dans les jambes et dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser.

— Laprade ? Je croyais qu’il travaillait pour nous. Voyons, notre plus riche mine d’Eldorado s’appelle bien ainsi ?

— Oui, au début, il nous a bien servis. Mais il intrigue maintenant avec les indigènes contre nous.

— Qui est ce Laprade ?

Une sorte de brute géante, dit-on, mais je ne le crois pas. Il nous contre trop subtilement pour être une brute. Il est métis, de jaune, je pense. Attendez, nous avons un dossier le concernant.

Il dit quelques mots dans l’interphone, et un huissier lui apporta le dossier. Il ne contenait qu’une seule feuille.

— Laprade, Téraï. Né le 17 janvier 2199 à Bergerac, France, 1 m 99, cheveux noirs, yeux noirs, champion olympique de décathlon… sans intérêt. Ah ! Docteur ès-Sciences, géologie, Université de Toronto. Fils de Paul Laprade, tué lors des émeutes fondamentalistes de 2223 et de Tetua Song… Voyons, oui, c’est bien ça. Tetua Song était elle-même fille de Song Tung Fei et de Nohoraï Oopa, la fédératrice de la Polynésie. Et comme Paul Laprade était fils d’un Français, Henri Laprade, professeur à la Sorbonne, et de Mary Wapano, de la famille Wapano, des mines de chrome de l’Arctique, il a quatre races en lui ! Européen, Tahitien, Chinois et Cree !

— Et vous voudriez que j’aille là-bas et que je le séduise ?

— Non certes ! Je ne vous demanderai jamais de mission de ce style ! Nous avons des spécialistes pour cela. Mais j’aimerais un rapport de première main sur lui, et aussi sur les indigènes. Quelques films montrant leurs côtés sauvages. Avec cela, on peut remuer des consciences au Parlement mondial. Il suffirait de déplacer une dizaine de voix.

— Herbert ne pourrait-il y aller ? Je ne sais si je serai capable…

— Herbert m’est indispensable. Vous êtes sportive, vous avez fait l’Himalaya pour votre plaisir, et il y aura quelqu’un pour veiller sur vous.

— Oh, je n’ai pas peur ! Soit, j’accepte. Mais je ne puis arriver là-bas comme une envoyée du BIM.