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— Il y a des planètes protégées !

— Oui, par le BUX, le Bureau de Xénologie. Il y réussit une fois sur cent ! Oh, ils font un beau travail, et je leur tire mon chapeau ! Quinze minables croiseurs pour cartographier la galaxie, entrer en contact avec les races non humaines, essayer d’empêcher une exploitation trop éhontée du cosmos ! Et, comme l’écrit le torchon que vous représentez, ils retardent l’extension de la civilisation pour garder des terrains d’étude à quelques savants à demi fous ! Oh, nous tomberons bien un jour sur une race forte, une race qui possédera elle aussi ses vaisseaux stellaires ! Peut-être nous observent-ils déjà, à notre insu. Le cosmos est vaste, et il serait outrecuidant, ne le croyez-vous pas, de penser que nous sommes la race élue, s’il en est une ! Nous aurons bonne mine, le jour du premier contact ! Voyez comme nous sommes pacifiques ! Regardez ce que nous avons fait !

— Que voulez-vous que je vous dise ? Que vous avez raison ? Et qui vous assure que cette race, si elle existe, est pacifique, elle ? Peut-être serons-nous heureux d’avoir derrière nous la puissance forgée par le BIM !

— Et pas d’alliés ? Que croyez-vous que feront les Thikaniens, par exemple ? Moi, je le sais : ils nous tireront dans le dos avec joie !

— Alors, nous devrions les écraser tant que nous en avons la possibilité.

— Charmant ! Comme les Indiens, eh ? Seulement, ceux-là, vous les avez ratés : il n’y a plus guère de blancs purs au Mexique ou en Amérique du Sud ! Mais j’étais parti pour vous dire ce que cherche le BIM : la charte ouverte ! Ils ont déjà essayé, mais pour une fois ils ont manqué leur coup au parlement mondial. Peu de chances de réussir, à moins que la puissance dominante d’Eldorado ne demande elle-même l’alliance terrestre. Il n’y a pas de puissance dominante actuellement, mais il y en a un bon germe, l’empire de Kéno. Le malheur, c’est qu’il n’a plus envie de s’agrandir. Qu’à cela ne tienne, on va lui infuser un sang nouveau ! On va l’aider, changer sa mentalité statique, le civiliser enfin ! Et faire de telle manière qu’il soit entre leurs mains. Que dirait le parlement mondial et cette chère opinion publique si on apprenait sur la Terre qu’ils pratiquent ici des sacrifices humains ? Car pour cette fois on jouerait sur la ressemblance physique entre les indigènes et nous. Face tu perds, et pile je gagne ! Si tu marches droit, tu es pillé. Si tu protestes, tu es aplati, et pillé quand même ! Et si les choses échappent au contrôle, eh bien ! on interviendra pour faire cesser les guerres entre Ihambés et Umburus, ou entre sauvages chasseurs et paisibles paysans de Kéno ! N’est-ce pas cela, mademoiselle Henderson ?

— Je vous assure que mon père ne m’a jamais parlé de projets de cet ordre ! Mais si cela était, que pourriez-vous faire ?

Il eut un sourire.

— Ça, je ne vous le dirai pas. Cela se raccommode, les familles ! Je ne vais pas vous confier mes plans !

— Voyons, Téraï, soyons sérieux. Vous êtes un homme extraordinaire, je l’avoue, mais vous ne pouvez pas vous opposer à toute une planète ! Il y a du vrai dans ce que vous dites, et, moi aussi, je regrette la disparition de civilisations primitives, qui auraient pu évoluer vers quelque chose de beau et de bon… ou de hideux et de mauvais, aussi bien. Peut-être, en effet, la Terre s’est-elle trompée de chemin ? Mais vous ne pouvez rien y changer. Vous êtes un Terrien, vous aussi ! Si la Terre était attaquée par la race dont vous supposez l’existence, vous combattriez dans ses rangs !

— Probablement, en effet. Tout dépendrait des circonstances. Mais laissons là les hypothèses : dites bien à Henderson, si vous le revoyez, que je connais ou devine ses plans, et que je m’y opposerai par tous les moyens. Maintenant, c’est fini. Je ne sais si vous travaillez pour le BIM ou pour votre journal, et je m’en moque. Vous ne pouvez rien contre moi. Si vous voulez que je continue à vous guider sur ce monde, eh bien, tant mieux ! Si vous voulez retourner immédiatement à Port-Métal, je vais lancer un radio, et un hélico viendra vous chercher demain. J’ai dit ce que j’avais à dire.

Il se renversa sur son fauteuil de bois qui craqua sous son poids, et l’observa à travers ses paupières mi-closes, un vague sourire amusé aux lèvres.

— Je n’ai pas le choix, dit-elle d’un ton agacé. Je suis payée pour faire un reportage.

— Bon. Demain nous déjeunerons avec le nouvel empereur. Il est curieux de vous voir.

Le repas touchait à sa fin. Dans l’étroite et longue salle, les hautes fenêtres jetaient des faisceaux de lumière dorée, où tourbillonnaient des poussières infimes, comme des galaxies microscopiques. De sa place, Stella voyait en enfilade la table de marbre noir sur laquelle les corbeilles de fruits s’alignaient en file multicolore, et les faces des convives penchées en avant, échangeant leurs paroles dans un brouhaha général. A son vif ennui, elle était placée assez loin de Téraï, assis sur l’estrade avec les gens importants de l’empire. A sa gauche, un jeune chef ne cessait de lui débiter des galanteries alcooliques que traduisait, en les édulcorant, devinait-elle, la fidèle Sika accroupie derrière elle. Son voisin de droite l’ignorait ostensiblement. Elle commençait à s’ennuyer. Au début l’ordonnance barbare du repas l’avait intéressée, le goût des plats servis enchantée ou surprise. Mais il est difficile de soutenir une conversation avec l’aide d’un interprète, et elle n’avait au fond rien à dire à ses voisins.

Téraï était assis en face de l’empereur, petit homme sec, au visage maigre et dur, et soutenait une conversation animée avec un vieillard, qui, elle l’apprit de Sika, était Obmii, grand-prêtre de la religion de Klon, le dieu protecteur de l’empire. Ils semblaient en très bons termes. Plus loin un homme encore jeune, ascétique, ne les quittait pas de ses yeux perçants. C’était Bolor, le grand-prêtre de la déesse Béelba.

L’empereur se dressa, et toutes les conversations cessèrent, si brusquement que le silence brutal fit l’effet d’un coup de tonnerre. Tous les convives, debout, penchèrent la tête. Quand au bout d’une minute ils la relevèrent, l’empereur avait disparu. Téraï resta encore un moment avec Obmii, puis en prit congé. Stella le rejoignit.

— Vous avez plu à Sa Majesté Impériale Oïgotan, lui dit-il.

— Il ne m’a vue que de loin !

— Réjouissez-vous-en ! Nulle femme ne l’approche, sauf ses favorites ! Avez-vous pu prendre vos films ?

— Oui. Que faisons-nous maintenant ?

— Nous rentrons, et vite ! J’ai de graves nouvelles. Appelez Sika et suivez-moi.

Elle se dirigea vers la place où Sika l’attendait patiemment. Un homme la frôla et elle reconnut Bolor, tête baissée sous les plis de son capuchon ramené sur le front. Il laissa échapper son bâton, se pencha pour le ramasser, et elle sentit qu’il glissait quelque chose dans la tige de sa botte droite. Déjà, il s’était redressé et partait à pas rapides. Elle regarda le long de sa jambe, vit, coincé entre sa cheville et le cuir, quelque chose de blanc, comme un papier plié. Elle faillit l’en extraire, se ravisa : si Bolor avait eu recours à cette mise en scène, c’est qu’il y avait probablement des raisons graves, et qu’il tenait à ce qu’elle seule lise ce papier. Refrénant sa curiosité, elle appela sa servante, et elles partirent.

Téraï avait l’air pressé et filait devant elles, surveillant la foule à droite et à gauche, comme aux aguets.

Il n’était pas armé – nul ne portait d’armes, à part les gardes, dans l’enceinte du palais – et paraissait inquiet. Elle l’entendit pousser un soupir de soulagement quand, à la porte, le capitaine du poste lui remit son revolver et son couteau de chasse. Il vérifia soigneusement le barillet avant de glisser l’arme dans son étui.