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— Que craignez-vous ?

— Plus tard ! Allons, vite ! Il me tarde d’être chez moi !

CHAPITRE II

LE SACRIFICE A BEELBA

Ils prirent l’avenue de la Princesse Théoba, qui descendait la pente, puis la rue de la Victoire Eternelle. Téraï marchait au milieu de la chaussée et leur ordonna d’en faire autant. Mais rien ne les arrêta, et ils arrivèrent sans encombre. Stella s’excusa, prétextant un changement de toilette, renvoya Sika. A peine dans sa chambre, elle glissa ses doigts dans sa botte, en tira le message. C’était une feuille de papier indigène, fait de l’écorce martelée d’un arbre, pliée en quatre. Elle l’ouvrit, et lut ces mots en anglais :

« Ne sortez demain sous aucun prétexte, H : :. »

La lettre H était suivie de cinq points en ligne brisée. Elle resta stupéfaite : comment ce prêtre d’un monde étranger connaissait-il le signe de reconnaissance qu’elle utilisait avec son frère aîné, dans leurs jeux d’enfants ? Il était donc en rapport avec le BIM ? Que signifiait cet avertissement ? Que se tramait-il entre son père et le culte de Béelba ? Ce culte réformé qui faisait des sacrifices humains ! Téraï aurait-il vu clair dans son jeu ? Devait-elle le prévenir ? Il était l’ennemi du BIM, oui, mais, elle s’en rendait compte maintenant, elle ne souhaitait pas qu’il lui arrivât malheur. D’un autre côté, l’avertir était sans doute trahir son père…

— Vous êtes là, Stella ? J’ai à vous parler.

— Oui, oui, me voilà !

Elle dissimula le message sous le matelas, courut à la porte.

— Pas encore changée ? Bon, j’attendrai.

— Oh ! ce n’est pas indispensable si ce que vous avez à me dire est grave.

— Ça l’est !

Elle le suivit dans la pièce qui lui servait de bureau. La fenêtre donnait sur le magnifique parc, et Téraï s’y accouda un instant, laissant errer ses yeux sur les arbres gigantesques. Puis il se retourna, et elle fut frappée de son air inquiet.

— Qu’y a-t-il, Téraï, dit-elle, l’appelant par son prénom.

— Ce qu’il y a ? L’enfer mijote sous nos pieds ! Je suis un fou de vous avoir conduites ici, vous, et Laélé ! Ohémi avait raison, et j’aurais dû l’écouter, prendre une véritable escorte, au lieu de cinq guerriers seulement !

— Que craignez-vous ?

— Tout ! Les adeptes de Béelba, seconde manière, sont déjà des milliers à Kintan ! Obmii ne m’a pas caché que l’empereur songe à changer le dieu protecteur de la cité, à passer de l’autre côté. Pauvre Obmii ! Il voit décroître tous les jours le nombre de ses fidèles ! Allez donc lutter contre des rivaux qui pratiquent la lévitation, opèrent des cures miraculeuses, font jaillir la foudre dans leur temple, font pousser en quelques minutes une grasse végétation là où la terre était nue ! Que peuvent contre cela ses propres jeux de miroirs ?

— Mais où est le danger pour nous ?

— Il n’est peut-être pas immédiat, en effet. Sauf que je suis l’ami des Ihambés, qui, comme les suivants de Klon, ont le Rossé Mozelli comme montagne sacrée. Je suis donc, a priori, l’ennemi de Béelba. Que demain Bolor lance ses fanatiques contre moi… et ceux qui sont avec moi, et il fera chaud pour nous à Kintan ! Une bonne partie des officiers de l’armée s’est déjà convertie, je le tiens d’Ophti-Tika. Cette armée qui, jusqu’à présent était pacifique, mais qui, une fois fanatisée… Ce qui m’inquiète, ce sont ces miracles.

— Bah, des tours de passe-passe.

— Ah oui ?

Il compta sur ses doigts :

— Un, lévitation : c’est possible avec un dégravitateur Levy-Thompson, modèle 4, qu’on trouve sur tous les astronefs. Ça peut se dissimuler sous un vêtement ample, une robe de prêtre, par exemple. Deux, cures miraculeuses : antibiotiques et rayons biogéniques. Les malades sont placés « sous l’œil de la déesse ». Trois, la foudre : élémentaire, un générateur Van de Graaf ou tout autre type. Quatre, croissances miraculeuses : auxines activées, et Willamsonia exhubérans, l’herbe magique de Behenor IV. En ajoutant un, deux, trois et quatre, on a : interférence terrienne ! Vous voyez que j’avais raison. Et Obmii m’a prévenu que quelque chose se trame pour demain. Aussi, interdiction absolue de sortir pour vous, Laélé, Sika, et toutes les femmes en général. Ah oui ! j’avais oublié de vous le dire : le sacrifice à la déesse consiste en l’extraction, sur le vivant, des ovaires d’une ou plusieurs jeunes femmes !

Il frappa sur un gong de bronze, Sika parut.

— Dis à la maîtresse Laélé de venir tout de suite. Appelle aussi Tonor, Kétan et Eenko.

Elle revint peu après, suivie de deux Kénoïtes et de l’Ihambé.

— Laélé ?

— Elle n’est pas dans sa chambre, maître.

— Cherche-la !

Il se tourna vers les trois hommes, leur donna rapidement des instructions. Ils partirent en courant.

— Je prends mes précautions. Les murs seront gardés, désormais. Venez avec moi.

Derrière une colonne, un escalier en colimaçon donnait accès au toit en terrasse, entouré d’un mur épais, crénelé.

— Ça, c’est ma contribution à l’architecture de ce palais.

Il se dirigea vers un cube de maçonnerie situé au centre, d’environ deux mètres d’arête, fermé d’un côté par une porte renforcée de métal, tira de sa poche une clef plate compliquée, et l’ouvrit. A l’intérieur, cinq mitrailleuses reposaient côte à côte, avec des caisses de munitions et d’autres qui, d’après leurs étiquettes, contenaient des grenades.

— Sauriez-vous vous servir de ces engins ? Fabriqués à Chicago par la North American Weapon Company, contrôlée par le BIM.

— Oui, j’ai appris à les utiliser quand j’ai fait mon service de deux mois dans la milice planétaire.

— Pour une fois, cette plaisanterie aura du bon. Il peut m’arriver quelque chose, Stella. Dans ce cas, voici le double de la clef. Mes hommes vous obéiront.

— Mais comment pourrais-je me faire comprendre ?

— Ils connaissent tous quelques mots d’anglais ou de français. Suffisamment.

Il tira de la réserve une caisse de grenades, referma la porte.

— Je vais la faire descendre par mes lascars.

En bas, Sika attendait, l’air terrifié.

— Maître, la maîtresse est sortie pour aller au marché aux tissus.

Téraï pâlit.

— Vite, envoie cinq hommes la chercher !

C’est déjà fait, maître !

— C’est très bien, Sika. Merci. Bon sang, elle ne pouvait pas attendre que je puisse l’accompagner ! Ah, les femmes ! Toutes les mêmes ! Il lui fallait ces étoffes tout de suite ! Tonor, il y a une caisse de grenades là-haut. Fais-la descendre, amorce-les, et distribue-les aux veilleurs. Trois par homme !

Le sol trembla.

— Un séisme ? dit Téraï d’un ton incrédule. Venez !

Il se rua vers une petite construction basse, dans le parc, où il logeait un sismographe. La bande de papier ne montrait qu’une ligne très faiblement ondulée, puis deux brusques crochets de grande amplitude. Téraï consultait les autres appareils quand un grondement souterrain prolongé se fit entendre. L’aiguille dessina une série de zigzags. Téraï regarda le cadran de l’intégrateur.

— Epicentre à trente kilomètres au nord… Attendez, 30 km Nord, ce sont les volcans jumeaux Kembo et Okembo ! Mais ils sont éteints ! Probabilité de réveil spontané pratiquement nulle ! Aucun signe précurseur…

Ils ressortirent. Loin au nord, dans la gloire du soleil couchant, une haute colonne de fumée montait, noire et dorée.