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— Un superlion ? Je croyais qu’ils avaient tous péri dans l’incendie de la station biologique de Toronto, lors des émeutes fondamentalistes de 2223 !

— C’est en 2225 que Laprade est arrivé ici, il y a neuf ans. Il s’est enfoncé immédiatement dans l’intérieur, et on ne l’a plus vu de trois ans. Tout le monde le croyait mort. Puis il est revenu. A ce moment, le BIM n’avait pas encore le monopole des mines. Il leur a vendu la sienne, très cher, c’est encore la plus riche, et il a installé un bureau de consultations géologiques. Le BIM a recours à lui chaque fois qu’il s’agit de prospecter dans les plaines, au-delà des monts Franklin. Là, les indigènes ne sont pas comme ceux d’ici, ils sont plus sauvages, plus puissants, et n’aiment pas beaucoup les Terriens. Mais Laprade, dit-on, est frère de sang de plusieurs de leurs chefs.

— C’est un personnage passionnant que vous me peignez là ! Quel âge a-t-il ? Et pourquoi hésitez-vous à me le recommander ?

— Pour être extraordinaire, il l’est ! Il doit avoir environ 35 ans. Mais il n’est pas de tout repos, principalement pour les femmes ! Beaucoup ici ne l’aiment guère, pour cette raison, et aussi parce qu’il est trop pro-indigène.

— Et où peut-on le voir ? Pourrais-je lui téléphoner ce soir pour prendre rendez-vous ?

— Certainement pas ! Il doit être en train de courir les bars avec ses amis les prospecteurs. Demain, il sera sans doute à son bureau. Il y était hier, en tout cas. Vous avez de la chance, car il ne fait à Port-Métal que des séjours de plus en plus brefs.

— Il est à peine 21 heures. Pouvez-vous me dire quel bar il fréquente ?

— Habituellement, il commence et finit ses tournées du 3 juillet au Cheval Noir. Mais vous ne pouvez y aller ! C’est un lieu mal famé, pas une place pour une jeune fille, surtout pas ce soir !

— Pour une jeune fille, peut-être. Pour un journaliste, c’est différent ! Où donc est ce bar ?

— 56, rue Clarion. Mais je vous dis que…

— Et, moi, je vous soupçonne d’être le pourvoyeur de ce M. Laprade ! Vous excitez ma curiosité, vous prétendez me dissuader de le rencontrer, et vous me donnez tous les renseignements nécessaires ! Merci quand même.

Elle fit claquer ses doigts sous le nez de l’homme, et le laissa pantois.

La rue Clarion était une ruelle sombre, dont le revêtement, posé à la hâte lors de la construction de la ville, n’était plus qu’une série de fondrières. Elle s’étendait à perte de vue dans une demi-obscurité trouée çà et là par le clignotement d’enseignes lumineuses annonçant principalement des bars et des boîtes de bas étage. Stella marcha vite, la main dans sa poche sur la crosse de son pistolet, sachant par expérience que le plus sûr moyen pour une femme de se faire raccrocher dans un tel lieu était de sembler chercher quelque chose. Dans un passage obscur, une main s’abattit sur son bras gauche, et elle s’en débarrassa d’un coup sec de karaté.

Le Cheval Noir ne fut pas difficile à trouver. Sous le nom écrit en français, son enseigne représentait, en tubes luminescents rouges, un cheval titubant, tête renversée, buvant goulûment d’une énorme bouteille dont le goulot s’enfonçait entre ses lèvres retroussées. Une grosse bosse sur son gosier symbolisait la gargantuesque gorgée qu’il était en train d’avaler. Parlant couramment le français, Stella comprit le calembour.

La porte du bar était à deux battants mobiles, comme celles qu’elle avait vues dans les films de cow-boys, toujours populaires sur Terre après trois siècles. Elle la poussa, entra.

L’intérieur la surprit par son calme. La salle était assez bien éclairée, bien qu’embrumée par la fumée du tabac et du tik ; de nombreuses machines à sous, rangées contre le mur du fond, n’avaient pas de clients pour le moment. Quelques hommes, attablés par deux ou trois, buvaient placidement des boissons aux couleurs violentes. Accoudées au bar, quatre filles en toilettes voyantes bavardaient. Derrière le comptoir, trônait le patron, gros homme solide, l’air rusé, sale, et à portée de sa main se devinaient sous les rangées de bouteilles un assortiment varié de matraques de caoutchouc, et la crosse d’un énorme et antique revolver à balles pleines.

Stella s’appuya sur la barre. Le patron claqua des doigts, une serveuse incolore s’approcha.

Oh ! n’importe quoi, dit Stella. Un Bourbon-Soda, si vous voulez.

L’homme se pencha vers elle.

— Nouvelle arrivée ? Vous cherchez du travail ?

— Non, je cherche un homme.

Le patron siffla.

— Eh bien, il en a de la chance ! Qui est-ce ?

— Téraï Laprade.

— M’étonne plus ! Il vous a donné rendez-vous chez moi ?

— Non, mais on m’a dit que je pourrais le trouver ici.

Le patron consulta sa montre.

— En effet, il ne devrait pas tarder à arriver pour commencer sa tournée du 3 juillet.

Il se pencha davantage, et prit un air confidentiel.

— Vous m’avez l’air d’une fille sérieuse. Croyez-moi, partez avant que Laprade n’arrive. Depuis quand êtes-vous à Port-Métal ?

— Cet après-midi.

— Sur le Sirius, alors ? Bizarre, vous n’avez pas une tête à voyager sur une baille comme ça. Ecoutez-moi bien : ici, les filles se marient ou tournent mal dans le mois de leur arrivée. J’ai une fille, sur Terre, qui fait ses études. Elle n’a pas votre chic, mais vous me faites penser à elle, c’est pour cela que je vous avertis. Filez ! Retournez sur Terre, sur Mars, Zoé, Nova-Italia, ou quoi que ce soit d’où vous veniez ! Filez vite, à moins que vous ne soyez ici pour rejoindre un fiancé, mais dans ce cas vous ne chercheriez pas Téraï. Mais rappelez-vous, si vous tournez mal, j’aurai toujours du travail pour vous.

— Merci, mais je n’ai pas l’intention de me marier, ni celle de tourner mal !

— Eh bien ! le vieux Joseph Martissou vous aura avertie. Tenez, le voilà, votre Laprade !

CHAPITRE II

LA NUIT DES PROSPECTEURS

La rue retentit d’un effroyable vacarme de casseroles heurtées les unes contre les autres, coupé de hurlements et de rires puissants. La porte sembla éclater. Poussé par un flot humain pressé, un homme entra, un géant. Il s’arrêta un moment sur le seuil, bras écartés retenant les battants, yeux rapides parcourant la salle, la lumière crue de la lampe placée au-dessus de l’entrée accusant les traits de son visage. Stella eut le temps de l’examiner avant qu’il ne s’avançât.

Il devait mesurer près de deux mètres de haut, avec des épaules si larges qu’on se demandait comment il arrivait à franchir la porte de face, des épaules paraissant encore plus larges à cause de la minceur de la taille. Il portait un costume barbare de cuir souple brun, avec franges et rangs de perles colorées le long des coutures, laissant nus les bras énormes, et le cou bien dégagé. Mais c’est la tête qui frappa le plus la jeune fille. Sous le front haut, bronzé, dominé par des cheveux noir de jais, drus, raides, taillés court, les yeux prenaient un regard étrange de l’obliquité de leur fente, et de la lourde paupière supérieure retombant en pli mongolique. Très sombres, perçants, ils avaient la fixité des yeux d’un oiseau de proie. Le nez, un peu large, busqué, la bouche aux lèvres minces, ironiques, les pommettes très écartées, mais saillantes, le menton marqué, achevaient de composer un masque puissant et inquiétant.

Il poussa une sorte de rugissement inarticulé, gonfla sa poitrine à faire éclater sa veste, et s’avança vers le bar.