Выбрать главу

— Mon Dieu ! Ne peut-on rien faire pour elle ?

— Oh si ! Tout au moins vais-je essayer. Il nous reste quelques heures avant l’aube.

Téraï vérifia une fois de plus l’accrochage des grenades à sa ceinture, fit jouer ses revolvers dans leurs gaines, inspecta de près son fusil.

— Voilà. Je vous ai tout montré ici. Si je ne reviens pas, prenez le commandement. Essayez une fois de plus d’appeler Port-Métal. Dites-leur que la fille de Henderson est en danger. Si cela ne les fait pas se remuer, je ne sais ce qui le fera. Mais surtout, ne sortez pas !

Cette phrase rappela à Stella l’avertissement qu’elle avait reçu, et, brusquement, sans y penser, elle se décida :

— Attendez ! J’ai quelque chose à vous dire.

Elle lui raconta la scène dans la salle du palais, le papier glissé dans sa botte avec le signe de reconnaissance. Il fronça les sourcils.

— Vous auriez pu me le dire plus tôt ! Ça n’aurait pas changé grand-chose, sans doute, puisque Laélé était déjà prisonnière quand vous avez reçu ce message. Bon. Je n’ai pas le temps maintenant d’élucider le pourquoi ni le comment. Au revoir, miss Henderson !

— Au revoir, Téraï, et bonne chance !

Il disparut à la tête des quinze hommes armés qu’il emmenait avec lui, se dirigea vers le fond du parc où ils devaient franchir le mur. Restée seule, elle monta sur la terrasse. A l’est, la colline qui portait la place d’armes se dessinait, masse plus noire sur le ciel qui pâlissait peu à peu. Encore une demi-heure avant l’aube. La ville était obscure, mais elle pouvait entendre dans les rues voisines les pas des soldats en patrouilles par trois, et, arrivant de la ville basse, une rumeur de foule en marche. Il lui vint l’envie de courir après Téraï, de le suivre. Un cri étouffé monta de la rue qui longeait le fond du parc, et elle comprit qu’une sentinelle venait de payer de sa vie un instant d’inattention.

Elle attendit, Ténou-Sika à ses côtés, prête à traduire ses paroles, à répéter ses ordres dans les microphones reliés aux haut-parleurs disséminés dans les arbres.

— Crois-tu qu’il réussira ?

— Le maître peut tout ! Et il ne sera pas seul. Beaucoup n’acceptent pas ces sacrifices, maîtresse. Tika – je veux dire le capitaine Ophti-Tika – m’a dit qu’une grande partie de l’armée y est hostile.

— L’as-tu répété à M. Laprade ?

— Bien entendu ! C’est mon devoir de lui rapporter tout ce qui peut l’intéresser.

— Tu aimes ton maître, Sika ?

— Ce n’est pas un maître, c’est le Maître ! Tout courbe devant lui quand il le veut. Et pourtant il n’est pas méchant. Pour lui, nous mourrions tous, s’il le fallait !

Stella ne répondit pas, s’émerveillant une fois de plus du dévouement que faisait naître à son égard ce géant parfois brutal et barbare. Elle soupira. Si seulement ils avaient pu combattre du même côté. Elle ne se souvenait plus que, il y avait à peine quelques minutes, elle était passée de son côté en lui révélant le message secret du prêtre de Béelba. Elle croyait toujours qu’il avait tort, qu’il entreprenait une lutte stérile, mais si le BIM était vraiment derrière les sacrifices humains, elle ne pouvait plus s’en sentir solidaire.

L’Est s’éclairait maintenant. De la colline descendirent un battement de tambour, puis le meuglement de trompes. Une longue acclamation monta de la foule de fanatiques massés là-haut, et elle devina qu’elle saluait l’apparition des prêtres, ou des victimes.

Puis, plus rien. Le silence absolu, à peine rompu, vers la ville basse, par le triste bourdonnement du grand gong de bronze d’un temple de Klon où se déroulait une cérémonie expiatoire.

Brusquement, elle tendit l’oreille : avait-elle entendu un coup de feu ? D’autres suivirent, en rafales, coupés de l’explosion sèche de grenades, puis une immense clameur, peur et rage mêlées. Elle se précipita vers le parapet de l’est, essayant de voir. Mais la maison était située très en contrebas de l’esplanade, et elle ne put apercevoir que le haut du temple, et, à la jumelle, de petites formes noires courant sur sa terrasse supérieure. La fusillade crépitait maintenant de façon ininterrompue. Téraï avait avec lui une dizaine de Kénoïtes entraînés aux armes à feu, et elle frémit à l’idée des ravages que cette grêle de balles devait faire dans la foule. Une nouvelle série d’explosions, puis, frêle au-dessus du rugissement de la populace, monta le cri de guerre de Téraï : Iooohioohoo ! Suivi d’un coup de feu isolé. Des hommes dévalaient en courant la rue descendant de la colline, rue qu’elle voyait en enfilade, parfois cachée par des cimes d’arbres. La fusillade reprit, proche.

— Le maître ! cria Sika.

Elle aussi avait entrevu la haute silhouette massive, arrêtée un moment pour faucher les poursuivants les plus proches. Puis les arbres le dérobèrent à la vue.

— Sika, traduis ! Que dix hommes fassent une sortie ! Tous les autres à leurs postes aux murailles !

Elle engagea une bande dans une mitrailleuse.

— Praaaa !

La rafale claqua, toute proche. Du fond du parc vint un bruit de bataille, un homme monta en courant les escaliers, jaillit sur la terrasse, cria quelques mots, redisparut.

— Le maître est blessé, traduisit Sika.

— Je viens !

Comme elle arrivait sous la colonnade, quatre hommes parurent dans l’allée, portant Téraï. D’autres suivaient, avec les armes. La bataille semblait avoir cessé aux murailles. Stella se pencha sur le géologue. Une grande balafre fendait sa joue droite, et tout le sommet de la tête n’était qu’une éponge de cheveux rougis.

— Une pierre de fronde, au moment où il franchissait le mur, expliqua un Kénoïte qui parlait anglais.

— Vite, Sika, la pharmacie !

Il ne présentait aucun des signes d’une fracture du crâne, mais elle n’avait pas assez de connaissances médicales pour voir s’il ne souffrait pas d’un traumatisme cérébral. Sika revenait avec la boîte à pansements. Elle lava les plaies, coupa les cheveux rougis, vit que la balle de fronde avait frappé tangentiellement, arrachant le cuir chevelu sur quelques centimètres. Sous la brûlure du désinfectant, Téraï gémit, puis ouvrit les yeux, essaya de s’asseoir.

— Ne bougez pas ! Comment vous sentez-vous ?

— Ma tête ! Le cochon ne m’a pas raté ! Que faites-vous là ? Tout le monde aux armes !

— Reposez-vous ! Tout est paré.

— Aidez-moi à me lever.

Il se dressa, chancelant, s’appuyant sur deux de ses hommes.

— J’ai perdu tous les Ihambés. Impossible de les retenir. Quand Eenko a vu sa sœur parmi les victimes, il est devenu fou ! Moi aussi, d’ailleurs.

Il grimaça de douleur, tituba, se redressa d’un terrible effort de volonté.

— Laélé ?

— Morte ! Je l’ai tuée ! C’est tout ce que j’ai pu faire pour elle !

Il tendait un poing énorme dans la direction de la colline.

— C’est la guerre, maintenant, la guerre totale, la guerre inexpiable ! Je brûlerai Kintan s’il le faut, et les autres villes de Kéno ! A moins qu’on ne me livre tous les prêtres de Béelba pour que je les donne à Léo ! Aidez-moi à gagner ma chambre. Stella, occupez-vous de la défense, j’ai trop mal à la tête pour réfléchir. J’irai mieux dans une heure ou deux.

Il disparut dans l’intérieur de la maison, à demi porté par ses hommes. Une forme apparut entre les arbres, une forme sanglante en qui elle reconnut Eenko. Le grand guerrier boitait, saignait de vingt blessures. Il arriva lentement, passa devant Stella avec un regard de haine, s’écroula sous le portique.

— Soigne-le, Sika. Je vais voir comment va M. Laprade.

Elle le trouva assis sur son lit, se tenant la tête entre les mains, insoucieux du sang qui filtrait de sous le bandage. Il leva les yeux vers elle.