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— Vous voulez savoir comment cela s’est passé, hein ? Un bel article pour votre torchon ? Je vais vous le dire !

— Non, ne parlez pas !

— Si, il le faut, sinon ça va m’étouffer ! Nous sommes arrivés sur la colline sans encombre, en nous glissant par les ruelles et par les parcs. Il y avait déjà une foule nombreuse, et nous ne nous approchâmes pas. Nous nous dissimulâmes dans les haies, à cinquante mètres du temple, sur la droite. Il y avait un triple cordon de soldats entre la foule et l’endroit où leur sale autel était dressé. A la jumelle, je pouvais même voir les couteaux de sacrifice. Puis les prêtres sont apparus, après une sonnerie de trompes, la foule s’est mise à hurler, on a amené une jeune file, on l’a couchée sur la pierre, et crac ! ça a été vite fait, on l’a éventrée vive ! Puis une autre, une autre encore. Je ne pouvais intervenir, je ne pouvais gaspiller mes chances, si faibles déjà, de sauver Laélé ! Enfin, elle a paru. Elle n’était pas comme les autres, résignées ou abruties par la peur ! Elle a combattu autant qu’elle a pu, et bien de ces charognes doivent porter la trace de ses ongles et de ses dents ! Quand on a voulu la coucher sur l’autel, j’ai tiré, j’ai descendu les sacrificateurs, et nous avons foncé. Mais il y avait trop de gens entre elle et nous ! Plus nous en massacrions, plus il en arrivait. Et j’ai tué, tué, tué, des hommes, des femmes, des enfants, tous avec leurs sales gueules de fanatiques, j’ai pataugé dans le sang, les Ihambés autour de moi, pendant que les autres tiraillaient. J’ai reçu sur la figure une tête de femme, arrachée par une grenade. Finalement, j’ai vu que nous ne pouvions pas réussir. D’autres sacrificateurs étaient là, qui avaient repris Laélé. J’ai fait le vide autour de moi à coups de grenades, je me suis retrouvé dans un cercle où il n’y avait plus que des tripes en bouillie, j’ai poussé mon cri de bataille afin que Laélé sache que j’étais là, et j’ai visé à la tête. Elle est tombée comme une masse. Après, eh bien, il ne restait plus qu’à m’échapper, afin de pouvoir la venger ! Et voilà. Nous sommes revenus et, au moment de franchir le mur, j’ai reçu une pierre de fronde sur le crâne.

Il se tut, puis reprit.

— Les fanatiques, Stella ! La chose la plus vile, la plus horrible et la plus dangereuse du monde ! Ils ont eu mon père et ma mère, ils ont eu Laélé, ils ont essayé de m’avoir ! Mais ils m’ont manqué, nom de Dieu ! Et moi j’aurai leur peau, sur cette planète au moins ! Les fondamentalistes, sous-crétins qui croient à des légendes de l’âge du bronze ! Les béelbâtres, qui croient qu’arracher les ovaires d’une fille fera pousser le tlé ou le culir ! Et les pires de tous, les vôtres, Stella, qui croient que le progrès matériel est tout, ceux qui confondent la science et la technique avec la quincaillerie, ceux qui pensent que, parce que l’homme terrien, par hasard ou par chance, est un peu en avance en ce coin du cosmos, il a le droit, le devoir même de piller ses voisins, de leur imposer sa civilisation, si je puis employer ce mot ! Et qui, pour cela, utilisent le fanatisme de demi-sauvages ! Ils parlent de science, de progrès ! Mais, crénom ! Il y avait plus de vraie science en celui qui inventa la roue que dans tous leurs ingénieurs domestiques qui prostituent leur cerveau pour produire des machines inutiles, ou inutilement compliquées !

Il cracha à terre de dégoût.

— Ils entendront parler de moi, vos amis du BIM ! Même si je dois faire placer ce monde en quarantaine, ils ne l’auront pas !

Doucement, Stella quitta la pièce. Téraï dormait. Dehors, sous le soleil éclatant, le parc semblait paisible, jusqu’au moment où passait un Kénoïte avec un fusil. Mélik, le chef des serviteurs s’approcha d’elle.

— Maîtresse, comment va-t-il, demanda-t-il en français.

— Il vivra, ne vous inquiétez pas. Que se passe-t-il en ville ?

— Ils se battent ! Ceux dans l’armée qui sont restés fidèles à Klon et ceux qui suivent Béelba. Dans le peuple aussi, on se bat.

— Eh bien ! tant qu’ils s’entre-déchireront, nous aurons la paix.

La journée coula lentement. De temps en temps montait des bas-quartiers une clameur de foule furieuse, et des incendies faisaient rage au sud et à l’ouest. Les éclaireurs que Mélik envoya revinrent avec des renseignements contradictoires : les partisans de Klon l’emportaient. Non, ils avaient été écrasés. L’empereur avait été assassiné. Non, on l’avait vu sur la terrasse du palais. Obmii avait fait la paix avec Bolor, l’avait tué, l’avait acheté… Toutes les rumeurs d’une guerre civile.

Sika était folle d’inquiétude : nul n’avait pu lui donner des nouvelles d’Ophti-Tika. Personne ne l’avait vu depuis qu’il avait apporté à Téraï le message de l’empereur. Il avait complètement disparu de la scène, alors qu’il était capitaine de la garde des murs extérieurs, poste important qui lui donnait accès à l’enceinte interdite du palais, et qu’il aurait dû être un des chefs de la résistance contre les béelbâtres.

Il reparut vers cinq heures du soir, de façon inattendue. Une troupe nombreuse de soldats monta la rue, et Stella fit sonner l’alerte. Mais les soldats n’approchèrent pas, se déployant autour du parc, comme s’ils s’apprêtaient à repousser une attaque venue de la ville. Quand toutes les rues eurent été gardées, un officier se détacha, et elle reconnut Ophti-Tika. Il apportait les premières nouvelles précises.

En ville, le désordre était à son comble. Cent soixante personnes avaient été tuées lors de la tentative de sauvetage de Laélé, et deux fois plus, au moins, blessées. L’empereur avait ordonné l’arrestation et l’exécution immédiate d’Obmii et de Téraï. Une partie de l’armée avait alors refusé d’obéir. Mais les béelbâtres avaient pour eux le nombre, la plus grande partie de la foule, et le fanatisme. Petit à petit, les soldats, bombardés depuis les toits, avaient dû reculer, céder du terrain, et maintenant se trouvaient encerclés autour de la maison de Téraï.

— Et toi, où étais-tu ? demanda ce dernier.

— Dès le début, j’ai compris comment les choses tourneraient. J’ai pris la route du nord et j’ai galopé à dos de birak jusqu’au premier poste relais, donné un message urgent pour le général Siten-Kan, qui commande la garnison de Yakun, lui expliquant la situation et lui demandant de marcher sans délai sur la capitale. Kan est complètement dévoué au dieu Klon, et sera là dans deux jours.

— Bon. En attendant, mes hommes appuieront les tiens. Mais même avec le renfort de Kan, nous ne sommes pas assez nombreux, et nous serons battus. Si je pouvais faire savoir aux Ihambés…

Le visage du capitaine se ferma.

— Non ! Je suis ton ami, tu le sais, mais je ne veux pas d’Ihambés ici !

— Alors, nous sommes perdus ! Tu sais aussi bien que moi que la majorité des gouverneurs, dans l’empire, attendra de voir de quel côté penche la balance avant d’intervenir. N’oublie pas que l’empereur est acquis aux béelbâtres !

— Alors que faire ? Livrer ma ville aux sauvages ? Je ne puis accepter !

Téraï se pencha en avant, dominant le Kénoïte.

— Il y a deux côtés dans cette affaire : d’abord le tien. Tu n’acceptes pas la tyrannie des prêtres de Béelba, ni leur cruauté inutile. De l’autre côté, il y a moi, qui ai aussi un compte à régler avec eux. Je vais te faire une proposition, Tika. Si tu acceptes, tu seras le prochain empereur de Kéno.

Le capitaine eut un sursaut.

— Tu es bien de la famille des Ophti-Traïn ? Tu descends donc en droite ligne de l’empereur Tibor-Thuk ? Tu as donc autant de droits au trône que n’importe qui, une fois Oïgotan et Sofan disparus.